jeudi 25 juillet 2024

Robert Heinlein - Destination Outreterres

Robert Heinlein 

Destination Outreterres 

Ed. Audiolib 


Robert Heinlein Destination Outreterres Audiolib
Afin de désengorger la Terre exsangue, l'humanité a décidé de coloniser l'espace !

Chaque année, de jeunes candidats sont envoyés en mission à travers le cosmos afin de tester leur capacité à s'adapter à un nouvel environnement. Ils franchissent un portail qui les transportent vers l'inconnu. S'ils survivent dix jours, ayant ainsi prouvés leur aptitude à maîtriser de nouveaux lieux de vie, ils peuvent rentrer, prêts pour le vrai voyage.

Mais voilà : le passage de retour ne s'est jamais rouvert pour Rod Walker, bloqué dans les Outreterres. Bientôt réuni avec d'autres candidats, comme lui abandonnés à leur sort sur cette planète infestée de stobors, il va devoir tout mettre en œuvre pour survivre. Le temps passe et l'évidence s'impose : le petit groupe ne rentrera jamais chez lui. Il lui faudra donc composer une nouvelle société à partir de ses connaissances et des moyens dont il dispose. Et en repenser les fondements. Quel magnifique terrain de jeu pour Robert Heinlein ! Malheureusement, là où j'aurais voulu que l'auteur de Marionnettes Humaines avance quelques réformes et se lance dans une critique de son époque, il ne s'éloigne jamais des préceptes de son temps et se contente d'un conservatisme un peu agaçant. Ainsi le roman est-il le reflet daté des années cinquante, en particulier dans les relations très inégalitaires entre les hommes et les femmes. D'ailleurs, au fil de l'intrigue, ces dernières sont bientôt réduites à leur rôle procréateur.

Concernant la forme, disons que, malgré quelques longueurs ici ou là, la narration est plutôt rythmée. Il faut dire que l'auteur est allé à la facilité et s'est principalement cantonné à des scènes dialoguées. Mais, là aussi, le temps a fait son œuvre : les échanges entre les personnages sont d'une autre époque et sonnent souvent faux. Même l'investissement du comédien qui interprète cette version audio, Frédéric Souterelle, ne parvient pas à faire oublier le complet décalage entre le futur annoncé de l'action et les expressions d'antan figées et, par conséquent, à rendre certaines scènes convaincantes. Bref, malgré quelques bonnes idées qui raviront les survivalistes les plus tenaces, Destination Outreterres est un roman de divertissement somme toute assez inoffensif et le témoignage d'une époque qui nous rappelle notamment que nous partons de très loin en ce qui concerne notre prise de conscience écologique...

mardi 23 juillet 2024

San-Antonio - Mon culte sur la commode

San-Antonio Mon culte sur la commode Fleuve Noir
San-Antonio 

Mon culte sur la commode 

Ed. Fleuve Noir 


San-Antonio se voit confier une mission de la plus haute importance : mettre un terme à la menace qui plane sur le pays et en particulier sur sa capitale, cible d'attentats à la bombe. Pour commencer, il lui faut profiter d'un vol pour interroger un certain Bezamé Moutch, ambassadeur du Razdmoul. Voilà une tâche aisée pour le commissaire. Mais c'est sans compter sur le fait que l'avion qui transporte les deux hommes explose en plein ciel, première péripétie d'une longue liste qui va envoyer notre héros et ses acolytes habituels, Béru et Pinuche, de Paris à Leningrad en passant par Helsinki.

Si ce n'est parce qu'il est le centième de la série, cet épisode n'a rien d'exactement mémorable. Son intrigue est assez faible, ne s'embarrasse presque pas plus de crédibilité que de cohérence et ses personnages font le minimum de ce que l'on peut en attendre. De plus, l'auteur leur fait parfois tenir des propos difficile à cautionner. Heureusement, la langue, elle, est toujours au rendez-vous, pleine de trouvailles délirantes et de joyeux barbarismes, malmenée avec une inventivité qui force le respect et dont je ne me lasse décidemment pas.


