mardi 16 avril 2024

Philippe Jaenada - Sans preuve et sans aveu

Philippe Jaenada 

Sans preuve et sans aveu

Ed. Mialet Barrault 


Dans le monde de la littérature, Philippe Jaenada assume depuis quelques années le rôle d'avocat de la défense. Et il faut reconnaître qu'il est plutôt bon, même si son livre précédent, Au printemps des monstres, montrait certaines limites à cet exercice. Mais alors qu'il semblait vouloir prendre ses distances avec la robe, le voilà ramené à la réalité par une rencontre. Le coup du sort ?

Philippe Jaenada Sans preuve et sans aveu Mialet Barrault
Cette rencontre, c'est celle d'Alain Laprie, peu de temps avant son incarcération pour le meurtre de sa tante, Marie, retrouvée assassinée dans sa maison en proie aux flammes. Malgré l'absence de preuve et d'aveu, les soupçons se portent rapidement sur le "neveu préféré" de la vieille dame. Jugé puis acquitté en première instance, le coupable présumé écope finalement, en appel, d'une peine de quinze ans de réclusion. Il est aujourd'hui derrière les barreaux.
"Connaître le nom du meurtrier (ou de la meurtrière, pourquoi pas ?) de Marie n'a aucune importance pour moi - pour la famille si, bien sûr, pour la justice évidemment - et ce livre n'a même pas pour intention (malgré les apparences, je crois) d'essayer de montrer qu'Alain Laprie est innocent du crime pour lequel on l'a condamné(...)."
Le projet de Philippe Jaenada n'est donc pas de faire sortir Alain Laprie de prison. D'ailleurs, c'est impossible car il n'y a aucun recours possible à la cassation. Son projet est simplement, si je puis dire, de démontrer que le suspect n'a jamais été présumé innocent (ce que les gendarmes et les juges d'instruction n'ont pas même envisagé) et qu'il n'a pas été correctement jugé. Son livre est donc un plaidoyer pour la justice, ni plus ni moins.

L'auteur annonce d'emblée que, contrairement à son habitude, il ira droit au but. "(Au placard, digressions et parenthèses !)" Effectivement il tient globalement sa promesse et voit à la baisse l'emploi de son signe typographique favori. Dommage. De même, il ne digressera presque pas ni ne fera preuve de l'humour qui fait sa marque de fabrique. Re-dommage. Ainsi, le livre est court, sérieux, va à l'essentiel et relate les évènements à l'économie de moyens littéraires. Il faut dire que le sujet est grave. La vie d'un homme est en jeu. Celle de sa famille également. Et, au-delà de ça, ce sont les fondamentaux de la justice qui sont dans la balance.

Faisant fi du superflu, il revient donc sur les déclarations, les dossiers, les témoignages, les analyses, les expertises. Sur des faits. Et en à peine 250 pages de concret et de déductions frappées au coin du bon sens, il met le doigt sur un nombre impressionnant d'incohérences, d'invraisemblances et d'approximations. De fait, il est difficile de croire, à la lecture de cette passionnante enquête, que le condamné, qui clame pourtant son innocence et contre lequel, rappelons-le, il n'y a pas plus de preuve que d'aveu, puisse être coupable. Par conséquent, il est difficile de croire qu'il ait pu être correctement jugé. Mission accomplie pour l'avocat de la défense.

Malheureusement, pendant ce temps-là, Alain Laprie est toujours à l'ombre.

lundi 15 avril 2024

Marcel G. Prêtre - La cinquième dimension

Marcel G. Prêtre La cinquième dimension Fleuve Noir frederic dard san-antonio
Marcel G. Prêtre 

La cinquième dimension 

Ed. Fleuve Noir 


Paru en 1969 dans la mythique collection Angoisse des éditions Fleuve Noir, La cinquième dimension est, soyons clair, un roman de gare de facture médiocre. Mais il est accompagné d'anecdotes intrigantes comme je les aime et qui, à elles seules, le sortent de l’ordinaire.
 
Marcel G. Prêtre est un romancier suisse, connu - mais c'est un bien grand mot - pour les cent cinquante livres policiers qu'il a écrits entre les années 60 et 80. Ce qui fait l'honorable moyenne d'environ cinq publications par an. De fait, il est avéré que plusieurs nègres ont œuvré pour celui qui, par ailleurs, publiait également sous d'autres pseudonymes. C'est là qu'on en arrive au point qui m'intéresse : Frédéric Dard. Les deux hommes se connaissaient, étaient même amis. Or, c'est le père du Commissaire San-Antonio qui, semble-t-il, aurait prêté sa plume pour ce titre-ci. Occasionnellement réfutée, cette théorie a depuis été largement étayée par les spécialistes de l'auteur.

