jeudi 23 mars 2023

Les meilleurs récits de Astounding Stories (1 - période 1934/37)

Jacques Sadoul
présente

Les meilleurs récits de Astounding Stories (1 - période 1934/37)

Ed. J'ai Lu 


Dans la mesure où ce premier volume consacré à Astounding Stories ne s'ouvre qu'en 1934, j'imagine que la revue, créée quatre ans plus tôt, n'a rien publié de vraiment mémorable durant les premières années de son existence. Pourtant, on dit souvent que, de tous les pulps parus à cette époque, il est celui qui donna ses lettres de noblesse à la science-fiction moderne. Mais il aura sans doute fallu attendre 1933 et l'arrivée de son deuxième éditeur, F. Orlin Tremaine, pour que ce magazine de science-fiction, qui publie alors des histoires romancées souvent sans fondements scientifiques, trouve sa ligne éditoriale et son ton, se distingue et devienne finalement l'un des plus importants de son temps. Sa première période, qui s'étale de 1934 à 1937, voit paraître les huit nouvelles suivantes.

Raymond Z. Gallun, Le Vieux fidèle 

Après des années de recherches, un martien a mis au point un moyen de communiquer avec la troisième planète. Or, des réponses aux signaux lumineux qu'il envoie la nuits lui parviennent ! Le problème est qu'il est seul à maîtriser cette technique et qu'il se sait condamné à mourir d'ici quelques jours.
 

Catherine L. Moore, Rendez-vous au fil du temps

Un aventurier, blasé d'avoir déjà tout vu et tout vécu à seulement trente ans, rencontre un scientifique qui vient d'inventer une machine à voyager dans le temps. Il se porte aussitôt volontaire pour l'essayer alors que les expériences prouvent que le voyage est sans garantie de départ et, surtout, de retour.
 

Stanley Weinbaum, Les Mangeurs de lotus

Cette nouvelle, également présente dans cet autre recueil, met en scène un ingénieur et une biologiste en lune de miel sur Vénus. Bien décidé à joindre l'utile à l'agréable, le jeune couple observe son environnement avec une attention toute scientifique, ignorant encore ce qu'il s'apprête à découvrir...

Harl Vincent, Le Rôdeur des terres incultes

Alors qu'il survit depuis trois ans dans la nature, un animal retrouve la civilisation, partagé entre la crainte de l'inconnu et le désir de rompre sa solitude. Il réalise alors, au regard que des chercheurs posent sur lui, qu'il n'est pas un félin quelconque mais l'objet d'une expérience scientifique en cours.

Chan Corbett, Au-delà de l'infini

Pour la troisième fois de son histoire, la Terre subit les attaques d'une puissance venue de l'espace. Le conflit ne tourne pas à son avantage. Les hommes meurent au combat, les réservistes et les civils rongent leur frein dans les abris souterrains. Pendant ce temps-là, un savant noircit des pages de calculs.
 

Don A. Stuart, La Nuit

Un avion, dont le pilote tente de défier la pesanteur, vole a très haute altitude. Puis c'est l'accident. Son équipe accourt au point d'impact et découvre un appareil réduit en miettes mais... vide. Personne n'est à bord. Bientôt, le pilote est retrouvé dans une ferme non loin de là, vivant, indemne mais frigorifié.
 

Wallace West, Le Dictateur fantôme 

Le monde entier ne parle que de ce film que les cinémas projettent en boucle. Le monde entier ? Presque. Sans doute moins influençable que ses concitoyens, un docteur a saisi qu'il diffusait un message subliminal, rendant le spectateur captif de son discours politique. Mais comment lutter ?
 

Jack Williamson, Le Cercle galactique

Un journaliste est envoyé par son journal pour couvrir la présentation d'une invention financée secrètement par l'homme le plus riche du monde : une machine qui permet d'altérer la matière. Un savant prend la parole et propose à l'assistance de participer à une expérience. Tous sont volontaires.
 
Si l'échantillon est représentatif de la ligne éditoriale sous la direction de Tremaine, on peut en conclure que la revue propose alors des nouvelles de bonne facture et qui ont toutes le mérite d'ouvrir une piste de réflexion, plus ou moins prometteuse. Elles ne sont pas incroyablement originales pour la plupart mais sont variées, dans leur format comme dans le fond ou la forme, allant du naïf au rigoureux, du voyage sidéral à la réflexion politique. N'oublions pas qu'à l'époque le magazine se cherche encore et n'a d'ailleurs toujours pas adopté son nom définitif. À compter de l'année suivante, John W. Campbell, le futur auteur de La Chose et bientôt directeur de l'excellente revue Unknown, en prendra la direction et l'intitulera Astounding Science-Fiction. C'est à partir là que la revue entre dans sa deuxième période, qui couvre les années 1938/45.