 
Et pour suivre l'avancée de ma lecture complète des aventures du commissaire San-Antonio, cliquez sur le sourire de l'auteur !

mardi 9 juillet 2024

Roland Lehoucq - Scientifiction

Roland Lehoucq 

Scientifiction 

Ed. Le Bélial' 


Roland Lehoucq Scientifiction Le Bélial' parallaxe
À l'image de ceux qui se jettent sur la page des résultats sportifs ou des programmes télé quand ils prennent le journal, j'ouvre directement la revue Bifrost - dont je suis un lecteur occasionnel - par la rubrique tenue par Roland Lehoucq. Dans celle-ci, tous les trois mois, ce dernier propose de confronter les applications scientifiques que contiennent des œuvres de genre à la réalité de notre monde. En effet, face aux séries qui mettent en scène la téléportation ou le voyage interstellaire, aux romans qui dotent les hommes de pouvoirs ou qui en manipulent les atomes, aux films qui jouent avec l'antimatière ou les champs de force, le public est en droit de s'interroger sur la crédibilité de ce que ces fictions lui soumettent. 

Sous-titré "La physique de l'impossible", ce volume, qui compile donc dix-sept articles déjà parus dans la revue Bifrost, se montre à la hauteur des précédents titres de la collection : ludique et passionnant ! Avec son enthousiasme communicatif et son imparable sens de la formule, Roland Lehoucq - comme toujours, suis-je tenté d'affirmer - parvient à rendre accessible des concepts qui pourraient dépasser l'entendement du commun des mortels. Inutile toutefois d'être outillé en sciences, la curiosité est l'unique prérequis ! Ainsi, vous qui vous demandez si la psychohistoire est applicable dans notre univers, si déplacer la Terre est du domaine du possible ou encore si l'homme invisible a une ombre, vous avez déjà fait le gros du travail. Vous n'avez plus alors qu'à vous en remettre au spécialiste. L'astrophysicien, directeur de la collection Parallaxe et du festival des Utopiales (entre autres), se fera un plaisir de démêler l'extrapolation romanesque de la vérité scientifique et de fournir des réponses claires à toutes ces questions.

Beau joueur, il ne cloue pas au pilori les œuvres qui prennent des libertés avec son domaine de compétence. Son idée est plutôt de s'en inspirer pour proposer une histoire de l'antimatière, expliquer ce qu'est un trou de vers, présenter les travaux de Leonid Shkadov ou exposer les contraintes de la compression de la matière. Il se fait alors clairement plaisir, ce dont on ne se rend jamais autant compte qu'arrivé à l'article d'Hal Clement, un auteur déjà invité dans les pages de La Vie Alien et dont le texte, très (trop ?) richement annoté, clôture ici l'ouvrage. Mais il n'y a pas de mal à se faire du bien, non ?

D'autres avis ? Hop ! FeydRautha, Célinedanaë, StéphanieLe Chroniqueur...

dimanche 9 juin 2024

Paul French - Sur la Planète Rouge

Paul French Sur la Planète Rouge anticipation Fleuve Noir
Paul French 

Sur la Planète Rouge 

Ed. Fleuve Noir 


David Starr est un justicier de l'espace, chargé de mener des enquêtes dans le système solaire pour le compte du Comité Scientifique Terrestre. Le temps d'un roman, il se rend sur Mars pour découvrir l'origine d'étranges empoisonnements et y mettre un terme. Cette histoire est l'occasion pour l'auteur d'introduire un personnage - dont le nom passera de David Starr à Jim Spark au gré des traductions - que l'on retrouvera dans les différents volumes qui lui seront consacrés. Les épisodes suivants, qui l'enverront explorer d'autres planètes, paraitront chez un autre éditeur, spécialisé dans la littérature jeunesse. Et pour cause, tout dans ce livre est très enfantin...

