mardi 5 décembre 2023

Les Meilleurs récits de Fantastic Adventures

Jacques Sadoul présente Les Meilleurs récits de Fantastic Adventures J'ai Lu

Jacques Sadoul présente 

Les Meilleurs récits de Fantastic Adventures

Ed. J'ai Lu 


Lancée en 1939 par Ziff Davis, qui édite déjà Amazing Stories et qui souhaite ajouter une touche de fantastique à ses publications globalement orientées vers la science-fiction, Fantastic Adventures n'est finalement pas une revue très différente de la précédente. D'ailleurs, derrière les couvertures qui surfent sur la même vague et affichent des femmes dénudées en détresse, les lecteurs retrouvent des thèmes familiers traités par des noms déjà bien connus. Pour autant, peut-on faire un constat similaire ? D'après Jacques Sadoul, oui. Les nouvelles s'inspirent directement des pulps publiés dans les années 20 et n'élèvent jamais vraiment le niveau de leurs prédécesseurs. Toutefois, comme la majorités des autres magazines de l'époque, il arrive à celui-ci de proposer des textes de jeunes auteurs depuis passés à la postérité. Ainsi, entre 1939 et 1953, Fantastic Adventures compte notamment des nouvelles de Bloch ou de Sturgeon. Celles-ci figurent au sommaire de cette anthologie qui, comme les autres titres de la collection, recueille donc le meilleur de cette revue.

Robert Bloch, La Demi-portion 

Alors qu'il doit quitter la ville quelques temps, un prestidigitateur confie une mission à l'un de ces amis : il lui demande de s'installer chez lui et de s'assurer que sa femme ne trahira pas les secrets de ses tours, en particulier auprès de son rival, un magicien prêt à tout pour lui voler les éléments de son spectacle.

Theodore Sturgeon, Le Rocher voyageur

Un rédacteur en chef se voit soumettre, par un écrivain réputé pour sa misanthropie, un manuscrit d'une grande humanité. Bouleversé par sa lecture, il décide d'aller le voir en personne dans sa campagne - l'occasion pour l'auteur des Plus qu'humains de se demander s'il faut distinguer l'homme de l'auteur.

William Tenn, Un flirgleflipologue de génie

Même s'il n'est pas sûr que son message lui parvienne un jour depuis le vide dans lequel il se perd depuis qu'il a accepté de lui venir en aide, Turton a besoin de faire savoir à Banderling ce qu'il pense de lui : c'est un fieffé crétin, abruti et imbécile heureux ! Banderling, vous êtes une mazette ! C'est dit !

Rog Phillips, L'Ouvre-boîte

Une bande de vieux potes se donne rendez-vous un soir chez l'un d'entre eux, à l'insu de ce dernier, pour lui faire une surprise. Ils se mettent d'accord pour tous venir avec un petit cadeau. Le soir venu, ils réalisent une chose incroyable : il ont tous acheté la même chose ! Un ouvre-boîte. Quelle coïncidence !

Robert Moore Williams, L'Observateur 

Après avoir passé toutes sortes de tests pour entrer dans l'armée, une jeune recrue timide est reçue par un officier. Ses résultats sont exceptionnels, et même au-delà. Mais quand on le lui fait remarquer, s'il ne semble par particulièrement fier de lui, il paraît en revanche très embêté d'avoir attiré l'attention.

Harry Walton, Le Monde creux 

Deux vieux amis discutent autour d'un verre, buvant à leurs souvenirs communs. De toute évidence, l'un à réussi, l'autre moins. Sous l'effet de l'alcool, le premier avoue devoir sa réussite à un secret. En effet, ses succès dans la vie ont une explication... étrange. Mais un secret n'est-il pas fait pour être partagé ?

Roger Flint Young, Inoculation

Peu après la levée de la séance du conseil durant laquelle il est encore revenu à la charge sur son sujet de recherche dimensionnelle, le Coordinateur voit la police se présenter à son domicile. Il semblerait qu'on ait prévu d'attenter à sa vie. "Le petit homme maigre et las" refuse la protection qu'on lui propose.
 