Et pour en savoir plus sur les autres titres de la collection,
cliquez sur la pelle et la pioche.

mardi 21 mars 2023

Joseph Kessel - Les mains du miracle

Joseph Kessel Les mains du miracle gallimard
Joseph Kessel 

Les mains du miracle 

Ed. Gallimard

 
Aventurier, aviateur ou grand reporter, Joseph Kessel fait partie de ces hommes incroyables qui semblent avoir vécu plusieurs vies. L'une d'entre elles, et ce n'est pas la moindre, le voit être romancier. Il signe plusieurs dizaines de livres, souvent inspirés de son histoire personnelle ou de ses voyages puis, après la libération, il consacre notamment sa plume à mettre en lumière des personnalités importantes guettées par l'oubli et dont les actions notables ou les comportements sont injustement méconnus.
 
C'est là qu'entre en scène Felix Kersten.
 
Un beau jour de l'année 1939, ce médecin et masseur, qui passe pour savoir guérir les maux les plus insoutenables et dont la réputation dépasse largement les frontières de son pays, est contacté par un de ses amis pour une intervention délicate. Ce n'est pas tant le mal qui pose problème que celui qui en est le sujet : Heinrich Himmler ! Le Reichsführer, maître absolu de la SS et chef de la Gestapo, souffre de douleurs atroces et demande le docteur à son chevet. D'abord très réticent, ce dernier s'y rend finalement et masse son patient, le soulageant comme jamais personne n'y était parvenu.
 
Victime de régulières rechutes, le haut dignitaire du Troisième Reich réclame la présence permanente du médecin à ses côtés. Une étrange relation s'installe alors entre les deux hommes, Himmler devenant peu à peu dépendant des pouvoirs apaisants de Kersten et celui-ci profitant de son influence pour négocier ses soins contre des "services". Au risque de sa propre vie, il va ainsi sauver des dizaines de milliers de personnes et communiquer secrètement aux autorités les informations capitales qu'il tire du militaire par la flatterie ou la manipulation pendant les séances.

À sa lecture, le récit peut paraître difficile à croire - l'auteur le concède lui-même. En effet, il semble assez improbable qu'un homme comme Heinrich Himmler, ministre de l'Intérieur du Reich et homme de confiance d'Adolf Hitler, puisse avoir été aussi influençable, alors qu'il est intelligent, dangereux et fanatique. Mais, en même temps, il est décrit comme quelqu'un d'isolé, souffrant et dépendant, manquant cruellement d'un confident, d'un ami. C'est dans ce contexte que Kersten, avec son visage rond, son air amical et sa capacité à soulager le mal, a trouvé la faille et exploité la proximité imposée par Himmler.
 
Avec ce récit improbable, dont l'authenticité est toutefois confirmée dans sa préface par Hugh Trevor-Roper, historien britannique et officier du MI6, Joseph Kessel ne se contente pas de plonger le lecteur dans les heures noires de l'Histoire, il lui fait côtoyer l'un des plus grands criminels de guerre que le monde ait connu. La confrontation entre ce dernier et le docteur Kersten, un homme bon et intègre qui n'hésite pas - presque inconsciemment - à s'exposer au danger, est magistrale. L'auteur sonde les âmes des protagonistes avec passion et il retranscrit avec justesse l'engagement de l'un pour le bien et de l'autre pour le mal. C'est fascinant.

Quant à l'interprétation de cette version audio par Michel Vuillermoz pour le compte des éditions Gallimard, elle est tout simplement parfaite. Comme le texte.

lundi 20 mars 2023

Laurent Tillon - Les fantômes de la nuit

Laurent Tillon Les fantômes de la nuit Actes Sud
Laurent Tillon 

Les fantômes de la nuit 

Ed. Actes Sud 


Vampire transylvanien expatrié pour les beaux jours dans la capitale ou justicier de Gotham en quartiers d'été à Paris, une pipistrelle s'est installée dans ma cour d'immeuble. Tous les soirs, à la tombée de la nuit, elle sort de sa cachette et tourne à hauteur de mon étage, gobant, j'imagine, les insectes qui ont eu le malheur de se risquer sur son territoire. J'aime l'apercevoir, furtive et se jouant de l'obscurité.

Laurent Tillon, lui, ne se contente pas de s'accouder à sa fenêtre, entre chien et loup. Il passe ses nuits en forêt, grimpe aux arbres, tend des filets et attend. Il est chiroptérologue. Dans son essai, le biologiste de formation, ingénieur à l'ONF et spécialiste de l'écologie des chauves-souris, rend compte de son travail qui consiste à étudier le fonctionnement des écosystèmes et les relations entre les espèces animales et les arbres, avec pour objectif d'intégrer les enjeux de biodiversité à la gestion forestière. Il propose donc au lecteur de l'accompagner dans ses expéditions et tâche de lui communiquer sa passion pour cette étrange créature nocturne. Alors il présente l'animal, ses caractéristiques et son mode de vie, raconte les étapes par lesquelles les chercheurs sont passés pour combler les lacunes à son sujet, les techniques barbares et les expériences atroces menées pour en percer les secrets, s'en indigne, puis, car c'est finalement le sujet du livre, il analyse les conditions de cohabitons entre humains et chauves-souris et l'impact du comportement des uns sur les autres. Enfin, il s'interroge sur la situation actuelle et sur la capacité de ces mammifères à s'adapter à un environnement en pleine mutation - entre réchauffement climatique, champs éoliens ou omniprésence des ondes magnétiques - et sur les conséquences du cas contraire.