Ce qu'il est intéressant de noter, c'est qu'avec le changement d'éditeur, le nom de Paul French disparaitra des couvertures, bientôt remplacé par celui d'Isaac Asimov. En effet, Paul French est le pseudonyme employé par le créateur de la robotique pour ses livres destinés à la jeunesse.

Il y a finalement peu de chose à dire de cette série, tout au moins du premier volume. David Starr, donc, après avoir assisté à un empoisonnement, s'envole en toute discrétion pour la Planète Rouge, bien décider à élucider le mystère de la nourriture contaminée. Là, sous une couverture d'ouvrier agricole, il mène une enquête qui propose une alternance de scènes aventureuses mollassonnes et de démonstrations scientifiques peu visionnaires, le tout servi par une langue basique, à portée des plus jeunes. Ici et là s'intercalent des éléments sur le passé de ce personnage "dur et vigoureux", doté des "muscles agiles d'un athlète" et à l'intelligence "claire et pénétrante de savant de première classe". S'il semble charismatique au yeux des autres protagonistes, il ne l'est clairement pas autant à ceux du lecteur. D'ailleurs, malgré ses nombreuses qualités, il peine à convaincre.  

Autant dire que l'auteur a déjà été bien plus inspiré - et qu'il est peu probable que je m'attaque aux autres volumes.




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FNA n°44

mardi 28 mai 2024

Histoires d'extraterrestres

La Grande Anthologie de la Science-Fiction 

Histoires d'extraterrestres 

Ed. Le Livre de Poche 

 
La grande anthologie de la science-fiction Histoires d'extraterrestres Le Livre de Poche
Cela ne vous aura sans doute pas échappé si vous êtes lecteur de ce blog, j'ai un goût prononcé pour la science-fiction patrimoniale et ma tendance au complétisme me pousse à creuser les filons de cette littérature de genre. Aussi, après avoir lu (et adoré) la fameuse collection des ouvrages de Jacques Sadoul sur le pulp (c'est ici), j'ai cherché dans quel autre chantier d'excavation je pourrais me lancer. Et mon regard s'est naturellement posé sur La Grande Anthologie de la Science-Fiction, une collection mythique qui brille par ses nombreuses thématiques, des pouvoirs aux robots, en passant par les voyages dans le temps, l'espace ou la quatrième dimension. En bon élève, j'en ai ouvert le premier volume. 

Comme l'indique son titre, ce recueil offre un choix de textes sur le thème des extraterrestres. Une première introduction présente d'abord la collection puis une seconde, particulière au thème traité, annonce la couleur et pose quelques problématiques. Ensuite viennent les nouvelles ! Sturgeon, Matheson, Asimov ou encore Finney, autant d'écrivains qui mettent en scène des envahisseurs, orchestrent des premiers contacts, s'aventurent sur le terrain de l'amour ou imaginent l'apocalypse... Les nouvelles proposent de nombreuses variations sur un thème inépuisable et l'ouvrage est plutôt convaincant. Pour autant, je dois émettre une sérieuse réserve : j'ai été un peu surpris par l'absence de diversité dans le choix des trois anthologistes, pourtant réputés. En effet, alors qu'ils semblent ne s'être fixés aucune autre contrainte que celle du thème, ces derniers ont pris le parti de l'évidence. Les seize nouvelles sont donc signées d'auteurs incontournables. Soit. Mais, et c'est là que le bât blesse, ces auteurs sont seize hommes anglosaxons - dont quatorze américains. Aucune femme, aucune autre langue que l'anglais. Je trouve ça dommage.

À l'heure où j'écris ces lignes, je m'interroge donc sur la pertinence du filon. Si les quarante-deux volumes qui composent cette collection sont concoctés avec un prisme aussi réduit, je crains que cela ne s'épuise rapidement. Le mieux, pour en avoir le cœur net, est encore d'en lire un ou deux autres. Affaire à suivre.

samedi 20 avril 2024

Dennis Lehane - Le silence

Dennis Lehane 

Le silence 

Ed. Audiolib 


Afin de déségréguer les établissements scolaires, un système appelé busing est mis en place au milieu des années cinquante aux États-Unis et gagne progressivement tous le pays. Le principe est de brasser les classes sociales et de promouvoir la mixité raciale en conduisant les enfants dans une école différente de celle de leur quartier. Cette initiative n'est pas très bien accueillie et s'accompagne de nombreuses manifestations.