Rog Phillips, C'est dans les cartes 

Le trajet vers Alpha du Centaure est long. Très long. Les relations entre les hommes à bord deviennent tendues. L'auteur de Piège dans le temps s'interroge sur les raisons de ces tensions. Est-ce la promiscuité, la lassitude, l'enfermement ou les radiations du nuage de méson que traverse l'astronef ?

Raymond F. Jones, ...Comme les autres nous voient

Canby a besoin de deux heures supplémentaires pour terminer sa toile : un tableau du Soleil. Mais s'il reste encore ne serait-ce que la moitié de ce temps là où il se trouve, le vaisseau cèdera à la chaleur et tous ses passagers fondront avec lui. Sanglée dans sa vareuse, le capitaine s'en va avertir l'artiste.

Dès sa première année d'existence, Fantastic Adventures connait des difficultés et ce malgré un bon accueil. Heureusement, le numéro d'octobre 1940, qui remporte un vif succès, redresse la barre et parvient même à assoir une certaine stabilité. La revue devient mensuelle mais la qualité n'est pas toujours au rendez-vous et elle publie des textes inégaux, à l'image de ce recueil qui réserve toutefois quelques très bonne surprises. Elle continue durant des années à stagner dans sa zone de confort sans jamais rien oser de très novateur. Il faudra attendre le début de la décennie suivante et l'arrivée d'Howard Browne à sa direction pour qu'elle publie enfin des textes d'un niveau raisonnable. Mais il est déjà trop tard. L'image de revue légère et fantaisiste qui lui colle à la peau lui sera fatale. Finalement, Fantastic Adventures sera abandonnée en 1953 au profit de Fantastic, qui la remplacera.




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dimanche 3 décembre 2023

San-Antonio - Ça mange pas de pain

San-Antonio Ça mange pas de pain Fleuve Noir
San-Antonio 

Ça mange pas de pain

Ed. Fleuve Noir 

 
Un coup de sonnette interrompt la partie de scrabble que San-Antonio dispute ce soir-là avec Félicie, sa chère mère. À la porte, "un grand bonhomme, vêtu de sombre et coiffé d'un feutre à petits bords". Le visiteur, qui s'excuse de se présenter "à une heure si peu protocolaire" et qui vient solliciter l'aide de notre héros sur le conseil d'Achille, son partenaire de golf et accessoirement grand patron de la maison poulaga, se nomme Xavier Basteville, du même nom que le fameux laboratoire pharmaceutique. Son problème est le suivant : la banque a été dévalisée par l'un des employés et son coffre en a fait les frais. Il aurait besoin que le commissaire remette la main sur le voleur et, surtout, sur un document que celui-ci a emporté. De source sûre, l'un comme l'autre se trouvent à Londres. Basteville, qui dépose une grosse enveloppe sur la table basse, réclame efficacité et discrétion.

San-Antonio, qui avait promis des vacances à Félicie, s'envole avec elle pour la capitale anglaise. Rapidement, son enquête le déboussole : les apparences sont trompeuses, le voleur ne correspond en rien à l'idée qu'il peut s'en faire, les évènements viennent contredire ses informations, le simple cambriolage dissimule des cadavres, le mobile ne tient pas la route, quelque chose cloche. Il a beau "[s]e vaseliner le bulbe, [s]e mettre des bigoudis à la cervelle pour [s]e la friser", la solution lui échappe. L'affaire le voit bientôt "tremper dans une béchamel qui n'aura pas le goût de Royco". Et quand sa mère est arrêtée et envoyée en prison, rien ne va plus.

Cette enquête, qui fonctionne plutôt bien et utilise les bonnes recettes à bon escient, permet surtout à l'auteur de digresser avec le talent qu'on lui connaît. Le temps de quelques pages, il abandonne notamment son histoire pour s'attarder avec beaucoup d'humour sur son métier d'écrivain, ses contraintes et ses obligations. Il va alors jusqu'à mettre en scène les difficultés qu'il rencontre et les contrôles qu'il subit régulièrement des instances officielles. 
"Tous les six mois on a la commission de métaphore qui passe nous vérifier la prose."
Les conversations kafkaïennes qui en découlent sont hilarantes. Il imagine alors le "Service des Epithètes, Clichés et Images", ses remontrances pour "deux pages sans comparaison" et les menaces qui pèsent sur lui. On l'avertit, le doigt en l'air, que s'il continue comme ça on lui retirera sa licence d'écrivain !
"Tel que c'est parti, vous finirez critique un jour !"