Navigant de la pop-culture aux données rigoureusement scientifiques ou historiques, d'anecdotes personnelles à d'étonnantes mises en situation à la place d'une chauve-souris, son livre est riche d'enseignement et de bon sens. De plus, en donnant la parole au monde animal et en tentant d'en tirer une interprétation pertinente, il invite le lecteur à repenser sa place dans le vivant, au même titre que les autres livres de l'excellente collection dans laquelle il s'inscrit. Puis, quand vous aurez tourné la dernière page, vous irez immanquablement guetter par la fenêtre. C'est ce que je m'apprête à faire, il commence à faire sombre. J'ai un rendez-vous.

samedi 18 mars 2023

Kaput - Un tueur

Frédéric Dard 

Kaput

Ed. Fleuve Noir 

 
En 1956, alors que les aventures du commissaire San-Antonio comptent déjà une vingtaine d'épisodes et semblent bien parties pour durer, l'auteur entame une nouvelle variation sur un thème qu'il a déjà exploré et abandonné en cours de route quatre ans plus tôt avec Les confessions de l'Ange Noir : les récits d'un gangster racontées à la première personne. Il y revient avec les quatre volumes suivants qui retracent le parcours sanglant d'un malfrat plus complexe et plus torturé que le précédent et dont les intrigues, l'ascension et la chute, sont plus consistantes. Voyons à quel point :
 

La foire aux asticots


Kaput, dont on ignore le vrai nom, est un jeune homme de 22 ans, un petit délinquant sans envergure et dont les plans pour l'avenir ne vont pas au-delà de l'année qu'il doit passer derrière les barreaux pour braquage. Mais à la suite d'une évasion hasardeuse, de rencontres discutables, de malchance et de mauvais choix, il va laisser un opportunisme malheureux guider ses pas et emprunter une route sanglante. 

Malgré une intelligence vive, un bagout exceptionnel et un grand sens de la débrouille, il se heurte invariablement aux limites de sa condition. Fataliste, il se résigne alors à prendre les choses en main et à adopter l'unique comportement que la société attend des gens comme lui, celui de la manière forte.

La dragée haute


Arrivé en Italie, sans le sou et sans perspective, Kaput rencontre, au hasard de ses déambulations, un concitoyen désœuvré et solitaire auquel il est évident qu'il plait bien. Il décide de saisir cette opportunité pour se débarrasser de lui, lui voler son identité et se fondre dans la nature. Une fois endossée sa nouvelle vie, il réalise que le compte en banque à son nom est très, très bien garni. Mais comment avoir accès à ce pécule ? 
 
Temporairement associé avec une jeune femme prise en flagrant délit de triche au casino, il met au point un plan qui semble solide. Mais c'était sans compter sur les caprices du destin et sur la poisse qui lui colle à la peau et qui entrave sa détermination, sa ruse et son sens de l'à-propos.
 

Pas tant de salades

 
Bien que sa trombine soit affichée en une des journaux, Kaput a plus ou moins réussi à se faire oublier. Mais à quel prix ! Il traine ses guêtres, la faim au ventre et la mine mauvaise. Paradoxalement, il a le sentiment d'être en vacances, en temps mort. "Une sorte de trajectoire vide dans du vide..."
 
Jusqu'au jour où, embauché en renfort depuis quelques semaines par un forain, il est reconnu par un vieil homme qui lui propose un marché. De l'argent, beaucoup d'argent contre son silence et la tête d'un type. Le problème, c'est que le type en question n'est pas n'importe quel quidam. Il s'agit d'un chef de gang, craint et protégé. À la fois prêt à crever et en état de grâce, décidé à rompre le cou aux circonstances qui ont fait de lui un truand et l'ont réduit à la condition de simple gibier de potence, il accepte.
 

Mise à mort 
 

 
Devenu caïd à la place du caïd, plein aux as et "fringué comme une vedette de ciné", Kaput est au sommet de sa gloire. Il en a terminé avec les années de vache maigre. Maintenant, le patron, c'est lui. Vraiment ? Ce n'est pas ce qu'à l'air de penser ce parrain qu'il reçoit un jour dans son bureau et qui lui affirme qu'il est chez lui...
 
Le titre annonce la couleur et le fait que ce volume ne soit suivi d'aucun autre est éloquent. On se doute dès les premières pages que l'heure des comptes a sonné. Et, effectivement, après avoir joué avec le feu pendant si longtemps, Kaput finit par se brûler, rattrapé par une ambition dont il n'avait peut-être pas les moyens. Cela pouvait-il réellement se terminer autrement qu'en une apothéose sanglante et violente ?
 
