mercredi 8 octobre 2025

San-Antonio - L'année 1976

En 1976, avec la publication d'un hors-série consacré à Bérurier et de trois nouvelles aventures du commissaire, San-Antonio maintient un rythme soutenu. Il continue à déployer sa verve inimitable, mêlant humour, argot et critique sociale dans des intrigues policières débridées. 

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San-Antonio 

Concerto pour porte-jarretelles 

Ed. Fleuve Noir 


Un dénommé Franck Rèche, directeur de ce qui ressemble à un asile, se présente directement à San-Antonio, sous prétexte qu'ils sont de vieilles connaissances. Il s'avère que les deux hommes ne se sont que vaguement croisés sur les pistes de ski quelques années plus tôt. Qu'à cela ne tienne ! Notre héros écoute le problème, et pas des moindres, auquel est confronté l'ancien interne des hôpitaux de Paris : mystérieusement, deux de ses patients sont dans la nature. Or, vu l'état plus ou moins végétatif de ces derniers, ils n'ont pas pu partir tout seul...

Accompagné de Béru, qui aura largement l'occasion de dévoiler son intimité, notamment lors d'une expérience scientifique barbare et de situations problématiques dont il sortira par deux fois les fesses à l'air, San-A part à la recherche des malades disparus. 
"Seulement, méziguemuche, je file en gamberge que tu ne peux pas estimer comme. Des tripotées d'horizons flamboyants s'ouvrent devant ma vue en couches superposées."
Même s'il démarre par une longue diatribe sans lien avec le sujet qu'il s'apprête à aborder, le roman ne sera pas particulièrement ponctué des divagations habituelles auxquelles l'auteur aime à se laisser aller. Il offrira toutefois quelques digressions inattendues, comme une étonnante comparaison entre l'architecture et la littérature. Rédigée dans cette langue imagée dont l'auteur a le secret, "en termes vifs, nets et précis, agrémentées de métaphores bien venues et d'adverbes peu usités chez les analphabètes", son enquête le mènera, via un sentier sinueux pour ne pas dire foutraque, sur la piste de nazis (fous, mais faut-il vraiment le préciser ?) obsédés par la pureté et l'eugénisme. Classique, non ?

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San-Antonio 

Sucette Boulevard 

Ed. Fleuve Noir 


Deux syndicalistes sont tués par l'explosion de leur voiture, une concierge et un curé sont abattus d'une balle dans la tête, un ex-marchand de chaussures est jeté à l'eau depuis un pont, autant d'évènements apparemment isolés mais finalement liés par une revendication commune qui, par ailleurs, promet d'autres morts si la police n'envoie pas le meilleur de ses hommes à Marseille pour midi. Suivant ces instructions, San-Antonio s'envole pour la cité phocéenne, assisté d'un Pinaud heureusement armé d'un peu plus que de son simple bon sens. En effet, le débris a rapidement l'occasion de rappeler qu'un homme d'action sommeille quelque part en lui... ce qui ne l'empêchera pas de se faire enlever. Béru surgit alors et prend l'affaire en main, investi temporairement du rôle de commissaire.
"Chose curieuse, les prérogatives d'exception accordées au Gravos me reposent. Je me sens en semi-vacances, dégagé des vilains problèmes et des noirs tourments de l'âme. J'avais besoin de cette espèce de temps mort. De cette page de repos."
Béru en commissaire, secondé par un San-A simple inspecteur, voilà qui bouscule les repaires de la série ! Et, comme le reconnaît justement notre héros, "il se défend royalement, l'Hénorme". Sa performance propulse directement cet épisode dans la catégorie de ceux qui comptent ! Avec son improbable histoire de dérive sectaire, entre action, introspection et digression, Sucette Boulevard a comme un goût de bonbon acidulé !

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San-Antonio 

Remets ton slip, gondolier ! 