 


 
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vendredi 24 novembre 2023

Ugo Bellagamba - Dictionnaire utopique de la science-fiction

Ugo Bellagamba 

Dictionnaire utopique de la science-fiction 

Ed. Le Bélial' 

 
Certaines idées reçues ont la vie dure, à l’image de celle qui dit que la science-fiction ne tendrait à mettre en scène que des décors sombres et des futurs pessimistes. Mais cette idée-ci pourrait bien vivre ses derniers instants. Et pour cause, Ugo Bellagamba propose de l'effacer à grands coups de dictionnaire !

Ugo Bellagamba Dictionnaire utopique de la science-fiction Le Bélial' parallaxe
Qu'il soit pioché aléatoirement ou compulsé méthodiquement, cet ouvrage, qui brosse un large spectre allant de "Âge d'or" à "Violences" en passant par "Femmes", "Intelligences", "Mars" ou encore "Pouvoirs" et "Religions", entend balayer le cliché évoqué ci-dessus. En effet, l'auteur, par ailleurs romancier et historien du droit, entend bien mettre en évidence la veine utopique propre à cette littérature de genre, après en avoir vulgarisé le concept.

Partant de L'Utopie du philosophe anglais Thomas More, clé de voute de sa démonstration, il s'intéresse donc à une trentaine de sujets et à autant de notions générales, argumente sur chacun d'entre eux, étaye ses propos d'exemples et fournit de nombreuses références, le tout sans jamais tomber dans le travers de l’inventaire. Ce dictionnaire n'est pas un catalogue, loin de là, même s'il s'accompagne d'une bibliographie fournie qui invite autant à voyager "au grès des courants d'idées et des utopies prolongées de la science-fiction" qu'à se plonger dans tous les titres abordés. 

Ainsi, d’une pierre deux coups, l’auteur s’attaque à une autre idée reçue : il prouve que les auteurs qui se frottent à cette forme ne se heurtent pas nécessairement à ses limites, telles que l'inévitable énumération ou la complexité d'une lecture linéaire. De plus, en développant une réflexion sur la dimension utopique de la science-fiction, il affronte et maîtrise la difficulté que pose le principe même des entrées alphabétiques : ouvrir l'ouvrage sur une problématique et l'achever sur une conclusion - étapes semble-t-il primordiales dans un essai digne de ce nom. D’ailleurs, en soutenant ce projet, le directeur de la collection Parallaxe, Roland Lehoucq, ne s'y est pas trompé. Et pour cause, Ugo Bellagamba n’est pas parvenu qu’à éviter les écueils. Il a composé un essai passionnant qui, s'il "n'a pas vocation à être lu dans l'ordre alphabétique", peut difficilement ne pas être dévoré comme tel.

Avec ce dictionnaire, beau et aussi ambitieux qu’audacieux, il se hisse "à la hauteur de son sujet" et apporte ainsi "matière à penser, à rêver, et à interroger le monde".

mardi 21 novembre 2023

John Wyndham - Les transformés

John Wyndham Les transformés chrysalides anticipation Fleuve Noir
John Wyndham 

Les transformés 

Ed. Fleuve Noir 

 
La catastrophe nucléaire a eu lieu - du moins, c'est ce qu'on imagine. Les rares survivants se sont regroupés en de petites communautés primitives, à l'image de celle du Labrador dans laquelle nous invite l'auteur. Celle-ci est composée d'une poignée de gens pieux et rigoureux qui vivent selon des préceptes religieux proches de l'orthodoxie, avec le souvenir d'une technologie disparue et dans la crainte des malformations qui touchent indifféremment la moisson, alors détruite, le bétail, alors brûlé, les nouveau-nés, alors exilés vers des territoires encore irradiés.

Le personnage principal, un jeune garçon, fils du prêcheur de la communauté, a un secret. Même deux. Le premier est que sa meilleure amie a six orteils par pied, ce que ses parents ont toujours caché. Le second est plus embarrassant encore... Il est lui-même un mutant : il communique par la pensée avec d'autres enfants. Car il n'est pas seul. Heureusement, cette différence est invisible et tant que lui et ses semblables font profil bas, tout va bien. Mais quand, le jour où sa famille s'agrandit, il réalise que sa petite sœur possède le même don, en plus puissant, mais ne parvient pas à le maîtriser, il décide qu'ils doivent fuir avant d'être démasqués.