 
Contrairement aux exploits de l'Ange Noir, dont l'aspect systématique offrait à son auteur la possibilité d'une série à rallonge mais émoussait également l’intérêt que le lecteur pouvait accorder à un personnage aussi mécanique et attendu, les récits de Kaput voient évoluer un protagoniste qui s'humanise au fil des épisodes. Ses mésaventures, teintées d'une dimension sociale et psychologique, dévoilent l'homme derrière le gangster, révèlent ses failles et ses faiblesses. Alors une proximité s'installe, preuve que, en peu de temps, Frédéric Dard a indéniablement gagné en maturité et en ambition, autant de qualités qu'associées à la parfaite maîtrise d'une langue argotique, inventive et imagée, il réinvestira dans son Grand Œuvre, San-Antonio.

vendredi 17 mars 2023

San-Antonio - Béru et ces dames

San-Antonio Béru et ces dames Fleuve Noir
San-Antonio 

Béru et ces dames

Ed. Fleuve Noir 

 
Alexandre-Benoît Bérurier revient à Saint-Locdu-le-Vieux (Normandie), pour y enterrer son oncle Prosper. Il y retrouve sa cousine Laurentine, avec laquelle il est fâché depuis toujours mais avec laquelle, surtout, il est couché sur le testament du vieil homme. Et pas n'importe quel testament ! Les légataires se retrouvent propriétaires d'une vaste demeure à Paris. Toutefois, il y a une condition : les deux cousins doivent s'occuper à tour de rôle, une semaine chacun, du coq domestique du défunt, Mongénéral. À la mort naturelle de l'animal, et à ce moment-là seulement, ils deviendront propriétaire du bâtiment. Attention, pas question de passer le gallinacée à la casserole : un vétérinaire est assermenté pour s'assurer de son bon traitement et, en temps venu, du caractère naturel de sa mort... S'il venait à lui arriver quoi que ce fût, l'héritage reviendrait à la commune.

Après avoir confié le coq à Berthe, Béru se rend avec Laurentine et San-A à la demeure en question. Horreur, il s'agit d'une maison close. L'oncle Prosper cachait bien son jeu, le saligaud ! Voilà Béru, flic, et Laurentine, bigote, à la tête d'un bordel ! Et encore, ils ne sont qu'au début de leurs surprises. Et de leurs problèmes...

Une fois placé ce cadre tout droit sorti de l'imagination sans limite d'un San-Antonio au sommet de sa forme, l'intrigue peut se mettre en branle - si je puis me permettre. Mais, comme souvent, c'est moins pour la trame fantasque que pour les divagations débridées qui en découlent que cet épisode des aventures du commissaire vaut le détour. Je vous laisse imaginer la couleur des dialogues, la teneur des réflexions et le niveau des observations auxquels peuvent se livrer les nouveaux tauliers de cette maison de joie. Comme à sa bonne habitude, l'auteur profite de l'occasion pour offrir une démonstration de calembours et de bons mots, de notes de bas de page et d'adresses au lecteur.
"Tu la trouves pas misérable dans son genre, notre condition ? A priori, on a tout : l'intelligence, le pognon... On peut envoyer des fusées sur la Lune, attacher des casseroles à la queue des chiens, regarder la télévision, cuisiner des rognons sauce madère, écrire des livres, sauter des dames, des messieurs ou même des chèvres si le cœur vous en dit, et pourtant on reste accroché à cette saloperie de fil invisible qui vous tire dans la mouscaille lorsqu'il en a envie."
Ce hors-série, plus long et plus consistant que les épisodes classiques, permet à "l'anarchiste gentil de la littératouille policouille" de développer sa pensée en profondeur. Il glisse de nombreuses remarques assez justes sur la société, son fonctionnement, et prend le temps de s'interroger sur les vices et les dérives de ses contemporains, ainsi que, évidemment, sur le plus vieux métier du monde. À ce sujet, il frappe quelques statistiques au coin du bon sens puis d'autres considérations à ceux du pessimisme et de la lucidité, le tout avec un humour ravageur. Un régal !
 


 
Et pour suivre l'avancée de ma lecture complète des aventures du commissaire San-Antonio, cliquez sur le sourire de l'auteur !

mercredi 15 mars 2023

Stephen King - Magie et Cristal

Stephen King  Magie et Cristal La Tour Sombre J'ai lu
Stephen King 

Magie et Cristal (La Tour Sombre - IV)

Ed. J'ai lu

 
Voilà, à trente ans d'intervalle, après avoir traversé pour la seconde fois les mornes plaines à la poursuite de l'Homme en Noir dans Le pistolero,  assisté à l'affrontement contre les homarstruosités dans Les trois cartes puis embarqué à bord du train fou dans Terres perdues, j'ai posé mon premier pas dans l'inconnu, enthousiaste à la perspective de découvrir la suite, enfin ! Mais... mais... comment dire... ça n'a pas été simple...
 