Dennis Lehane Le silence Audiolib gallmeister
C'est dans ce contexte que s'inscrit le roman de Dennis Lehane. Nous sommes en 1974 à Boston. Mary Pat Fennessey est une jeune femme blanche issue de la classe ouvrière, fondue dans un environnement qui lui ressemble. Percluse de préjugés et végétant dans un racisme basique, elle n'apprécie pas vraiment l'idée de voir des noirs intégrer l'école dans laquelle Jules, sa fille, doit justement faire sa rentrée. D'autant plus que depuis le décès de son mari et, plus encore, celui de son fils, emporté par la drogue à son retour du Vietnam, elle surprotège la dernière personne qu'il lui reste. Mais quand elle réalise un beau matin que celle-ci n'est pas rentrée de la nuit, elle commence à paniquer. Alors que tout le monde lui conseille d'attendre sagement qu'elle revienne, elle décide de partir à sa recherche, au risque de semer la pagaille sur son passage et de découvrir des choses qu'elle aurait préféré ignorer.

Dennis Lehane, fidèle à son habitude, utilise la trame de son roman pour revenir sur les évènements qui ont marqué sa ville, Boston. Mais, finalement, l'interdiction de la ségrégation sur laquelle s'ouvre le livre et qui lui sert de fonds historique n'en est pas réellement le sujet. La communauté irlandaise, si. En effet, en confrontant Mary Pat aux non-dits et aux silences de ceux qu'elle croyait soudés dans l'adversité et sur lesquels elle pensait pouvoir compter, l'auteur dresse le portrait d'une très grande famille liée par une même origine mais dont les intérêts communs sont empoisonnés par les inévitables secrets. En parallèle aux mécanismes du racisme, il analyse ainsi les travers de la vie communautaire.

La jeune femme au centre de cette trame est caricaturale. Raciste, buttée, violente, elle est assez attendue et, bien qu'elle navigue à vue dans une histoire lente, peu convaincante et ponctuée de facilités scénaristiques, sa détermination à vouloir élucider la disparition de sa fille a de quoi forcer l'admiration, en particulier de celui qui peine à avancer dans le récit. Heureusement, Dennis Lehane, qui est doué pour dépeindre une ambiance et restituer une époque, donne une part importante et très instructive à la dimension sociale de son livre. Ce dernier point parviendrait presque à nuancer mon avis quant à cette piètre histoire de vengeance.

mercredi 17 avril 2024

San-Antonio - La sexualité

San-Antonio La sexualité Fleuve Noir
San-Antonio 

La sexualité 

Ed. Fleuve Noir 


Le monde est menacé ! Certains des grands dirigeants européens sont neutralisées par une mystérieuse épidémie qui les touche dans leur orgueil et leur virilité. Abattus, ceux-ci ne sont plus en état d'assumer leur responsabilités. Si le mal se répand, c'est l'humanité toute entière qui court à sa perte ! San-A et Béru, chargés d'élucider ce mystère, partent pour la Grande-Bretagne afin de rencontrer le patient zéro... Nos héros réalisent rapidement que cette maladie n'a rien de naturel et qu'une conspiration vise à neutraliser les personnes les plus influentes des hautes sphères, jusqu'au grand patron de la police française, Achille... Il leur faut enrayer le phénomène sans perdre de temps ! Et trouver un remède ! C'est là que Berthe Bérurier entre en scène...