La seconde partie, qui offre le récit de la fuite des enfants confrontés autant à leurs questionnements qu'à d'autres parias, pas toujours très sains d'ailleurs, n'est malheureusement pas aussi convaincante que la première et, bien qu'efficace, elle clôture le roman sur une certaine note de facilité. Il est, à mon avis, plus intéressant de s'attarder sur le début du livre et en particulier sur cette société du puritanisme et sur son analyse, ainsi que sur les allusions à la politique répressive et culpabilisante de son époque disséminées par l'auteur. Ce dernier point n'est jamais aussi évident que lors de la confrontation entre notre jeune héros et son père qui, par un jeu subtil de doubles sens, parvient à faire dire à son fils ce qu'il ne veut pas dire puis par lui faire comprendre que son comportement, pourtant innocent, est répréhensible.
"Le respect de Dieu se trouvait fréquemment sur ses lèvres et la crainte du Diable constamment dans son cœur."
Avec ce roman post-apocalyptique, l'auteur de Révolte des Triffides se lance dans un manifeste virulent contre le fanatisme religieux tout en prônant l'acceptation de la différence. Ce projet louable est de plus servi par une langue riche aux formulations élaborées, à laquelle cette mythique collection ne m'avait pas habitué, loin s'en faut.

D'autres avis ? Hop ! Lekarr, Nomic...




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FNA n°123

mercredi 15 novembre 2023

Robert Jackson Bennett - Vigilance

Robert Jackson Bennett 

Vigilance

Ed. Le Bélial' 

 
Hasard, coïncidence ou conséquence du sacro-saint deuxième amendement de la Constitution des États-Unis, qui garantit à chacun le droit de détenir une arme, le pays ne compte plus les tueries de masses qui égrainent son histoire. Si ces évènements font le désespoir des familles de victimes et la rage des opposants à la libre circulation des armes, ils font surtout couler de l'encre et semblent fasciner le monde entier, du moins attirent son attention. Dans une société ou tout se monnaye, tout se filme, et où l'information et l'actualité se distinguent difficilement du voyeurisme, certains hommes d'affaire cyniques et opportunistes ont compris comment ces drames pouvaient être exploitées et ce qu'ils pouvaient générer. C'est ainsi qu'est née l'émission de téléréalité qui donne son titre au livre.
 
Robert Jackson Bennett Vigilance Le Bélial' heure lumiere
Des candidats sont enfermés dans un lieu clos, par exemple un supermarché, et doivent survivre aux tireurs lourdement armés qui déambulent dans ses allées. Une somme importante est en jeu, pour les tueurs ou les cibles qui s'en sortent. Pendant que le sang coule et que les réseaux sociaux s'affolent, les téléspectateurs sont abreuvés de publicités et comblés par des intelligences artificielles qui corrigent ce que les aléas du direct ne peuvent garantir mais que personne ne veut rater, la mort à l'écran. Or, cette émission, qui vide les cerveaux et épargne les consciences, occulte une idée que personne ne voit - ou n'accepte de regarder : les États-Unis n'ont pas l'apanage de la domination mondiale que leurs citoyens et dirigeants revendiquent. La Chine réclame sa part du gâteau et, pour l'obtenir, elle a appris à maîtriser les armes de l'adversaire.

La littérature de genre a ceci d'incroyable que, même d'un postulat de départ hautement improbable, elle peut faire basculer le lecteur dans le plausible le plus inattendu. La novella de Robert Jackson Bennett est une parfaite illustration de ce point de bascule qui transforme le divertissement annoncé en une réflexion bienvenue. En effet, l'énormité du sujet sur lequel elle s'ouvre laisse rapidement place à l'évidence : comme un symptôme de notre époque, la violence ne cède généralement sa place à l'écran que pour celle des annonceurs. Un projet tel que celui imaginé par Robert Jackson Bennett ne soulèverait l'indignation que le temps d'être remplacé par le suivant. Et si l'idée d'une compétition, filmée ou non, débouchant sur la mort de ses candidats n'est pas nouvelle, cette variation sur ce thème est particulièrement convaincante. Dans sa forme déjà, courte et percutante, dans son discours également, dérangeant de lucidité. 
 