Ce livre, que je qualifiais plus haut de roman de gare, serait d'ailleurs plutôt un recueil de nouvelles de gare. Jugez plutôt : l'auteur met en scène quelques amis coincés par une panne de voiture dans la campagne solognote, le temps d'une soirée froide et pluvieuse. Heureusement, ils vont trouver refuge dans ce château isolé que tous pensaient à tort abandonné. Là, devant la cheminée, un verre à la main, il vont tuer le temps en se racontant des histoires - un écolier malmené, un portefeuille magique ou encore une Rolls-Royce hantée...
"Belle histoire, en vérité, monsieur, dit le châtelain ; il y a de ces choses étranges... que seuls les initiés, les élus, peuvent percevoir."
Contrairement au châtelain du livre, j'ai trouvé que les histoires, pourtant écrites avec style, avaient un intérêt très inégal et globalement assez limité. En revanche, tout comme lui, je suis parvenu à mettre le doigt sur certaines "choses étranges", réservées aux "initiés", notamment les noms des protagonistes : Frédéric Bard, Armand de Camare ou Sven Jensen*. Les allusions sembleront évidentes pour ceux qui maîtrisent les codes du monde de l'édition mais, très anecdotiques, elles n’ôteront rien aux lecteurs qui ne les auraient pas perçues. En ce qui me concerne, même si elles ont su capter mon attention, elles ne sont pas parvenu à sauver ce livre particulièrement mal ficelé et dont les grandes coutures poncives ne dissimulent pas la paresse narrative.

* Le premier est évidemment Frédéric Dard, romancier, le deuxième Armand de Caro, fondateur du Fleuve Noir, le dernier Sven Nielsen, à l'origine des Presses de la Cité.

dimanche 14 avril 2024

Florence Wells - Pointland

Florence Wells 

Pointland - L'Empire des Points

Ed. L'Alchimiste 


Florence Wells Pointland L'alchimiste
À Pointland, les citoyens vivent l'œil rivé à leur montre, non pas pour connaître l'heure mais pour être fixés sur le (dé)compte de leurs points, lequel est directement indexé sur leur comportement. Les actions du quotidien en font monter ou baisser le niveau et mieux vaut ne pas descendre en-dessous d'un certain seuil. Dans ce contexte, Pointland nous fait suivre les mésaventures de deux personnages confrontés malgré eux aux limites de ce fonctionnement. Le premier, Tséga, une jeune femme sans histoire qui rêvait de se teindre les cheveux en bleu, vient de céder à cette simple excentricité capillaire. Le second, Valmir, un fonctionnaire qui possède un nombre confortable de points, respecte le dogme à la lettre et n'hésite pas à dénoncer ceux qui s'en écartent, pourrait bien être en train de pêcher par excès de zèle. Tous les deux, chacun de son côté et pour des raisons différentes, s'apprêtent à sortir du droit chemin.

En matière de dystopie, il m'arrive de me demander si tout n'a pas déjà été imaginé. Et, effectivement, en ouvrant le roman de Florence Wells, c'est son aspect convenu - pour ne pas dire formaté - qui risque de frapper le lecteur biberonné aux récits de sociétés totalitaires. Ici, le concept est pour le moins académique : entre la dictature règlementée, ses caméras et sa censure ou encore son système tentaculaire, tous les clichés répondent à l'appel - jusqu'à la fameuse légende éculée d'une terre de liberté ! Mais une fois qu'il a accepté ce décor et, surtout, une fois familier avec les protagonistes, le lecteur entre dans une trame fluide, cohérente et accrocheuse. Alors, la construction syncopée propose une alternance de points de vue et, en introduisant des personnages secondaires qui bousculent la perspective et la place de nos héros malmenés, l'autrice met en évidence des injustices qui peuvent difficilement laisser de marbre. Par conséquent, le destin des protagonistes invite à réfléchir à quelques concepts politiques et philosophiques, à commencer par celui de libre arbitre.