Ed. Fleuve Noir 


À la poursuite d'un ancien mafieux en cavale, San-Antonio nous plonge dans une Venise bien loin de la carte postale touristique, où les gondoles croisent au son des mitraillettes. Pour raconter cette histoire de truand en fauteuil roulant et de contenu mystérieux d'un coffre-fort verrouillé, l'auteur déploie une énergie certaine. Les dialogues fusent, les situations décalées s'enchaînent, et l'humour, souvent grivois, ne manque pas de piquant. L'intrigue, bien que dynamique, flirte parfois avec le grotesque, et certains rebondissements semblent plus tirés par les cheveux que véritablement surprenants, à l'image de cette scène invraisemblable de noyade en mer Baltique qui défie toute logique.

Malheureusement, ce qui ressort de ce tourbillon d'aventures rocambolesque, plus que son style argotique et truculent, c'est la décomplexion gênante avec laquelle l'auteur affiche son homophobie. On ressort de cette lecture à la fois diverti par le rythme effréné du récit, mais aussi troublé par les relents discriminatoires qui, eux, ne font pas sourire.

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Si les deux premiers épisodes de cette année 1976 s'inscrivent dans l'âge d’or de la série, le troisième est pour sa part annonciateur de l'évolution plus sombres des années 1980. En somme, il marque un tournant : derrière la légèreté apparente et le verbe toujours aussi volubile de San-Antonio, perce une tonalité plus trouble, reflet d’un auteur moins en phase avec son temps, tiraillé entre le pastiche policier et les dérives d’un ton de plus en plus abrasif.


 
Et pour suivre l'avancée de ma lecture complète des aventures du commissaire San-Antonio, cliquez sur le sourire de l'auteur !


vendredi 3 octobre 2025

Pierre Boulle - Les jeux de l'esprit

Pierre Boulle 

Les jeux de l'esprit 

Ed. J'ai lu 


Pierre Boulle Les jeux de l'esprit J'ai lu
Les années 70 sont marquées par un essor notable des sciences et une fascination grandissante pour le progrès technologique - l’homme vient tout juste de marcher sur la Lune ! En 1971, dans ce contexte d’optimisme rationaliste, Pierre Boulle imagine les dérives possibles d’une logique coupée de toute humanité.

Les Jeux de l’esprit est un roman d’anticipation dystopique qui met en scène les membres du Gouvernement Scientifique Mondial, alors que les savants ont remplacé les politiciens à la tête de la planète. Le livre mêle fantaisie, satire et réflexion philosophique, et pousse à l’extrême l’absurdité des jeux intellectuels, jusqu’à en dévoiler les impasses. On y entre pour se divertir, on en ressort en se demandant si ce n’est pas l’humanité elle-même qui vient d’être mise en échec.
"Ce qui est intolérable ne peut être toléré. Or, l'émiettement du monde en une poussière de nations dirigées par des ânes est intolérable. Donc, il faut mettre fin à cet état."
Sous des dehors légers, voire naïfs, le récit se révèle une critique mordante du monde moderne : un monde où la logique devient tyrannique et où l’intelligence, en voulant tout expliquer et tout résoudre - même les conflits idéologiques - finit par se retourner contre elle-même. Tout devient alors prétexte à mettre en scène la bêtise méthodique, l’orgueil du raisonnement et cette étrange manie qu’a l’homme de se prendre trop au sérieux lorsqu’il pense.

Cependant, l’ouvrage porte aussi les stigmates de son époque :
"Joë était notre machiniste. J'ai oublié son nom, mais je le revois encore : un négro placide, sans culture, mais très consciencieux dans son travail."
Certaines formulations, qui ne manqueront pas de heurter le lecteur contemporain, rappellent que l’œuvre de Boulle, aussi lucide soit-elle dans sa critique de la modernité, reste prisonnière de certains préjugés du XXème siècle. L’œuvre n’est pas exempte de ses propres aveuglements : elle rappelle que l’ironie n’immunise pas contre les préjugés, et que même la satire la plus acérée peut laisser passer ce qu’elle entend dénoncer.