San-Antonio - Du plomb dans les tripes

San-Antonio Du plomb dans les tripes Fleuve Noir

San-Antonio 

Du plomb dans les tripes

Ed. Fleuve Noir 

 
L'action de ce 5ème épisode des aventures de San-Antonio, publié en 1953, se situe, comme les précédents, durant la Seconde Guerre mondiale, pendant l'occupation. Nous retrouvons notre héros entre les mains de la Gestapo, en fort mauvaise posture, attaché à un établi de charpentier, une scie enclenchée à quelques centimètres de la tête. Gertrude, l'espionne allemande qu'il était censé éliminer, savoure le moment. La mission semble compromise, l'espérance de vie du commissaire également. Mais ce serait sans compter sur sa chance, ses réflexes et sa jugeote.
"C'est le moment de se frotter le cerveau à l'encaustique pour faire reluire les idées..."
San-Antonio court autant après Gertrude qu'il cherche à lui échapper. Dans ce jeu du chat et de la souris, qui est le chat ? Qui est la souris ? Ça dépend des passages. Ce qui est certain, c'est que le roman est violent, sans concession, ponctué de scènes de tortures sanglantes, radicales, et qu'il est rythmé par le bruit des bottes et une avalanche de macchabées. L'auteur y écoule un stock semble-t-il inépuisable de termes argotiques pour désigner les chleuhs, les frisés, les fritz, les boches, les verts-de-gris et autres teutons. Il y dresse le portrait d'une époque violente parcourue par des protagonistes engagés, d'un côté ou de l'autre, parfois malgré eux. Ici, pas de place pour l'indécision ! Toutefois, entre les résistants et les collabos, les lâches et les courageux, difficile de savoir où se situent les espions et les agents doubles...
"Dans ce putain de métier qu'est le mien, on ne peut jamais s'arrêter. Toujours naissent des éléments nouveaux qui nous poussent en avant à grands coups de tatanes dans le pétrus."


 
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mercredi 1 novembre 2023

Frédéric Dard - Le tueur triste

Frédéric Dard Le tueur triste Fleuve Noir san-antonio
Frédéric Dard 

Le tueur triste 

Ed. Fleuve Noir 


Lino est dans de beaux draps. Oui, c'est lui qui avait mis Maurice dans le coup pour la casse de la bijouterie. Sauf que celui qui devait rester assis derrière le volant, moteur en marche, s'est finalement barré avec les cailloux. Mais sans ses complices. Pour ces derniers, Lino est responsable du fiasco. Sa seule chance, s'il ne veut pas en payer la note, est de remettre la main sur le traitre et, encore mieux, sur le butin par la même occasion.

Le problème, c'est que Maurice est dans la nature. Alors plutôt que de lui courir après, Lino va préférer l'attendre là où il est certain qu'il finira par repasser : chez sa mère. Là, sous un faux prétexte, enfermé avec la vieille femme et les deux sœurs cadettes du malfrat, il patiente. Mais pour combien de temps ? Les jours passent, la promiscuité et la tension font leur œuvre, d'autant plus que son comportement et ses manières éveillent les soupçons. Quant aux raisons de sa présence, elles s'embrouillent. En effet, celui dont on apprend le passé au gré des pages pourrait avoir trouvé là ce qu'il n'avait jamais eu et dont il avait toujours rêvé sans jamais oser se l'avouer : un foyer. Mais un tueur triste comme lui peut-il seulement y prétendre, surtout quand le rapport à ses hôtes est biaisée ? Sa prise d'otages va s'orienter vers une prise de conscience.
"Cette grande baraque où j'avais passé les plus sales heures de ma vie. Et peut-être aussi les plus belles !"
Malheureusement, bien que basé sur une trame prometteuse, ce roman noir teinté de psychologie ne tient que moyennement ses promesses. L'intention y est, c'est certain, mais le résultat n'est pas à la hauteur des attentes. Le père de San-Antonio n'esquisse que vaguement son étude et les portraits qu'il dresse de ses personnages manquent de profondeur. Pourtant, en cloisonnant son intrigue dans un périmètre restreint, il ne multiplie pas les protagonistes et peut se concentrer sur chacun. Mais les confrontations peinent à convaincre, tout comme le rachat du gangster, dont les détails de la jeunesse tombent à des moments parfois opportunistes. Malgré ses imperfections, le livre se lit tout seul, d'une traite, notamment grâce à une narration minimaliste et efficace ainsi qu'à un style très sûr qui assume parfaitement les codes du genre.