J'ignore s'il manque dorénavant la nostalgie qui a agi lors de ma relecture des trois premiers volumes, si j'ai pris un coup de vieux ou si je suis devenu blasé, si le livre ne correspond pas à mes attentes ou s'il n'est tout simplement pas à la hauteur, toujours est-il que j'ai tiré la langue. Il faut dire que, sur le bon millier de pages que compte ce quatrième volume, l'auteur en consacre facilement six ou sept cents à un épisode de la vie de Roland à côté duquel je suis complètement passé : comment, jeune homme, il a rencontré Susan, comment il en est tombé amoureux et en quoi cela a impacté sa relation avec Alain et Cuthbert, son Ka-Tet de l'époque.
 
Ainsi, presque exclusivement axé autour de la jeunesse du Pistolero, Magie et Cristal ne rapproche pas réellement nos personnages de leur objectif et ne fait pas même avancer la trame. Le livre s'ouvre là où le précédent se refermait, dans le monorail lancé à vive allure, alors que Roland et ses camarades s'apprêtent à affronter la machine dans la joute d'énigmes annoncée. Après l'avoir vaincue, ce qui clôture un très bon passage, ils en descendent et découvrent une ville en ruine, ravagée par une épidémie. C'est là que Roland décide de se lancer dans le récit de son souvenir.
 
Et c'est long. Très long. Trop long.
 
L'auteur, qui n'est pas à son meilleur dans ce registre, donne l'impression de tirer à la ligne et ne parvient pas réellement à convaincre de la nécessité d'un retour en arrière de cette envergure. Je ne suis pas opposé à ce que le romancier sorte d'un scénario linéaire, bien au contraire, et je suis même adepte des sentiers de traverse qui élaborent et creusent les personnages. Mais ça ne peut pas fonctionner à tous les coups et, dans ce cas précis, je pense qu'une évocation elliptique aurait suffi, d'autant plus qu'on comprend rapidement où il veut en venir. Bref, c'est long. À tel point que j'ai fini par sauter des pages et des pages et des pages. À tel point que je me demande même si je vais m'aventurer dans celles qui composent Les Loups de la Calla. C'est vous dire si je me suis ennuyé.

mardi 14 mars 2023

Jimmy Guieu - Hantise sur le Monde

Jimmy Guieu Hantise sur le Monde Fleuve Noir anticipation
Jimmy Guieu

Hantise sur le Monde

Ed. Fleuve Noir 

 
Après Au-delà de l'infini & L'invasion de la Terre, deux romans sur lesquels j'aurais bien du mal à revenir pour la simple et bonne raison que ma mémoire a procédé à du tri et en a évacué les souvenirs clairement dispensables, Jimmy Guieu fait reprendre du service à deux de ses personnages récurrents : Jerry et Nicky.
"Séduisant, athlétique, Barclay arborait un justaucorps turquoise et Nicky une courte tunique safran dont l'arrondi dénudait son épaule et la naissance de ses seins fermes qui se passaient fort bien d'un soutien-gorge !"
La trame de ce mauvais roman - excusez-moi mais je m'apprête à tirer sur l'ambulance, c'est plus fort que moi - la trame, disais-je, n'a aucun intérêt et ne sert que de prétexte pour aligner des réflexions misogynes. Pour autant, je tiens à la partager avec vous et à en souligner le caractère... hmmm... rigolo ? Vous me direz. Voilà. Une race extraterrestre arrive sur Terre et en décime les habitants par milliers. Ces envahisseurs, qui sont des êtres unicellulaires doués d'une forme élémentaire de pensée et pourvus d'une vingtaine de tentacules ou pseudopodes, répandent une bave urticantes fatale aux humains. Les scientifiques, du fait de la masse glaireuse, visqueuse et tremblotante de ces créatures mystérieuses, les désignent donc du nom de "amiboïde-cerveau". Et pour cause, elles évoquent irrésistiblement une forme gigantesque de protozoaire. En toute logique, Jerry Barclay, spirituel jusqu'au bout des ongles, préfère le terme suivant : Protozobaire. 

J'ai dit rigolo, n'est-ce pas ?
 
Les autorités font appel à notre héros pour résoudre le problème et, comme l'auteur n'est pas à un cliché près, elles lui annoncent qu'il a carte blanche. En parlant de clichés, le romancier au brushing n'est jamais aussi inspiré que lorsqu'il aborde la notion de féminisme. En effet, entre la jeune femme qui se débat "avec des cris de terreur", celle qui est "au bord de l'hystérie" ou encore cette autre qui sent qu'elle va "piquer une crise de nerfs" et à laquelle notre héros répond invariablement "OK, mon chou", tous les poncifs sexistes y passent. L'image de la femme en prend un coup et le rapport de domination est sans nuance. D'ailleurs, de la nuance, le roman en est dépourvu. Ni nuance, ni subtilité. Pas non plus de décence, ce dont on se rend compte dès les premières pages et, précisément, à la description suivante, celle d'un cadavre. Je vous la livre tel quel mais vous rappelle à toutes fins utiles que le portrait que vous vous apprêtez à lire est celui d'une femme tuée par une créature extraterrestre :
"Penchés sur une jeune Américaine en mini-short et boléro translucide au large décolleté sur ses seins nus, un médecin et un physiologiste commencèrent le premier examen."