Et pour faire le point sur ce challenge, c'est ici.

vendredi 26 septembre 2025

Dario Ferrari - La récréation est finie

Dario Ferrari La récréation est finie éditions du sous-sol
Dario Ferrari 

La récréation est finie 

Ed. du sous-sol 


Marcello est un jeune homme désinvolte, qu’un malentendu universitaire a propulsé malgré lui au rang de doctorant en lettres. Tout comme il ne s’était jamais vraiment vu chercheur, il ne s’attendait pas non plus à devoir se pencher sur l’œuvre de Tito Sella - un auteur plus connu pour ses actions terroristes durant les années de plomb que pour ses écrits, littéraires ou autres.

Le roman de Dario Ferrari alterne entre deux récits : les errances apathiques de Marcello et les engagements idéologiques de Sella. L’auteur entrelace leurs destins, notamment lorsque Marcello se lance sur la piste du manuscrit autobiographique disparu de Sella. Mais puisque personne ne peut réellement prouver que ce texte ait jamais existé, il devient tentant d’en imaginer une version personnelle - ou de l’inventer purement et simplement.
"Un livre que Sella a pu écrire à mon âge, parce qu’il avait déjà une connaissance suffisante du monde, du mal et de la fatalité."
Avec La récréation est finie, Ferrari nous plonge dans un spleen universitaire où les colloques se succèdent pour mieux démontrer l’inutilité de tout. Truffé de références, de formules savantes et de citations acérées, le roman dresse le portrait d’un univers intellectuel qui tourne à vide, un théâtre absurde où chacun joue son rôle en attendant la fin de l’acte. On finit par se demander si l’on lit un roman ou une thèse désabusée sur le vide existentiel, vaguement travestie en fiction.

C’est érudit, mordant, parfois brillant, souvent distant - y compris avec le lecteur, toléré plutôt qu’invité, comme s’il était là pour applaudir poliment avant de s’éclipser. En somme, un roman qui a tous les défauts de ses qualités, et peut-être aussi quelques qualités de ses défauts... selon votre seuil de tolérance à l’ironie qui s’écoute penser.

mercredi 24 septembre 2025

Céline - Casse-pipe

Louis-Ferdinand Céline 

Casse-pipe 


Vous connaissez mon intérêt pour San-Antonio, n’est-ce pas ? Bon. Figurez-vous que j’ai tenté d’écouter la version audio de l’un ou l’autre de ses romans, ici ou là. Sans grand succès. Je n’ai pas vraiment été convaincu par ce que j’ai pu entendre. Quelques interprètes courageux s’y sont essayés, mais la tâche est loin d’être évidente : la langue de San-Antonio regorge de barbarismes, d’inventions, de trouvailles langagières en tous genres et de tournures expérimentales. Par ailleurs, bon nombre des calembours et jeux de mots que l’auteur prête à ses personnages semblent tout simplement impossible à transposer.

Et puis, en fouillant un peu, je suis tombé sur un certain Gracchus. Et croyez-moi, ce gars-là est vraiment bon. Le seul hic, c’est que j’ai déjà lu les deux épisodes qu’il propose : Vas-y, Béru ! et Un éléphant, ça trompe. Quel dommage ! Alors, faute d'un San-Antonio, je me suis rabattu sur son interprétation d'un autre auteur compliqué à passer à l'oral, Céline.

Casse-pipe, c’est du Céline, aucun doute là-dessus. Du vrai, du brut. Mais un Céline auquel il manque quelque chose. Une fin ? Sans doute. Ce roman, fragment d’autobiographie militaire, est inachevé, amputé. Il s’interrompt net, brusquement, comme une phrase suspendue. Est-ce si grave ? Pas forcément. Céline y refait le monde depuis le fond d’un lit de caserne. L’armée y est dépeinte comme un cloaque : tout y est laid, crasseux, absurde, hiérarchisé à l’excès. On y croise des types sans grandeur : le capitaine de chambrée, les collègues qu’on tolère, le sergent gueulard… C’est du Céline, oui - mais du Céline mineur. On est loin du Voyage, loin de Mort à crédit. Casse-pipe n’est qu’un brouillon, dont l’intérêt est plus stylistique que narratif. L’histoire est mince, et ce n’est pas pour elle qu’on s’y plonge. Ce qui importe, c’est la voix. Celle de l’auteur.