dimanche 29 octobre 2023

Les Meilleurs récits de Famous Fantastic Mysteries

Jacques Sadoul présente  Les Meilleurs récits de Famous Fantastic Mysteries J'ai Lu
Jacques Sadoul présente 

Les Meilleurs récits de Famous Fantastic Mysteries

Ed. J'ai Lu 

 
Lancé à une époque où le paysage de pulp compte déjà de nombreuses revues, Famous Fantastic Mysteries n'entend pas vraiment apporter quoi que ce soit de bien nouveau au registre. Et pour cause, elle ne propose que des réimpressions. La ligne éditoriale dictée par Mary Gnaedinger - première femme à occuper un tel poste - est très simple : chaque volume est composé d'un roman complet accompagné de deux ou trois nouvelles de genre, principalement de la science-fiction ou de la fantasy. De 1939 à 1953, elle exhume donc des textes courts ou des romans qui avaient déjà vu le jour entre 1912 et 1919 dans les pages des magazines du groupe auquel elle appartient, la Munsey Company. L'accueil est plutôt bon, notamment car certains amateurs apprécient de retrouver en une seule livraison des romans qui n'étaient parus qu'en épisodes ou des textes qui avaient rencontré le succès avant de disparaître de la circulation. Jacques Sadoul, dans le but de rester fidèle à ce modèle, a sélectionné pour cette anthologie un roman et trois nouvelles. S'ils sont censés être représentatifs du ton et de la qualité de la revue, ils sont surtout présentés comme le meilleur de ce qu'elle a publié. Voyons cela.

George Allan England, Les Ténèbres et l'aurore

Allan Stern, ingénieur-conseil, et Béatrice Kendrick, sténodactylo, ouvrent les yeux sur leur lieu de travail et réalisent qu'il s'est produit quelque chose. Oui mais quoi ? Et combien de temps sont-ils restés inconscients pour que le monde ait changé à ce point et qu'il n'en reste ni rien ni personne ?

Francis Stevens, L'Île amie

Le narrateur, jeune homme mal à l'aise dans ce bar rempli de représentantes du nouveau sexe régnant, s'approche d'une vieille baroudeuse des mers, "la mine sévère, la trogne tannée par le vent et le soleil". Il espère tirer de cette survivante de l'ère des turbines et des moteurs à essence le récit de son naufrage.
 

Abraham Merritt, Trois lignes de vieux français

Le temps de ce court conte, l'auteur de La Femme du Bois nous plonge dans l'horreur de la première Guerre Mondiale. Le soldat Laveller est épuisé, à bout. Du fond de la tranchée de première ligne dans laquelle il est réfugié, il lui semble entendre quelqu'un murmurer. Son esprit lui jouerait-il des tours ?
 

Raymond King "Ray" Cummings, La Fille dans l'atome d'or

Grâce à un microscope d'une puissance phénoménale, un scientifique a découvert une forme de vie semblable à la nôtre dans l'infiniment petit. Il a alors investi ses talents de chimiste à la mise au point d'une pilule qui permettra à celui qui l'avale de rétrécir au point de s'y rendre. Devant témoin, il la gobe.
 
Après ces brefs aperçus, il faut que je revienne sur le premier texte, le roman de George Allan England.
 