Tout est dit. Prochain épisode des aventures de Jerry et Nicky : L'Univers vivant. J'ai hâte !




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FNA n°18

jeudi 9 mars 2023

Les meilleurs récits de Weird Tales (3 - période 1938/42)

Jacques Sadoul présente Les meilleurs récits de Weird Tales 3 période 1938/42 J'ai Lu
Jacques Sadoul
présente

Les meilleurs récits de Weird Tales (3 - période 1938/42)

Ed. J'ai Lu 


Faut-il vraiment que je présente encore une fois Weird Tales, le magazine occasionnellement annoncé comme "unique en son genre" ? Pour l'avoir déjà introduit ici et , on va dire que non. Après tout, quand je vois que Jacques Sadoul lui-même se contente de quelques lignes paresseuses en guise d'introduction de ce volume et, aussi surprenant que cela puisse paraitre, y confesse avoir casé certains textes pour leur notoriété mais clairement pas par goût, je pense que le mieux est d'être bref. Bref, donc, nous sommes en 1938. Lovecraft est mort, Howard également, et la relève n'est pas encore assurée. Le sera-t-elle un jour ? Rien n'est moins sûr. En effet, la revue, qui tourne sur ses acquis, a déjà un pied sur la planche savonneuse et verra la fin de son existence quelques années plus tard, après toutefois avoir encore publié quelques nouvelles, dont les suivantes.
 

Henry Kuttner, L'Ombre sur l'écran 

Un producteur de cinéma de genre, à la recherche de la perle rare, entend parler d'un projet mené par un réalisateur génial mais très secret. Celui-ci accepte de lui organiser une projection privée des rushs de ce qu'il considère comme un chef-d'œuvre d'horreur, impossible à révéler à un monde immature.

Robert Bloch, Esclave des flammes

Abe, un jeune garçon un peu perdu et apprenti pyromane, est un jour interpelé par un inconnu alors qu'il est sur le point de craquer une allumette. L'homme, mystérieux, s'avère être un illuminé fasciné par le feu et convaincu d'avoir une mission incendiaire à remplir. Il décide d'impliquer Abe dans son projet.
 

Ralph Milne Farley, La Maison de l'extase

Le narrateur s'adresse à vous, lecteur, pour vous rappeler cette soirée dont vous n'avez gardé aucun souvenir. Pour cause, ce jour-là, vous avez assisté à une séance de spiritisme au cours de laquelle vous avez fait une promesse que vous avez été condamné à oublier. Vous ne l'avez donc jamais honorée...

Robert Barbour Johnson, Tout au fond

Après s'être préparé à travailler dans un muséum d'histoire naturelle, un jeune homme s'engage dans la "Brigade Spéciale". Cette unité sécurise les tunnels du métro new-yorkais alors que les rames circulent et que les usagers ignorent les dangers qui se terrent dans l'obscurité et auxquels ils sont exposés.
 

Clark Ashton Smith, Le Jardin d'Adompha

Tout le monde a entendu parler du jardin secret que renferme le palais du roi Adompha mais, à part ce dernier et Dwerulas, le magicien de la cour, nul ne sait ce qu'on y trouve. Les légendes les plus folles circulent à son sujet. Toutes sont fausses. Toutes sauf une, celle impliquant les mains de Thuloneah.
 

Forrest J. Ackerman & Catherine L. Moore, La Nymphe des ténèbres 

Au hasard d'une ruelle très sombre quelque part sur Vénus, Northwest Smith, aventurier spatial, vient au secours d'une jeune femme en fuite. Une fois à la lumière, il réalise qu'elle est invisible aux yeux des hommes ! Il va l'aider à se libérer de l'emprise des Nov, les créatures auxquelles elle vient d'échapper.

David H. Keller, La Déesse de Zion

Lors d'une visite du Parc National de Zion, un touriste est abordé par un inconnu qui lui propose de le guider le lendemain tout en haut de la montagne au pied de laquelle ils se trouvent. Au petit matin, les deux hommes démarrent leur ascension vers ce sommet qu'habituellement personne n'escalade.

Seabury Quinn, Routes

Sous les ordres du procureur de Judée, les soldats romains massacrent tous les garçons de moins de deux ans. Un barbare du nom de Kraus, qui découvre le pays, le peuple juif et la rumeur de la venue du messie, décide de s'opposer à la boucherie et s'impose comme le protecteur de la veuve et de l'orphelin.
 

Henry Kuttner, L'Hydre

La presse s'empare d'un fait divers pour le moins incompréhensible et que la science elle-même a du mal à justifier : la mort bizarrement liée de trois personnes tournées vers l'occultisme, la projection astrale et la consommation de stupéfiants. Mais ces décès sont-ils si suspects ? Voyons cela.
 

Fritz Leiber, Le Tueur fantôme

Le narrateur, qui vient s'installer dans le petit appartement qu'occupait son oncle récemment décédé, pose sa valise en carton et interroge le propriétaire. Celui-ci, pas plus que les autres, n'a grand chose à dire du défunt, un vieil homme solitaire qui n'a rien laissé derrière lui qu'une présence palpable.