Et, en l’occurrence, celle de son interprète. Je vous laisse juger.

mardi 23 septembre 2025

San-Antonio - Si "Queue-d’âne" m’était conté ou la vie sexuelle de Bérurier

San-Antonio Si "Queue-d’âne" m’était conté ou la vie sexuelle de Bérurier Fleuve Noir
San-Antonio 

Si "Queue-d’âne" m’était conté ou la vie sexuelle de Bérurier 

Ed. Fleuve Noir 


Béru, qui pense son ultime heure arrivée, enregistre ses dernières confessions à l'attention de Marie-Marie. Avec l'entièreté qu'on lui connaît, il se met à nu, au sens propre comme au figuré. Ce qu’on lit ici, ou plutôt ce qu'on entend, tant la langue est orale, c’est un testament de chair et de tripes, sans filtre. Il évoque ses souvenirs, mêlés de réflexions sur l'existence, la politique, la religion, et il glisse au passage les détails de l'enquête qui l'a conduit en si fâcheuse posture.

L’histoire ? On s’en fout presque. Comme toujours. C’est un prétexte pour faire ruisseler l'argot. Ça pète des aphorismes salaces, ça ricane gras. Le verbe est cru, les scènes d'une vie sexuelle bien remplie s’empilent comme des souvenirs de guerre, avec la même intensité un peu grotesque et dérisoire. Mais derrière les saillies rigolardes, on devine un homme résigné, seul face à lui-même, qui a besoin de se raconter avant de passer l'arme à gauche. C’est vulgaire, oui, mais c’est aussi profondément humain. Derrière le cul, il y a le cœur. Derrière la farce, il y a la faille. Ce n’est pas juste un bouquin grivois, c’est un miroir de l’homme ordinaire qui se débat avec ses pulsions, ses regrets et ses illusions perdues.

Et puis il y a cette tendresse amère, ce regard fatigué, fataliste. On rit, certes, mais on sort de cette lecture ému et sacrément remué, scotché par quelques passages vifs qui puent la gaudriole mais fleurent l'authenticité, par la justesse désarmante d'un auteur à la verve anarchique et énergique, résolument libre et indomptable.


 
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mercredi 17 septembre 2025

Paul Lynch - Le chant du prophète

Paul Lynch 

Le chant du prophète 

Ed. Audiolib 


Paul Lynch Le chant du prophète Audiolib albin michel
Parmi tous les trucs plus ou moins idiots qui me traversent occasionnellement l'esprit, il m'arrive de me demander si tout n'a pas déjà été écrit dans certains domaines, et notamment si le filon du roman dystopique totalitaire ne pourrait pas être bel et bien épuisé. Mais voilà que le Booker Prize vient de couronner une nouvelle variation sur ce thème cher à mon cœur. Je m'en empare donc, convaincu que l'heureux élu, pour avoir reçu un prix si prestigieux, renouvelle nécessairement le sujet ou, du moins, qu'il lui apporte quelque chose d'inédit. Mais non.

Attention, entendons-nous bien : Le chant du prophète n'est pas un mauvais livre. Simplement, j'ai l'impression en le refermant de l'avoir déjà lu cinq-cents fois. Voyez plutôt : l'action se déroule demain ou presque, dans une Irlande radicalement basculée à droite, et s'ouvre sur l'arrestation sans motif apparent de Larry, un professeur et syndicaliste. Son épouse et personnage principal, Eilish, sans nouvelle de son mari, se démène pour le faire libérer tout en s'occupant de ses enfants, de son père, et en tentant d'identifier le moment qui a vu son pays sombrer dans un régime autoritaire puis dans la guerre civile. Certes, les protagonistes se posent des questions légitimes sur des problématiques politiques et administratives, invitant par là le lecteur à s'interroger à son tour sur la tendance de certaines dérives populistes et l'instrumentalisation du peuple. C'est louable. Mais, comme je le disais un peu plus haut, de nombreux auteurs ont auparavant soulevé ce point et, la forme n'étant pas non plus d'une grande originalité, le résultat souffre cruellement d'un air de déjà-lu.