Le roman ne brille donc pas par sa grande originalité - c'est dit. Il faut toutefois lui reconnaître des intentions louables. Celles-ci ne sont pas très novatrices et sans doute formalisées avec peu de subtilité, mais elles sont salutaires dans notre société du contrôle et à notre époque de la surveillance accrue. Ainsi, les occasions de rappeler que les libertés acquises se défendent, que les inégalités ne se creusent pas sans raison et qu'il est du devoir de chacun de refuser l'inacceptable sont-elles toujours bonnes à prendre, en particulier lorsqu'elles sont disséminées dans un roman qui, malgré ses défauts et ses maladresses, offre un indéniable plaisir de lecture.

Un grand merci au Maki pour m'avoir fait parvenir son SP (et pour ses conseils avisés, évidemment).

vendredi 29 mars 2024

Maîtres du vertige - Six récits de l'âge d'or

Serge Lehman présente

Maîtres du vertige 

Ed. L'Arbre Vengeur 


Si je peux vaguement comprendre le concept de patriotisme, j'ai par contre toujours considéré celui de nationalisme comme particulièrement idiot. Le chauvinisme m'échappe. Pour tout vous dire, même l'invention du minitel n'est pas parvenue à exalter mon sentiment d'appartenance à mon pays. Mais voilà, lorsque Serge Lehmann affirme que c'est à nos concitoyens que peuvent être attribuées les origines de la science-fiction, là, je me lève comme un seul homme et pousse un retentissant cocorico !

Serge Lehman présente Maîtres du vertige L'Arbre VengeurC'est dans un manifeste qu'il publie en 1909 que Maurice Renard, le père du Professeur Krantz et précurseur du registre, s'approprie le terme de "merveilleux-scientifique" et en pose les jalons. Notez le tiret, il a son importance. José Moselli, Théo Varlet, Jacques Spitz ou encore Camille Flammarion, les auteurs qui s'y frottent produisent une littérature populaire à la croisée des chemins entre imagination scientifique et rationalisation du surnaturel. Ce genre connait alors de très belles heures. Il faut toutefois être honnête : c'est outre-Atlantique qu'il s'est largement popularisé au fil du vingtième siècle. Dorénavant, sous l'étiquette "science-fiction", il s'est diversifié en une multitude de sous-catégories, de la dystopie au space-opera en passant par le cyberpunk ou le post-apocalyptique. Depuis, les lecteurs les plus ouverts ou les plus avertis tendent même à considérer cette littérature de genre comme de la littérature tout court.

Dans sa riche préface, longue d'une centaine de pages et qui détaille ce que je viens ici de résumer en quelques lignes, Serge Lehman revient sur cet âge d'or et sur ses origines. L'idée est moins de chercher à remonter jusqu'au père du néologisme pour lui en attribuer le mérite que de tracer les contours du concept. Il en dresse donc une définition et se penche sur les auteurs qui s'en revendiquent. De fait, si elle rend hommage à tous ces romanciers et novellistes, parfois familiers des amateurs mais inconnus du grand public, cette préface est un précieux carnet d'inspiration et une mine de patronymes à retenir, parmi lesquels, notamment, ceux dont Serge Lehman a sélectionné les écrits.

En effet, n'oublions pas que derrière la préface se bousculent six nouvelles, chacune précédée d'une superbe illustration de Greg Vezon. Six nouvelles - trois signées d'auteurs plus que confidentiels (Pierre Mille, Renée Dunan, Claude Farrère) et trois autres d'incontournables du genre (J.-H. Rosny aîné, Jean Ray, Jacques Spitz) - dont je ne suis pas sûr qu'il soit utile d'entreprendre les résumés (vous pouvez de toute manière les retrouver sur votre minitel via 3615TmbM). Et pour cause, même si les nouvelles ont toutes un intérêt et sont sans doute révélatrices d'un genre et d'une époque, il y a fort à parier qu'une fois le recueil refermé, il n'en restera que la préface, qui, au-delà d'introduire ce qui lui fait suite, l'occulte.

dimanche 24 mars 2024

Alice Géraud - Sambre

Alice Géraud 

Sambre - Radioscopie d'un fait divers

Ed. Audiolib 


La Sambre, une rivière franco-belge et affluent de la Meuse, donne son nom à une région industrielle du nord de la France, laquelle est notamment tristement célèbre pour avoir été le terrain de chasse d'un prédateur sexuel durant trois décennies.