Comme je le disais dans le court résumé ci-dessus, un ingénieur et sa secrétaire se réveillent d'un long sommeil auquel ils n'ont pas souvenir d'avoir succombé. Lui porte maintenant une longue barbe, leurs vêtements se sont désagrégés et ils sont seuls dans ce gratte-ciel du centre de New-York dorénavant entourée d'une jungle luxuriante. Cette variation assez classique sur le thème post-apocalyptique va alors confronter nos deux personnages à son lot d'incohérences : la civilisation a disparu mais eux sont toujours vivants après 800 ans d'un sommeil inexpliqué qui n'aura heureusement pas altéré la nourriture contenue dans les conserves. Vêtus de peaux de bêtes, ils attendent que d'autres survivants, s'il y en a, viennent à eux. En effet, d'après Allan, il est plus que probable que ceux-ci, où qu'ils se trouvent sur le globe, se dirigent vers New-York. Pourquoi ? Car la Grosse Pomme est le centre du monde, tout simplement. En attendant, ils explorent ce qu'il reste de la ville et finissent par tomber sur des créatures sauvages. Des hommes de couleur ! La première pensée de l'ingénieur est la suivante : "Il se peut que ces créatures descendent des noirs, qu'ils aient une histoire, une tradition de l'homme blanc". Oui, vous avez bien lu ce que vous avez lu. Vous n'avez pas interprété hâtivement cette phrase, tout comme il est inutile de la mettre sur le dos d'une formulation malhabile. Cette phrase est bien révélatrice d'un racisme tellement basique et décomplexé qu'il en ferait presque oublier la dimension misogyne du roman. D'ailleurs, l'auteur en remet régulièrement une couche. C'est insupportable.

À ce sujet, pas un mot de Jacques Sadoul. C'est probablement ce qui m'a le plus surpris. Concernant le roman, publié en 1912, je me dis qu'il faut peut-être le remettre dans son contexte - et encore ! Mais l'anthologie, tout comme la préface, date de la fin des années 70. Que Sadoul ait sélectionné ce roman parmi d'autres et qu'il ne fasse pas allusion aux idées que celui-ci véhicule me laisse perplexe. Quelle conclusion faut-il en tirer ? Jacques Sadoul a-t-il simplement choisi ce roman pour l'efficacité de sa narration ? N'était-il pas sensible à son propos ou estimait-il qu'il n'y avait pas matière à s'en formaliser ? À moins que ce texte et son esprit ne reflètent sincèrement le ton de la revue. Pourtant, les nouvelles qui composent le reste du volume sont tout à fait honnêtes et ne vont pas dans le sens du roman de George Allan England.
 
À l'heure où j'écris ces lignes, je ne sais pas quoi en penser.



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samedi 28 octobre 2023

San-Antonio - Les vacances de Bérurier

San-Antonio Les vacances de Bérurier Fleuve Noir
San-Antonio 

Les vacances de Bérurier 

Ed. Fleuve Noir 

 
Chacune des dernières traversées du Mer d'Alors a vu l'un de ses passagers se volatiliser. Gaumixte, le PDG de la compagnie Pacqsif à laquelle appartient le navire, a chargé le Vieux, dont il est ami de longue date, de mettre un terme à ces disparitions et de solutionner discrètement ce problème avant que ce scandale ne lui porte préjudice. Notre fine équipe embarque sur le paquebot en toute discrétion, sous une couverture de simples vacanciers. Et pour parfaire celle-ci, chacun vient accompagné : San-Antonio de Félicie, Achille de son chauffeur, Pinaud de sa femme, Bérurier de Marie-Marie et de Berthe, cette dernière de son amant du moment, Félix. Malheureusement, dès le premier jour et malgré la vigilance de nos hommes, on recense deux nouvelles victimes, et pas n'importe lesquelles puisqu'il s'agit de l'épouse du ministre de l'Intérim et du second du commandant !

Si l'intrigue démarre réellement à l'embarquement sur le paquebot, l'auteur se livre dès les premières pages à une série de réflexions féroces et grinçantes sur les congés payés. D'ailleurs, la scène d'introduction durant laquelle le commissaire vient chercher Bérurier dans le camping où celui-ci a planté sa tente est hilarante - Berthe empêtrée dans sa toile, le Gros occupé à dispenser des leçons de cuisine à la cantonade, Pinuche en lutte avec sa caravane, autant de raisons d'analyser le comportement grégaire du vacancier ou le désœuvrement de l'habituel travailleur qui n'est plus alors encombré que de sa famille. Une fois sur la navire, le constat se poursuit avec le transport de masse, l'oisiveté et l'assistanat des passagers, l'absence d'initiatives et j'en passe...