De déjà-lu ou de déjà-entendu pour le texte audio. Et c'est sans doute là la limite de cette version. En effet, si j'en crois ce que j'ai pu lire ici ou là, Paul Lynch s'est affranchi pour ce livre des interruptions de paragraphe, ajoutant alors, semble-t-il, un sentiment d'urgence - c'est ce qu'ont reconnu certains critiques qui ont eu entre les mains le format papier. Or, malgré l'interprétation irréprochable de Pierre-François Garel pour le compte d'Audiolib, cet effet formel ne transparaît pas à l'oral. Le fameux sentiment d'urgence a disparu avec le passage en audio. Reste donc une histoire efficace, j'en conviens, mais d'un classicisme à toute épreuve qui ne la distingue plus du reste de la production.

Et pour faire le point sur ce challenge, c'est ici.

samedi 30 août 2025

Pierre Barrault - Flouter les pigeons

Pierre Barrault 

Flouter les pigeons 

Ed. Quidam 


Quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup. En l'occurrence, le loup est un pigeon.
"Enfant, je voulais devenir savant fou."
Pierre Barrault Flouter les pigeons Quidam
Artalbur, l'alter ego de l'auteur, si ce n'est lui-même, arpente des rues en compagnie d'un certain Bolusion, le cousin du réceptionniste - au cas où ce détail aurait son importance. Où ? Quand ? Difficile à dire. Le temps et l'espace sont autant de notions abolies par un romancier qui balaie du revers de la main toutes les règles susceptibles d'être appliquées au monde des lettres et qui semble même ne considérer la littérature que comme un vaste laboratoire d'expérimentation.
"J'ai renoncé, peu à peu, à devenir savant."
La cohérence n'a pas sa place dans cet univers audacieux. D'ailleurs, raconter une histoire n'est pas une fin en soi mais un prétexte tout trouvé pour énoncer des situations singulières et désorienter le lecteur à grands coups de "débris narratifs", d'aphorismes farfelus ou de pensées d'une apparente naïveté, à l'image des quelques dessins qui les illustrent. Pierre Barrault se joue des apparences.
 "Je suis fou, par contre."

Fou ou lucide, ce qui est certain, en revanche, c'est qu'après des œuvres aussi déconcertantes que Protag ou encore Catastrophes, l'écrivain angevin persiste et signe dans sa tentative d'encore et toujours repousser les frontières du possible. The sky is the limit ? Pour vous peut-être, pour les pigeons certainement, pas pour Pierre Barrault.

jeudi 28 août 2025

San-Antonio - La fin des haricots

San-Antonio La fin des haricots Fleuve Noir
San-Antonio 

La fin des haricots 

Ed. Fleuve Noir 


Un sadique rôde dans les rues de Paris et s'en prend aux prostituées. Le patron met San-A sur le coup et lui colle un adjoint, issu de la mondaine et répondant au nom bucolique de Pâquerette. Ce dernier, qui a malheureusement la gâchette un peu trop facile, boucle rapidement l'affaire en abattant le principal suspect lors d'une course folle. Pour autant, peu après, une tapineuse fait de nouveau les frais du tueur... Notre héros, bien décidé à réparer cette bavure et à mettre la main sur le véritable meurtrier, investit le milieu, entre gagneuses et proxénètes, vaguement accompagné d'un Béru plutôt discret, à l'image de cet épisode étonnamment sage. En effet, le sujet abordé, le décor et la galerie de personnages secondaires présageaient la bascule dans un registre beaucoup plus... imagé. Mais, l'auteur n'étant jamais totalement là où on l'attend, il n'ouvre que doucement la porte du vocabulaire argotique et des trouvailles langagières, offrant là, ponctué de digressions et de réflexions, un polar très classique, efficace, et finalement bien plus subtil qu'il n'y paraît.