Alice Géraud Sambre Radioscopie d'un fait divers Audiolib lattes
On pourrait résumer l'affaire dite du "Violeur de la Sambre" par un portrait de Dino Scala. Pour Alice Géraud, il semblait plus juste, plus pertinent de dresser celui de ses victimes. La journaliste a donc pris le parti de n'accorder qu'une place très secondaire à l'auteur des agressions, mettant l'accent sur les femmes dont il a brisé la vie, de la fin des années 80 à 2018, date à laquelle cet ouvrier, mari et père de cinq enfants a finalement commis l'erreur qui lui vaut une peine de vingt ans de réclusion.
 
Le livre est donc composé d'une série de récits, précis et détaillés, qui dressent les contours de l'affaire. Tour à tour, les cas se succèdent et racontent la même histoire : au petit matin, sur les bords de la Sambre, un homme coiffé d'un bonnet, armé d'un couteau et d'un cordelette, surgit par derrière et commet l'irréparable avant de disparaître dans la nature. Encore et encore. Ces femmes et ces filles portent plainte mais l'individu reste introuvable. Il faut dire que dans les années 80, la technique policière n'est pas celle d'aujourd'hui. Rien ne permet donc de recouper ces agressions pourtant similaires. Quant aux fichiers ADN, ils n'ont pas encore fait leur apparition. Le temps passe, les agressions se multiplient, la science progresse, les cas finissent par être rapprochés et leur auteur finalement identifié, confondu, jugé, condamné.
 
Cette "radioscopie d'un fait divers" ne se contente ni de raconter une histoire, ni de cataloguer les victimes. Le document, qui peut dans un premier temps paraître factuel et redondant dans sa forme, dit surtout beaucoup de notre société, de la place qu'y occupent les femmes et du regard que la justice pose sur les victimes de violences sexuelles. À la lecture - ou ici à l'écoute - de cette énumération des cas, le lecteur - l'auditeur - comprend finalement l'importance de ce qui semble un matraquage nécessaire, lequel met en lumière les dysfonctionnements d'un système. En effet, la retranscription des dépôts de plainte est éloquente : les forces de police brillent par leur manque de sérieux et le scepticisme de certains enquêteurs est confondant. Quand ils ne mettent pas en doute la parole des plaignantes, ils les culpabilisent ou les ignorent. Isolées et peu informées, ces dernières se pensent seules. Elles sont pourtant plusieurs dizaines à être victimes du même homme. Malheureusement, elles sont également toutes négligées par cette justice lacunaire...
 
Avant de conclure son essai par un témoignage personnel poignant, même s'il apparaît finalement d'une horrible banalité, Alice Géraud livre quelques réflexions pleines de bon sens sur la peine réservée aux auteurs de crimes sexuels et invite à une remise en question du système. Jugez plutôt : en France, "l'auteur d'un viol encourt une peine pouvant aller jusqu'à 15 ans de réclusion criminelle. Cette peine peut être alourdie [de cinq ans supplémentaires] lorsque le viol a été commis avec des circonstances aggravantes" - d'où les vingt ans de réclusion de Dino Scala. C'est-à-dire que, tenez-vous bien, une fois qu'il a commis un viol, un criminel peut multiplier à l'infini le nombre de ses victimes sans risquer d'alourdir sa peine. Voilà qui mérite effectivement réflexion...

mercredi 13 mars 2024

Blake Crouch - Wayward Pines

Blake Crouch 

Wayward Pines 

Ed. Gallmeister 


Moi qui ai si longtemps clamé qu'on n'avait pas encore synthétisé le virus qui me clouerait au lit, voilà que j'ai attrapé le grippe. Une carabinée. J'ai donc passé une semaine hivernale dans un état second, fiévreux et douloureux, à transpirer dans mes draps. En revanche, comme on n'a pas encore synthétisé le virus qui m'empêchera de lire, j'ai dévoré des pages et des pages de livres dont je ne suis pas certain d'avoir tout saisi - au regard de mon état de faible lucidité. Parmi ces livres, un roman de circonstance : Wayward Pines de Blake Crouch.

Blake Crouch Wayward Pines Gallmeister
De circonstance ? Je m'explique.

