Pierre Lemaitre
Au revoir là-haut
Ed. Albin Michel
En 2013, année de publication du premier opus de sa trilogie consacrée aux évènements du vingtième siècle, Pierre Lemaître délaisse le roman policier pour se consacrer au picaresque. Riche idée ! Il inscrit ainsi son nom dans la liste des récipiendaires du prix Goncourt et entre de fait dans le cercle fermé des auteurs renommés de la littérature blanche. Attendez, juste un détail : picaresque ? Pas historique ? Oui, c'est le romancier lui-même qui l'affirme. Et c'est vrai que Au revoir là-haut coche toutes les cases du genre. Voyez plutôt : Edouard et Albert sont deux anciens poilus. Gueule cassée constamment masqué et dorénavant dépendant à la morphine pour l'un, traumatisé par son expérience et atteint d'une perception définitivement altérée de la réalité pour l'autre, ils vivent ensemble, reclus, oubliés d'une société pour laquelle les vrais héros sont tombés au combat. Par ailleurs, Henri, leur supérieur, un aristocrate arriviste, celui par lequel le malheur des deux premiers est arrivé, est retourné à la vie civile auréolé d'une gloire usurpée. Chacun à sa façon, ces trois hommes vont tenter de tirer profit de leur situation, alors que les hasards de l'existence - ou de l'imagination d'un romancier machiavélique - les maintiennent dans un cercle commun.
En quoi tout ceci est-il plus picaresque qu'historique ? vous demandez-vous sûrement. Par le fait que l'auteur axe sont récit autour de protagonistes embarqués dans des aventures extravagantes, exposés au différentes couches de la société et confrontés à des problématiques de mœurs. Certes, le roman prend pour toile de fond un évènement du passé mais cela ne fait pas tout. D'ailleurs, plus que la Première Guerre Mondiale, c'est l'opportunisme le sujet du livre. L'opportunisme d'Henri, évidemment, mais également celui des deux poilus qui mettent au point cette immense arnaque des monuments aux morts et se jouent du patriotisme ou des valeurs d'un état ingrat envers ses combattants. Qu'ils cherchent à exploiter une situation ou à se venger d'une injustice, les personnages tirent parti des circonstances, faisant fi des principes moraux. Ceci dit, certains sont plus excusables que d'autres. Si Henri est un antagoniste un peu caricatural, Albert est un personnage plus subtil, tiraillés entre des sentiments contradictoires. Quant à Edouard, il est peu nuancé dans son désir de vengeance, même s'il est difficile de ne pas y voir une rancune légitime ou d'apprécier la dimension artistique et l'inventivité qu'il investit dans son projet.
L'auteur a beau s'être détourné du roman policier, il en a conservé les ficelles d'écriture. L'intrigue est d'une redoutable efficacité - même s'il y a ici ou là quelques coïncidences faciles - et les accroches de fin de chapitre ou l'alternance des arcs narratifs ne laissent d'autre choix au lecteur que celui de tourner les pages. C'est très habile. Ce gros livre se lit donc d'une traite et presque de plus en plus vite, alors que la chute semble inéluctable et que la tension monte. D'une plume très immersive, finalement assez classique bien qu'occasionnellement réhaussée de fulgurances, Pierre Lemaitre déploie toute son énergie pour entretenir un suspense qu'il fait durer jusqu'aux toutes dernières pages. Celles-ci clôturent l'histoire en beauté et n'appellent pas nécessairement de suite. Il y en aura pourtant deux, qui, si j'ai bien compris, pourront se lire indépendamment et mettront en avant les personnages secondaires de ce volume. Je vais probablement aller y jeter un œil.
Je ne m'y étais jamais intéressé plus que ça - je ne savais même pas de quoi ça parlait - mais ce que tu en dis me le fait sincèrement l'envisager. Surtout que ça me fait énormément penser à du Ken Follett, tant pour le cadre historique que pour le rythme et la structure.
RépondreSupprimerTu peux y aller. C'est effectivement très rythmé. Et plutôt malin.
SupprimerAh bah tout pareil que Baroona!! J'ajouterai juste que je l'ai réservé dans ma médiathèque dans la foulée, avant même de commenter!
RépondreSupprimerLa vie est une question de priorités !
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