Arrivé à la fin de ce troisième et dernier volume, c'est l'heure des comptes. L'ensemble, qui couvre une vaste période s'étirant de 1925 à 1942, est relativement homogène et la conclusion qui s'impose en ce qui concerne les dernières années est finalement la même que pour les autres : c'est plutôt bon. On baigne dans l'étrange, bien que rarement dans l'inattendu, entre fantastique et horrifique. Souvent efficace et toujours de qualité, en tout cas pour ce que j'ai pu en lire, le magazine finira pourtant par s'éteindre. Son dernier numéro voit le jour en 1954, après avoir contribué pendant plus de trente ans à promouvoir la littérature de genre et à faire découvrir le talent d'auteurs aujourd'hui incontournables.


Et pour en savoir plus sur les autres titres de la collection,
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Frédéric Dard - Les confessions de l'Ange Noir

Frédéric Dard 

Les confessions de l'Ange Noir 

Ed. La pensée moderne


En 1952, encore aux prémices de sa carrière d'écrivain et trois ans seulement après avoir donné naissance à San-Antonio, Frédéric Dard se lance dans une courte série en quatre volumes mettant en scène un malfrat dont on ignore le véritable nom : l'Ange Noir. Entre ce personnage et celui du commissaire, dont il ne se contente pas d'être le double maléfique, il y a peu de points communs. Et pour cause, sorties des quelques similitudes formelles et du récit à la première personne, force est de constater que les deux séries ne sont pas réellement comparables - que ce soit pour les décors, le ton, la construction des intrigues ou encore la philosophie et les positionnements de leurs protagonistes. Quant au style, l'auteur n'a pas encore vraiment trouvé le sien et donne l'impression de travailler ici ses gammes argotiques, tout en se cantonnant à des trames basées sur un enchaînement de rebondissements. D'ailleurs, venons-y :
 

Le boulevard des allongés

 
L'Ange Noir est un homme à la gâchette facile, porté sur l'alcool et les femmes, dont la réputation n'est plus à faire, recherché par toutes les polices, craint et respecté dans les milieux interlopes qu'il fréquente. Nous faisons sa connaissance à Chicago, alors qu'il vient de se faire arrêter pour un meurtre qu'il n'a pas commis mais que les autorités, trop heureuses d'avoir trouvé un prétexte pour lui mettre la main dessus, lui font sans complexe endosser pour tous les autres.
 
Avec l'aide d'une complice et de son avocat, il met sur pied une évasion qui le conduit à prendre en otage la fille d'une personnalité importante du monde de la finance et à laisser derrière lui une route jonchée de cadavres. Surtout, une fois dehors, il compte bien se venger du cave qui l'a donné...
 

Le ventre en l'air !


Fraîchement arrivé à New York, l'Ange Noir est alpagué par un agent fédéral qui lui confie une mission en échange d'un coup d'éponge sur son ardoise : assassiner un sénateur. La mission ne sera pas simple, d'autant plus que la cible est très protégée, notamment pas les propres services du commanditaire...
 
Comme notre gangster est de loin le meilleur pour accomplir ce type de forfait, il élimine sans problème le politicien puis vient rendre compte de son exploit, sûr de lui. C'est alors qu'il réalise que l'homme en costume qui l'a mis sur le coup l'a embobiné : non seulement il lui a menti sur son identité mais il ne travaille même pas pour le gouvernement. Mais L'Ange Noir n'est pas le genre de type qu'on roule impunément dans la farine. Son "employeur" va voir ce qu'est réellement "un individu sans moralité".
 

Le bouillon d'onze heures

 
Dans l'intérêt de sa santé, alors qu'il est "sérieusement scié aux USA, où rien que [s]on nom donne le cafard aux flics", l'Ange Noir est venu se faire oublier en Angleterre. Un coup du hasard lui fait constater que, dans son hôtel, le gars qui occupe la chambre attenante à la sienne s'expédie des paquets remplis de billets. Il décide donc de les intercepter, au prix de deux ou trois quidams balancés dans une cage d'ascenseur. Malheureusement, l'une des victimes est tombée avec un document compromettant à la main...

Entre les fuites dans les rues londoniennes, une mission expéditive dans un asile d'aliénés, des ramponneaux et des dragées, des macchabées, l'Ange Noir sera rapidement aussi tricard dans la perfide Albion qu'aux États-Unis. On le laisse à la fin de ce roman sur un ferry pour la France. 
 

Un cinzano pour l'Ange Noir !

 
Quelle est la meilleure chose à faire quand on arrive à Paris ? S'offrir un cinzano dans le premier troquet venu et y proposer une cigarette à une jolie inconnue. La demoiselle en question, fille d'un riche entrepreneur, partage avec l'Ange Noir la juteuse affaire d'extorsion des fonds de son père à laquelle elle travaille. Ni une, ni deux, il s'empare du plan. Il réalise alors, coup de théâtre, que le vieil homme n'a pas d'enfant...