L'auteur place le sujet dont il a fait son fonds de commerce au cœur d'une intrigue débridée. Il ne se refuse évidemment aucune excentricité pour exploiter ce filon. Ainsi, en envoyant ses protagonistes d'un pays à l'autre à la rencontre des malheureuses victimes d'une abomination qui laisse les drapeaux - et le reste - en berne, il introduit des personnages secondaires d'anthologie, dont la marquise de la Lune, une spécialiste de la sexualité. Les stances de cette dernière ponctuent un roman fleuve, chapitré de "A comme Amour" à "T comme Textuel", servi par une langue d'une grande inventivité - dans lequel San-Antonio se félicite d'avoir placé un mot encore jamais employé dans aucun de ses bouquins : pusillanime - et qui démontre, s'il y en avait encore besoin, la maîtrise d'une impressionnante palette de figures de style. Aux côtés de la marquise, de ceux bien entendu de notre duo habituel, très en forme, et entourée de personnages affublés d'incroyables calembours patronymiques, Berthe tient l'un de ses plus beaux rôles, l'un des plus inattendus ! Et ce n'est pas Achille qui dira le contraire !
 
La sexualité est un must des aventures du commissaire. Son intrigue à la fois totalement absurde et en même temps d'une cohérence désarmante permet à son auteur de laisser libre cours à sa fougue et à ses délires exaltés. Le roman fourmille donc de ses inévitables digressions, en particulier concernant le thème qui lui tient tant à cœur et qui donne son titre au livre. À ce sujet, je laisse d'ailleurs le mot de la fin à la marquise de la Lune :
"Ah ! La sexualité, mon ami, est une terre encore en friche. L'homme, avec sa suffisance fondamentale, croit tout savoir d'elle ! Le fat ! Nous n'en sommes qu'aux premiers balbutiements. À l'orée, à la lisière ! Nous commençons seulement à la soupçonner, à la pressentir. Un jour, elle nous deviendra enfin ce qu'elle est. Nous l'investirons pour de bon. Nous en prendrons possession. Alors la vie basculera, je le prophétise. Les mœurs deviendront autres. Enfin maître absolu de l'extase, de la vraie, l'homme abandonnera sa vigilance qui le mène aux pires sottises. Il n'y aura plus de guerres, plus de travail, plus de crimes. Les lois tomberont. L'idée de patrie sera abolie ! Le syndicalisme ne sera plus rien. Les partis n'auront plus d'objet. Je vais même plus loin : on aboutira, au fil des siècles, à la confusion des sexes."
 


 
Et pour suivre l'avancée de ma lecture complète des aventures du commissaire San-Antonio, cliquez sur le sourire de l'auteur !

mardi 16 avril 2024

Philippe Jaenada - Sans preuve et sans aveu

Philippe Jaenada 

Sans preuve et sans aveu

Ed. Mialet Barrault 


Dans le monde de la littérature, Philippe Jaenada assume depuis quelques années le rôle d'avocat de la défense. Et il faut reconnaître qu'il est plutôt bon, même si son livre précédent, Au printemps des monstres, montrait certaines limites à cet exercice. Mais alors qu'il semblait vouloir prendre ses distances avec la robe, le voilà ramené à la réalité par une rencontre. Le coup du sort ?

Philippe Jaenada Sans preuve et sans aveu Mialet Barrault
Cette rencontre, c'est celle d'Alain Laprie, peu de temps avant son incarcération pour le meurtre de sa tante, Marie, retrouvée assassinée dans sa maison en proie aux flammes. Malgré l'absence de preuve et d'aveu, les soupçons se portent rapidement sur le "neveu préféré" de la vieille dame. Jugé puis acquitté en première instance, le coupable présumé écope finalement, en appel, d'une peine de quinze ans de réclusion. Il est aujourd'hui derrière les barreaux.
"Connaître le nom du meurtrier (ou de la meurtrière, pourquoi pas ?) de Marie n'a aucune importance pour moi - pour la famille si, bien sûr, pour la justice évidemment - et ce livre n'a même pas pour intention (malgré les apparences, je crois) d'essayer de montrer qu'Alain Laprie est innocent du crime pour lequel on l'a condamné(...)."
Le projet de Philippe Jaenada n'est donc pas de faire sortir Alain Laprie de prison. D'ailleurs, c'est impossible car il n'y a aucun recours possible à la cassation. Son projet est simplement, si je puis dire, de démontrer que le suspect n'a jamais été présumé innocent (ce que les gendarmes et les juges d'instruction n'ont pas même envisagé) et qu'il n'a pas été correctement jugé. Son livre est donc un plaidoyer pour la justice, ni plus ni moins.