Mais n'oublions pas que ce livre est un roman policier. Entre deux scènes dantesques, le commissaire cherche donc à dénouer le nœud de l'affaire. Or, dans les hors-série, tels celui-ci, le nombre de pages est beaucoup plus important que dans les épisodes classiques, ce qui permet à l'auteur d'agrémenter son intrigue, d'entrer dans le détail et de consacrer du temps à sa figuration et à ses personnages secondaires. Concernant ce dernier point, il est intéressant de noter les arrivées inopinées d'Alfred, coiffeur et amant officiel de Berthe, et d'Hector, cousin de Pinaud et détective privé, qui viennent compléter un tableau déjà très riche et au centre duquel Béru occupe une place de choix. Celui-ci ne se contente pas d'assister San-Antonio dans son enquête, il prend le devant de la scène et va jusqu'à assumer le commandement du paquebot ! Pour autant, rendons à César ce qui revient à César, c'est finalement grâce à Marie-Marie que la vérité éclatera, une vérité pleine de bon sens et de discernement qui sanctionnera en beauté un roman aussi malin et inventif que jubilatoire.


 
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jeudi 26 octobre 2023

David Grann - Les naufragés du Wager

David Grann 

Les naufragés du Wager

Ed. du Sous-Sol 

 
Le Wager. Après avoir voyagé quelques années pour le compte de la Compagnie des Indes Orientales, ce navire de sixième rang à gréement carré et doté de 28 canons entre au service de la Royal Navy. Nous sommes alors en 1739. Il lui reste deux ans avant de faire le naufrage qui le rendra célèbre et fera entrer son équipage dans la postérité.
 
David Grann propose de nous faire un récit de ce naufrage. Un récit ? Pas le récit ? Non, un récit. Car c'est bien de cela qu'il s'agit - en partie, du moins. Les naufragés du Wager, qui est pourtant l'histoire passionnante de ce drame, est moins un document sur la fin du navire et le destin de ses passagers qu'une réflexion toute en subtilité sur les multiples facettes d'une réalité et sur les différentes narrations possibles d'un unique évènement.
 
David Grann  Les naufragés du Wager du Sous-Sol
Mais commençons par le commencement.
 
Après avoir exposé le contexte historique et les circonstances dans lesquelles le Wager prend la mer pour aller affronter l'ennemi espagnol, l'auteur présente les hommes à son bord : le capitaine Cheap, l'officier Byron, le canonnier Bulkeley, personnages principaux d'un équipage d'environ 300 marins. Au large du Cap Horn, la tempête fait rage et le Wager est séparé du reste de son escadre. Le temps est mauvais, la navigation est difficile, de nombreux hommes sont malades, certains du scorbut et d'autres du typhus. C'est dans ces conditions que le navire, égaré et démuni dans les intempéries, s'échoue près des côtes de la Patagonie.
 
Les survivants trouvent refuge sur la terre ferme mais ignorent alors qu'une nouvelle épreuve les attend. Tiraillés par le froid, la famine et le désespoir, les hommes ne tardent pas à se diviser en deux clans. D'un côté, les rares fidèles à leur capitaine ; de l'autre, les dissidents menés par le canonnier. Le temps va passer, beaucoup de temps et, finalement, cinq ans plus tard, après d'incroyables épreuves et de nombreux décès, quelques membres du clan Bulkeley parviennent à regagner l'Angleterre où ils font le récit de leur mésaventure, omettant bien entendu la mutinerie dont ils ont été les acteurs, les atrocités qu'ils ont commises. Mais quand, quelques mois plus tard, une poignée de rescapés du groupe de Cheap arrive à son tour et présente une version très différente des évènements, une cour martiale se réunit et cherche à démêler le vrai du faux.
 
Le livre, qui était captivant jusqu'alors et qui offrait un parfait équilibre entre une certaine distance documentaire et l'immersion d'une narration vivante, propose maintenant une réflexion fascinante sur les écarts du discours. Bien entendu, l'auteur, qui a conscience d'apporter lui-même une nouvelle version du drame sans avoir la garantie qu'elle soit parfaitement authentique, bien que basée sur de nombreux documents et une bibliographie fournie, ne s'autorise aucun jugement et va jusqu'à considérer les motivations d'un récit orienté ou d'une vérité relative. Il nous rappelle par la même occasion que, parfois, la fiction ferait presque pâle figure face à la réalité. Si tant est encore que l'on sache quelle est sa part de réel.