 
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vendredi 22 août 2025

"Le Voyage Fantastique" versus "Destination Cerveau" d'Isaac Asimov

Le Voyage Fantastique 

versus 

Destination Cerveau

d'Isaac Asimov 


En 1966 sort en salle un film de science-fiction réalisé par l'américain Richard Fleischer et intitulé Le Voyage Fantastique. La même année et sous le même titre, Isaac Asimov en publie la novélisation. Contraint par un scénario sur lequel il n'a pas la main, il avouera par la suite n'être pas très satisfait de ce roman, qu'il n'assumera d'ailleurs jamais vraiment. Le temps passe et, vingt ans plus tard, il décide d'en écrire sa propre version, en s'affranchissant cette fois-ci de l'intrigue imposée et en s'offrant, au contraire, la liberté qui lui manquait alors. Celle-ci verra le jour en 1987 sous le titre Destination Cerveau.

Le Voyage Fantastique  versus  Destination Cerveau d'Isaac Asimov
Comme on peut s'en douter, le concept est sensiblement le même pour les deux romans : une invention scientifique extraordinaire permet de réduire un être humain à une taille défiant l'imagination. Ainsi, parvenus aux dimensions d'une molécule, les protagonistes sont injectés dans le corps d'un patient pour y pratiquer une intervention impossible selon les techniques traditionnelles. Voyons maintenant, au-delà des similitudes, ce qui distingue ces deux variations sur le même thème.

Alors que l'essentiel du premier roman se déroule à l'intérieur du corps et que son intrigue repose en bonne partie sur de l'action, le second livre est beaucoup plus introspectif, plus lent, plus patient, et il faut d'ailleurs attendre près de la moitié de l'histoire pour que les scientifiques soient projetés dans les artères du malade. Les rebondissements, l'imprévu, le sabotage et la traitrise de Voyage Fantastique laissent leur place dans Destination Cerveau à une réflexion plus aboutie sur la motivation des personnages et sur leur sens du devoir et du patriotisme. Concernant ce dernier point, il est intéressant de noter que les deux livres voient leur action se situer dans un futur impacté par les conséquences de le guerre froide. Ce qui peut aisément se comprendre pour le premier, daté des années 60, semble plus compliqué à expliquer pour le second, écrit à la fin des années 80. L'opposition des blocs de l'Est et de l'Ouest, qui fait figure de contexte dans le roman tiré du film, est au cœur de l'intrigue dans la nouvelle version - le personnage principal est un Américain enlevé par les Soviétiques et forcé de participer au programme sous la menace. Dans les deux livres, quand bien même l'action se situe dans un futur lointain, la société n'a jamais dépassé cette problématique politique. Pourtant, l'URSS s'effondrera deux ans seulement après la publication du second roman. Étonnant de la part d'Isaac Asimov, un homme tellement visionnaire.

Le Voyage Fantastique  versus  Destination Cerveau d'Isaac Asimov
Qu'ils soient envoyées pour détruire un caillot ou pour récupérer les données stockées dans le cerveau d'un chercheur, les deux équipages sont triés sur le volet et disposent de compétences uniques. Ils sont toutefois aussi peu exploités dans l'un que dans l'autre roman. Le seul personnage notable l'est pour de mauvaises raisons : l'assistante du scientifique, dans Le Voyage Fantastique, est réduit au rôle de la plante verte, jolie mais décorative. Bien entendu, elle finit - et c'est embarrassant - par succomber au héros macho. Le second roman est en partie débarrassé de sa dimension misogyne et des poncifs sur le genre qui encombraient le premier. Le personnage féminin y est plus intéressant, même s'il n'est pas mémorable pour autant.