L'auteur annonce d'emblée que, contrairement à son habitude, il ira droit au but. "(Au placard, digressions et parenthèses !)" Effectivement il tient globalement sa promesse et voit à la baisse l'emploi de son signe typographique favori. Dommage. De même, il ne digressera presque pas ni ne fera preuve de l'humour qui fait sa marque de fabrique. Re-dommage. Ainsi, le livre est court, sérieux, va à l'essentiel et relate les évènements à l'économie de moyens littéraires. Il faut dire que le sujet est grave. La vie d'un homme est en jeu. Celle de sa famille également. Et, au-delà de ça, ce sont les fondamentaux de la justice qui sont dans la balance.

Faisant fi du superflu, il revient donc sur les déclarations, les dossiers, les témoignages, les analyses, les expertises. Sur des faits. Et en à peine 250 pages de concret et de déductions frappées au coin du bon sens, il met le doigt sur un nombre impressionnant d'incohérences, d'invraisemblances et d'approximations. De fait, il est difficile de croire, à la lecture de cette passionnante enquête, que le condamné, qui clame pourtant son innocence et contre lequel, rappelons-le, il n'y a pas plus de preuve que d'aveu, puisse être coupable. Par conséquent, il est difficile de croire qu'il ait pu être correctement jugé. Mission accomplie pour l'avocat de la défense.

Malheureusement, pendant ce temps-là, Alain Laprie est toujours à l'ombre.

lundi 15 avril 2024

Marcel G. Prêtre - La cinquième dimension

Marcel G. Prêtre La cinquième dimension Fleuve Noir frederic dard san-antonio
Marcel G. Prêtre 

La cinquième dimension 

Ed. Fleuve Noir 


Paru en 1969 dans la mythique collection Angoisse des éditions Fleuve Noir, La cinquième dimension est, soyons clair, un roman de gare de facture médiocre. Mais il est accompagné d'anecdotes intrigantes comme je les aime et qui, à elles seules, le sortent de l’ordinaire.
 
Marcel G. Prêtre est un romancier suisse, connu - mais c'est un bien grand mot - pour les cent cinquante livres policiers qu'il a écrits entre les années 60 et 80. Ce qui fait l'honorable moyenne d'environ cinq publications par an. De fait, il est avéré que plusieurs nègres ont œuvré pour celui qui, par ailleurs, publiait également sous d'autres pseudonymes. C'est là qu'on en arrive au point qui m'intéresse : Frédéric Dard. Les deux hommes se connaissaient, étaient même amis. Or, c'est le père du Commissaire San-Antonio qui, semble-t-il, aurait prêté sa plume pour ce titre-ci. Occasionnellement réfutée, cette théorie a depuis été largement étayée par les spécialistes de l'auteur.