Ethan Burke, agent fédéral et personnage principal de cette histoire, ouvre les yeux sans pourtant se souvenir d'avoir jamais perdu connaissance. Son arme de service a disparu, son argent et ses papiers également. Il découvre son environnement en même temps que le lecteur qui l'accompagne : une bourgade apparemment figée dans le temps et tirée d'un cliché de la province américaine, avec sa rue principale, son diner, son bureau du sheriff. Blessé et confus, il déambule et constate rapidement que quelque chose cloche. Mais quoi au juste ? Difficile à dire. Cela tient-il à l'attitude des citoyens ou au comportement des autorités ? Au fait qu'il semble impossible de quitter cet endroit ou de contacter le monde extérieur ? Peinant à justifier son identité face à des interlocuteurs sceptiques, il commence à douter lui-même de ses certitudes. Le roman tourne alors à la paranoïa, à la psychose, avant de passer à... autre chose ?

En tant que lecteur grippé, en possession vaguement relative de mes moyens, le front chaud et l'œil brillant, j'ai d'autant plus partagé le désarrois d'Ethan Burke que j'ai moi-même douté d'appartenir au monde réel. Au fil de mon identification au personnage, ce livre est devenu totalement immersif. C'est en ce sens que je le qualifie de roman de circonstance. Il faut dire que, au-delà de mon état de santé, l'auteur y est pour beaucoup. Sa narration est captivante et sa trame, d'une grande efficacité, s'aventure en des terres insoupçonnées. Sans oublier son protagoniste, dont des anecdotes du passé, parfois déconcertantes mais finalement toujours justifiées, viennent à la fois l'épaissir et perturber le lecteur au passage. Pour sûr, ce roman de genre est aussi décomplexé que déconcertant.

Ce volume est le premier d'une trilogie. Mais dans la mesure où les nombreuses questions soulevées trouvent leurs réponses dans de dernières pages très habiles et chargées de rebondissements inattendus, je ne suis pas sûr d'aller voir ce que contiennent les suivants, de peur de voir s'épuiser un filon qui, à mon avis, mériterait de s'interrompre ici. Par ailleurs, je suis guéri. J'ai quitté mon lit, mon état second, je passe à autre chose.

mardi 27 février 2024

Pierre Bayard - Hitchcock s'est trompé

Pierre Bayard 

Hitchcock s'est trompé 

Ed. Minuit 

 
Pierre Bayard Hitchcock s'est trompé Minuit
Deux ans après avoir innocenté le personnage de la tragédie de Sophocle dans Oedipe n'est pas coupable, Pierre Bayard reprend son vaste chantier de critique policière avec l'analyse d'un classique du cinéma signé Alfred Hitchcock : Fenêtre sur cour. Cette œuvre phare du réalisateur et scénariste britannico-américain, projetée pour la première fois sur les écrans en 1954 - et en technicolor - nous fait partager la convalescence d'un photographe qu'une jambe plâtrée immobilise dans son appartement. Jeff, c'est son nom, trompe l'ennui en observant ses voisins par la fenêtre qui donne sur la cour d'immeuble - parmi lesquels un compositeur, un couple avec un chien, une danseuse, de jeunes mariés... Mais c'est surtout ce qui se trame dans l'appartement d'un autre couple qui attire son attention. En effet, alors que l'épouse d'un homme à la carrure impressionnante a disparu, Jeff se demande si son mari ne pourrait pas l'avoir assassinée... Secondé par sa petite amie et son infirmière, il décide d'élucider ce mystère. Dans la chute du film, qui révèle au spectateur que Jeff avait vu juste, il parvient à confondre le coupable. À tort, d'après Pierre Bayard ! Mais il n'est pas trop tard pour rétablir la vérité et élucider une autre affaire à côté de laquelle des générations de cinéphiles sont passées...