Plus syncopé mais moins élaboré pour le premier, plus accompli mais moins immersif pour le second, les livres pèchent toutefois tous les deux par la même volonté d'exploiter dans le détail la dimension scientifique. Les informations sur la physique, la biologie ou l'anatomie noient parfois la narration, font patiner l'intrigue et rendent certains dialogues totalement absurdes. Pour autant, malgré le lot de défauts et d'imperfections, ils restent tous les deux plaisants à lire. Mon conseil ne serait donc pas forcément de faire l'impasse sur l'un ou sur l'autre mais plutôt de ne pas enchaîner la lecture des deux, erreur que j'ai commise. Alors, sans surprise, il y a comme un petit côté redondant.

Et pour faire le point sur ce challenge, c'est ici.

dimanche 27 juillet 2025

Larry McMurtry - Les rues de Laredo

Larry McMurtry 

Les rues de Laredo  

Ed. Gallmeister 


Larry McMurtry Les rues de Laredo Gallmeister lonesome dove
Quelques années seulement ont passé depuis les évènements de Lonsesome Dove mais, on s'en rend compte dès les premières pages, certains faits marquants ont eu lieu entretemps : Pea Eye et Lorena se sont mariés, Newt est mort accidentellement et Call vend dorénavant ses services au plus offrant comme chasseur de primes. La réputation de ce dernier le précède partout où il va et lui facilite le travail, ce qui arrange d'autant plus ses affaires que, contrairement à ce qu'il prétend, il n'a clairement plus les capacités de sa jeunesse. C'est dans ce contexte, alors que l'apparition des voies ferrées a radicalement modifié l'espace et ouvert le pays, que notre vielle connaissance remonte sur son cheval pour traquer un braqueur de trains nommé Joey Garza. En effet, les compagnie de chemins de fer préfèreraient voir ce jeune renégat derrière des barreaux ou, encore mieux, au bout d'une corde. Accompagné de Brookshire, un comptable envoyé par l'employeur de Call pour veiller aux dépenses, de Famous Shoes, un pisteur indien, et de Pea Eye, en proie au doute quant à la pertinence de cette aventure, l'ancien capitaine des rangers se met en route.

Pour mon plus grand plaisir, j'ai retrouvé dans ce deuxième épisode de la série tout ce qui m'avait fait vibrer dans le premier, à commencer par les descriptions grandioses de l'ouest américain. La traque du hors-la-loi mexicain plonge les personnages dans une nature farouche et leur fait parcourir des étendues inhospitalières totalement immersives. Là, protagonistes ou antagonistes, tous doivent faire preuve d'une grande capacité d'adaptation et se prêter à un jeu dangereux, celui de flirter avec leurs limites personnelles. Or, à ce jeu, que ce soit Call et ses compagnons ou Joey et les siens, tout le monde ne peut gagner. La question se pose alors de savoir qui perdra et dans quelles circonstances.

En attendant de nous livrer son verdict, le romancier américain développe une trame passionnante, parsemée de scènes d'action, de temps d'introspection et de quelques moments suspendus, durant lesquels il expose ses personnages à l'adversité. Les femmes y font particulièrement bonne figure. Il faut dire que, dans cet environnement pourtant très masculin, l'auteur leur offre de beaux rôles. Le reste de la distribution est aussi soigné et, durant les presque 800 pages que dure le roman, Larry McMurtry prend non seulement le temps de creuser la personnalité de tous ceux qui arpentent son décor mais également celui de sonder leurs motivations. C'est à ce point qu'on réalise que tous, pour une raison ou pour une autre, peinent à choisir entre la nécessité d'un confort et l'envie d'aventures. Or, comme vous le savez, choisir c'est renoncer. Au-delà de simplement proposer une formidable chute à la série, Les rues de Laredo ouvrirait-il une piste de réflexion sur le renoncement nécessaire ?