Embarqué dans un bourbier qui le dépasse et entravé par sa méconnaissance de la langue et des coutumes, voilà notre homme en fâcheuse posture. Il devra faire parler la  poudre et semer les cadavres pour s'en sortir. Ça tombe bien, c'est ce qu'il fait le mieux !


Arrivé à la fin du quatrième volume, un cinquième est annoncé. Il ne verra jamais le jour, j'en ignore la raison. L'auteur s'est-il lassé de ce personnage peu sophistiqué, fondamentalement cynique et violent, et dont les méthodes radicales rendent les intrigues faciles et systématiques ? C'est possible. À moins qu'il n'ait tout simplement considéré les épisodes de cette série que comme des exercices d'écriture et l'occasion d'affiner la langue qui sera sa marque de fabrique et dont le caractère inventif est déjà largement en germe. Quelques années plus tard seulement, avec Kaput, il retentera une variation sur le thème du gangster se faisant le rapporteur de ses propres mésaventures anonymes. Bien qu'elle soit plus aboutie, cette seconde salve ne fera pas non plus long feu, contrairement aux aventures du commissaire San-Antonio.

vendredi 3 mars 2023

Matthew B. Crawford - Éloge du carburateur

Matthew B. Crawford Éloge du carburateur La Découverte
Matthew B. Crawford

Éloge du carburateur

Ed. La Découverte

 
Vous êtes-vous jamais demandé si, lorsqu'on est un philosophe qui fait de la mécanique ou, à plus forte raison, un mécanicien qui fait de la philosophie, le fruit d'une réflexion sur le sens et la valeur du travail sera plutôt huilée à la burette ou hydratée au jus de cerveau ? Moi, oui. Et Matthew B. Crawford m'a servi sa réponse sur un plateau.

Dans cet essai, dont l'intention est de "réhabiliter l'honneur des métiers manuels en tant qu'option professionnelle parfaitement légitime", il ambitionne de mettre en valeur la richesse cognitive du travail manuel et d'amener à comprendre pourquoi et en quoi le labeur a visée directement utilitaire peut être intellectuellement stimulant. Pour se faire, il s'inspire de son histoire personnelle d'universitaire bardé de diplômes, directeur d'un laboratoire d'idées sur les rapports de politique publique et scientifique, reconverti en mécanicien dans un atelier de réparation de motos. Cet ouvrage est donc le fruit d'une tentative d'appréhender de façon critique sa propre expérience du travail, du costume cravate à la salopette, des stylos à plume aux clés à molette.
"Il s'agissait pour moi d'essayer de comprendre les potentialités humaines latentes de mon activité quand le travail était un "bon" travail, et, quand il ne l'était pas, d'identifier les caractéristiques qui entraient ou mutilaient systématiquement ces potentialités."
Comme on le comprend aisément, s'interroger sur le sens du travail manuel, c'est en fait s'interroger sur la nature de l'être humain et sur celle de la rationalité ; c'est mettre en question les conditions de l'agir individuel, la dimension morale de la perception et l'idéal fuyant de la communauté.
"Pour comprendre de qu'est une manière d'être spécifiquement humaine, il faut comprendre l'interaction manuelle entre l'homme et le monde. Ce qui revient à poser les fondements d'une nouvelle anthropologie, susceptible d'éclairer nos expériences de l'agir humain. Son objectif serait d'analyser l'attrait du travail manuel sans tomber dans la nostalgie ou l'idéalisation romantique, mais en étant simplement capable de reconnaître les mérites des pratiques qui consistent a construire, à réparer et à entretenir les objets matériels en tant que facteurs d'épanouissement humain."
L'auteur ne cherche pas coûte que coûte à recommander la pratique du sport automobile ou à idéaliser les mains pleines de cambouis. Il invite plutôt à remonter "les traces de nos actions jusqu'à leur source". Celles-ci peuvent "instiller une certaine compréhension de la vie bonne", une compréhension difficile à exprimer de façon explicite : "Il revient au questionnement moral de la mettre en lumière" et cela nécessite probablement de posséder une veine rebelle, un certain degré d'abstraction ainsi qu'une capacité à échapper à toute responsabilité. En effet, alors que le travail intellectuel a une tendance à déresponsabiliser les individus et que le travail manuel rend les ouvriers dépendants d'une société de consommation, rien ne devrait empêcher chacun de mener une existence prolétarienne en col blanc, intellectuelle en col bleu.
 
Mais ça, c'est la théorie. Une théorie qui n'a, en soi, rien de révolutionnaire et à laquelle en est venu quiconque a un jour réfléchi au regard implacablement hiérarchique que pose la société sur les catégories sociaux-professionnelles. Surtout, c'est une théorie qui ne se vérifie sans doute que dans une quantité marginale de cas. Pour autant, même si cet essai prône une vision assez inapplicable, il est vertueux et prouve, en guise de réponse à la question soulevée dans l'introduction, que la fumée produite par un moteur peut ne pas être si différente de celle provoquée par un échauffement de la matière grise.