S'attaquer au "Maître du Suspense" ? Pourquoi pas ? Pierre Bayard n'en est pas à son coup d'essai et n'en est pas non plus à un crime de lèse-majesté près. C'est donc Alfred Hitchcock qui fait les frais de cette nouvelle variation sur le thème de l'euphorie interprétative. Fidèle à une recette qui a déjà fait ses preuves, il entame sa démonstration par une présentation de l’œuvre et par un résumé rigoureux, avant de se lancer dans le vif du sujet. Entre le détail des éléments problématiques et la remise en question de certaines évidences, il s'aventure sur un terrain qu'il connaît bien, celui de la psychanalyse. Le nom de Freud ne tarde pas à tomber. Et pour cause, Fenêtre sur cour est un film sur un phénomène hautement psychanalytique : le voyeurisme. Mais Pierre Bayard relativise assez vite ce point et s'écarte de ce que le médecin viennois nomme "le plaisir de voir". 
"Outre qu'elle a chargé injustement le personnage principal d'un mal imaginaire, [la critique hitchcockienne] est de ce fait passée à côté de ce qui constitue le cœur pathologique du film pour qui le regarde avec un peu d'esprit critique en dépassant les apparences : la paranoïa."
La paranoïa. Voici le vrai sujet du film. Et du livre. Du fantasme de l'innocent injustement accusé à la réflexion sur les erreurs de jugement, l'auteur balaie le large spectre paranoïaque du délire d'interprétation, s'appuyant sur la capacité de l'être humain à participer de bonne foi à des phénomènes d'aberrations collectives. Illusion et indécidabilité vont alors se retrouver au cœur de l'œuvre. Ainsi que, ne l'oublions pas, l'accusation d'un innocent. Aussi, après de nombreuses circonvolutions, l'auteur de Et si les Beatles n'étaient pas nés ? finit donc par revenir au sujet annoncé et, avec l'humour et l'autodérision qui le caractérisent, lever le voile sur "un autre meurtre – bien réel celui-là – qui est commis devant les spectateurs à leur insu". Malheureusement, et c'est là que le bât blesse, autant il avait été particulièrement convaincant dans ce domaine lors des précédents volumes sur ce thème, autant il réduit là sa réflexion à une dimension anecdotique peu concluante. Ceci dit, même si sa tentative d'élucidation d'une enquête peine à convaincre, la réflexion psychanalytique qui y mène est, elle, particulièrement solide, à l'image de l'essai lui-même, érudit et ludique. 

dimanche 25 février 2024

San-Antonio - Une banane dans l'oreille

San-Antonio Une banane dans l'oreille Fleuve Noir
 San-Antonio 

Une banane dans l'oreille 

Ed. Fleuve Noir

 
Les frères Prince sont renommés pour leurs compétences dans le domaine de l'ouverture de coffres-forts. Aussi, quand Achille entre dans le bureau de San-Antonio pour lui parler de ces "aimables gredins", le commissaire se doute que ces véritables gibiers de potence préparent un sale coup. Notre héros est alors loin d'imaginer que le Patron attend de lui qu'il participe non seulement au casse de la Banque Lisbrock mais qu'il s'assure du succès de l'opération et qu'il reparte surtout en toute discrétion avec le contenu du coffre n°44. Intrigué, San-A accepte la mission et fait appel à Béru pour le seconder.
"- Il vous sert de bouffon ou quoi ?
- Entre autres, admets-je, mais c'est également le plus précieux et le plus dévoué des collaborateurs. Dans les cas désespérés, il fait bon l'avoir avec soi."
Et il faut reconnaître que Béru sait se rendre indispensable, autant pour la gaudriole ou dans les coups durs que pour dispenser une philosophie toute personnelle de l'existence - qui, d'après lui, "ressemble à une tartine de merde dont on bouffe une bouchée chaque jour". Exilés en Belgique le temps de cette affaire, nos protagonistes vont distribuer des bourre-pifs, semer des macchabées, soulever des souris et lever des mystères, à commencer par les raisons qui poussent le Vieux à s'intéresser au coffre n°44... Quant à l'auteur, très en forme, il déroule son répertoire argotique et travaille ses figures de style tout en retenant ses envies de description, de peur qu'on ne confonde son roman avec "un numéro spécial de Maisons et Jardins."


 
Et pour suivre l'avancée de ma lecture complète des aventures du commissaire San-Antonio, cliquez sur le sourire de l'auteur !

lundi 29 janvier 2024

Mickael McDowell - Les aiguilles d'or

Mickael McDowell 

Les aiguilles d'or 

Ed. Monsieur Toussaint Louverture 


Après avoir rapidement abandonné Blackwater, une saga insipide et incohérente devant laquelle, va comprendre pourquoi, le monde entier s'extasie, j'ai tout de même décidé de pousser le vice : je suis allé voir ce qu'il en était de cet autre succès de librairie signé de l'écrivain américain mort au siècle dernier. Le roman, exhumé comme les précédents par Monsieur Toussaint Louverture, une maison qui s'est imposée comme la spécialiste des livres-objets, est enrobé avec soin. Ce dernier point explique en partie le succès posthume de l'auteur. Ses livres, ouvragés et lumineux - beaux - tapent à l'œil du chaland, si tant est que celui-ci soit esthète.