Ce livre, que je qualifiais plus haut de roman de gare, serait d'ailleurs plutôt un recueil de nouvelles de gare. Jugez plutôt : l'auteur met en scène quelques amis coincés par une panne de voiture dans la campagne solognote, le temps d'une soirée froide et pluvieuse. Heureusement, ils vont trouver refuge dans ce château isolé que tous pensaient à tort abandonné. Là, devant la cheminée, un verre à la main, il vont tuer le temps en se racontant des histoires - un écolier malmené, un portefeuille magique ou encore une Rolls-Royce hantée...
"Belle histoire, en vérité, monsieur, dit le châtelain ; il y a de ces choses étranges... que seuls les initiés, les élus, peuvent percevoir."
Contrairement au châtelain du livre, j'ai trouvé que les histoires, pourtant écrites avec style, avaient un intérêt très inégal et globalement assez limité. En revanche, tout comme lui, je suis parvenu à mettre le doigt sur certaines "choses étranges", réservées aux "initiés", notamment les noms des protagonistes : Frédéric Bard, Armand de Camare ou Sven Jensen*. Les allusions sembleront évidentes pour ceux qui maîtrisent les codes du monde de l'édition mais, très anecdotiques, elles n’ôteront rien aux lecteurs qui ne les auraient pas perçues. En ce qui me concerne, même si elles ont su capter mon attention, elles ne sont pas parvenu à sauver ce livre particulièrement mal ficelé et dont les grandes coutures poncives ne dissimulent pas la paresse narrative.

* Le premier est évidemment Frédéric Dard, romancier, le deuxième Armand de Caro, fondateur du Fleuve Noir, le dernier Sven Nielsen, à l'origine des Presses de la Cité.

dimanche 14 avril 2024

Florence Wells - Pointland

Florence Wells 

Pointland - L'Empire des Points

Ed. L'Alchimiste 


Florence Wells Pointland L'alchimiste
À Pointland, les citoyens vivent l'œil rivé à leur montre, non pas pour connaître l'heure mais pour être fixés sur le (dé)compte de leurs points, lequel est directement indexé sur leur comportement. Les actions du quotidien en font monter ou baisser le niveau et mieux vaut ne pas descendre en-dessous d'un certain seuil. Dans ce contexte, Pointland nous fait suivre les mésaventures de deux personnages confrontés malgré eux aux limites de ce fonctionnement. Le premier, Tséga, une jeune femme sans histoire qui rêvait de se teindre les cheveux en bleu, vient de céder à cette simple excentricité capillaire. Le second, Valmir, un fonctionnaire qui possède un nombre confortable de points, respecte le dogme à la lettre et n'hésite pas à dénoncer ceux qui s'en écartent, pourrait bien être en train de pêcher par excès de zèle. Tous les deux, chacun de son côté et pour des raisons différentes, s'apprêtent à sortir du droit chemin.

En matière de dystopie, il m'arrive de me demander si tout n'a pas déjà été imaginé. Et, effectivement, en ouvrant le roman de Florence Wells, c'est son aspect convenu - pour ne pas dire formaté - qui risque de frapper le lecteur biberonné aux récits de sociétés totalitaires. Ici, le concept est pour le moins académique : entre la dictature règlementée, ses caméras et sa censure ou encore son système tentaculaire, tous les clichés répondent à l'appel - jusqu'à la fameuse légende éculée d'une terre de liberté ! Mais une fois qu'il a accepté ce décor et, surtout, une fois familier avec les protagonistes, le lecteur entre dans une trame fluide, cohérente et accrocheuse. Alors, la construction syncopée propose une alternance de points de vue et, en introduisant des personnages secondaires qui bousculent la perspective et la place de nos héros malmenés, l'autrice met en évidence des injustices qui peuvent difficilement laisser de marbre. Par conséquent, le destin des protagonistes invite à réfléchir à quelques concepts politiques et philosophiques, à commencer par celui de libre arbitre.

Le roman ne brille donc pas par sa grande originalité - c'est dit. Il faut toutefois lui reconnaître des intentions louables. Celles-ci ne sont pas très novatrices et sans doute formalisées avec peu de subtilité, mais elles sont salutaires dans notre société du contrôle et à notre époque de la surveillance accrue. Ainsi, les occasions de rappeler que les libertés acquises se défendent, que les inégalités ne se creusent pas sans raison et qu'il est du devoir de chacun de refuser l'inacceptable sont-elles toujours bonnes à prendre, en particulier lorsqu'elles sont disséminées dans un roman qui, malgré ses défauts et ses maladresses, offre un indéniable plaisir de lecture.

Un grand merci au Maki pour m'avoir fait parvenir son SP (et pour ses conseils avisés, évidemment).