Mickael McDowell  Les aiguilles d'or Monsieur Toussaint Louverture
Passée la couverture finement embossée, le prologue plonge le lecteur en plein réveillon de l'an 1882. Quelques pages très prometteuses suffisent à planter le décor et à donner le ton. C'est dit : l'intrigue sera romanesque, la forme habile. Quelle perspective ! Malheureusement, cette première impression s'estompe dès l'entrée dans le cœur du roman. La trame se révèle rapidement laborieuse, pour ne pas dire poussive. C'est lent... mais lent... Pour sûr, l'auteur n'a jamais pris le risque de confondre vitesse et précipitation. L'histoire, qui se situe à New-York où s'opposent les extrêmes de l'échelle sociale, d'une part les trafiquants des bas-fonds, d'autre part les avocats qui entendent débarrasser la ville de sa vermine, met une éternité à se développer. Mickael McDowell prend donc tout son temps pour organiser et diriger ses nombreux personnages, souvent réduits à leur fonction et si peu nuancés qu'aucun n'a retenu mon attention. Ceux-ci rivalisent de stéréotypes et, bien que l'auteur ait tenté ici ou là de semer le doute quant à leurs motivations, son résultat confine au manichéisme. Les méchants sont méchants, les gentils sont gentils et tous se noient dans une foule à la fois confuse et homogène. Quant aux classes sociales que les uns et les autres représentent, elles souffrent du même constat, frappé au coin des poncifs attendus.

Pour autant, et malgré ses gros défauts, le roman se laisse lire, sans doute du fait d'un décor particulièrement visuel, son unique élément vaguement mémorable. En effet, s'il a oublié de dynamiser son intrigue et si sa distribution manque cruellement d'épaisseur, l'auteur s'est démené sur l'arrière plan et en a peaufiné les détails. D'ailleurs, l'illustrateur de la couverture, Pedro Oyarbide, semble l'avoir bien saisi : une ruelle humide jonchée de poubelles, des façades et des commerces, un ciel étoilé hachuré par la fumée des cheminées... mais... la scène est vide. Personne n'arpente le pavé du Triangle Noir, le quartier malfamé dont il est question ici. La couleur n'était-elle pas annoncée dès le départ ?

samedi 27 janvier 2024

San-Antonio - Béru contre San-Antonio

San-Antonio Béru contre San-Antonio Fleuve Noir
San-Antonio 

Béru contre San-Antonio 

Ed. Fleuve Noir 


Martial Vosgien est un opposant à notre politique nationale, un homme surveillé de près par les services compétents. Pas d'assez près, semble-t-il, car celui qui a de l'énergie, des idées, des amis et des moyens - toutes les qualités requises pour faire un ennemi d'envergure - a mystérieusement disparu sans laisser d'adresse du pays dans lequel il s'était exilé, le Brésil. Le Patron demande alors à San-Antonio de s'y envoler afin de lui mettre la main dessus. Mais non ! Le commissaire a des principes ! Il ne fait pas dans le délit d'opinion ! Il refuse de manger de ce pain-là ! C'est donc Béru qui s'y colle. Notre héros s'y rend tout de même, sous prétexte d'offrir à sa mère des vacances à Rio...

San-Antonio et Bérurier, dans un premier temps, mènent chacun leur enquête de leur côté, d'où le titre. C'est l'occasion de confronter les deux méthodes : la subtilité pour le premier, la brutalité pour le second.
"Je pars du principe que le Bon Dieu a donné des yeux pour voir à un témoin, et qu'il m'a donné à moi des mains pour le faire causer de ce qu'il a vu."
Ces différentes méthodes ont leurs avantages mais ne fonctionnent jamais aussi bien qu'associées. Les deux hommes, pour boucler cette histoire, finiront donc par travailler de concert. Entretemps, plongés au cœur des favelas, ils découvriront la triste réalité d'un pays miséreux, violent et corrompu. Quant à l'auteur, s'il aligne les comparaisons, les accumulations, les métaphores, les paronomases, les néologismes et les calembours avec l'aisance que nous lui connaissons, soyons honnête, il n'offre pas vraiment avec ce volume un épisode incontournable de la série.
 


 
Et pour suivre l'avancée de ma lecture complète des aventures du commissaire San-Antonio, cliquez sur le sourire de l'auteur !