mercredi 26 février 2025

San-Antonio - "Y a-t-il un français..." & "Les clefs du pouvoir..."

En 1949, Frédéric Dard créé le commissaire San-Antonio. Le personnage passant pour être l'auteur de ses propres aventures, seul son nom figure sur la couverture des - presque - 200 volumes. Par ailleurs, l'auteur Berjallien publie sous son vrai patronyme de nombreux romans qui ne s'inscrivent pas dans la série. Mais voilà que trente ans plus tard, en 1979, il signe pour la première fois du nom de San-Antonio une fiction qui ne met pas en scène le commissaire ! Frédéric Dard aurait-il disparu derrière San-Antonio ? Et, si oui, pour quelle raison ? Avant de tenter de répondre à cette question, commençons par voir ce qu'il y a dans ce volume - ainsi que, par la même occasion, dans sa suite, parue deux ans plus tard...

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San-Antonio Y a-t-il un français dans la salle ? Fleuve Noir
San-Antonio 

Y a-t-il un français dans la salle ? 

Ed. Fleuve Noir


Le Président Horace Tumelat, une personnalité influente, dirigeant d'un parti politique puissant, voit son passé ressurgir lorsqu'il apprend le suicide de son oncle Eusèbe. Toutes affaires cessantes, le voici en route pour la maison du défunt. Pourtant, il n'est pas du genre sensible et n'avait pas même revu le vieil homme depuis longtemps. Mais Eusèbe gardait un secret - ou, pour être plus précis, il était le gardien de celui du politicien. Ce dernier, en route pour la dernière demeure de son oncle, ignore encore que sa vie est sur le point de basculer radicalement. Il s'apprête à ouvrir les yeux et à enfin se conformer à ce que lui dicte sa conscience civique. Après de nombreuses épreuves et une rencontre déterminante, il lui restera du moins la satisfaction de se sentir un homme. 
"J'ai cinquante-huit ans, monsieur Michegru, montre en main ; c'est l'âge de l'ultime choix. Ou bien je décide de commencer à mourir ; ou bien de commencer à vivre."
À travers le parcours du Président et les rôles de protagonistes au comportement débridé auxquels il va être confronté, l'auteur dresse le portrait au vitriol de la politique d'une époque, et aussi bien ceux qui la font que ceux qui la subissent. C'est l'occasion d'offrir une démonstration impressionnante de sa maîtrise des registres de langues, de leurs différents niveaux et de leurs subtilités. Qu'il s'exprime par la bouche de Tumelat pour tenir des discours politiques ou qu'il donne la parole aux petites gens pour s'exprimer avec la simplicité qu'on peut en attendre, qu'il use de son humour acerbe ou cède à un ton plus atrabilaire, ses réflexions sur la société sont justes. Les réparties sont bonnes, les dialogues sont ciselés et ils ont du sens. Fidèle à son habitude, l'auteur n'épargne pas le lecteur et le prend même régulièrement à partie, à grands coups d'argot et de provocations. Il est au sommet de sa forme.
"Et puis merde, c'est comme ça. Si tu veux écrire ce bouquin à ma place, ne te gêne pas, je te laisse la plume toute chaude et des rames de faf."
L'intrigue, qui met en scène une distribution bigarrée et qui comporte son lot de rebondissements imprévisibles et d'accroches de fin de chapitre, conduit un lecteur stupéfait vers une chute qui ne peut laisser de marbre et qui, si elle n'appelle pas nécessairement de suite, en appelle nécessairement une tout de même.

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san antonio les cles du pouvoir sont dans la boîte à gants fleuve noir
San-Antonio 

Les clefs du pouvoir sont dans la boîte à gants 

Ed. Fleuve Noir 


Un an s'est écoulé depuis les évènements du roman précédent. On retrouve peu ou prou les mêmes personnages mais à des places souvent diamétralement opposées à celles qu'ils occupaient auparavant : Ginette Alcazar, l'ancienne secrétaire dévouée est maintenant incarcérée, Eric Plante, de maître-chanteur est devenu l'homme de confiance du Président, et Noëlle Réglisson, qui assume finalement les dommages collatéraux de la comédie dramatique du premier volume. Quant à Horace Tumelat, il s'interroge.
"Mon existence n'a été qu'un long malentendu avec moi-même ; si je ne trouve pas très vite ma vraie démarche, il ne me sera plus possible d'aller encore bien loin."
Les cartes rebattues, la partie peut reprendre - les enjeux ne sont toutefois pas très éloignés, ni pour les personnages, qui cherchent à tirer leur épingle du jeu, ni pour l'auteur, qui poursuit son analyse de la politique française. Le constat est sans appel : à l'image des personnalités réelles que l'on peut deviner sous le vernis de certains protagonistes, les personnages sont opportunistes, intéressés et bien souvent déviants. Ils sont humains, quoi. Autant dire que les pages de ce roman, digne suite du précédent, sont noircies au pessimisme. À moins qu'elles ne le soient à la lucidité ?

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Finalement, Frédéric Dard a-t-il disparu derrière San-Antonio ? Sans doute. La quatrième de couverture du premier volume, dans son édition originale tout au moins, clame que le monde attendait cette jonction. Honnêtement, je ne sais pas si le monde l'attendait autant que l'auteur et son éditeur. En effet, même si cette jonction marque un virage hautement symbolique, je crois que la raison est tout bêtement commerciale. Ceci dit, si elle a permis au romancier de toucher un public plus large et de mettre un bon livre entre les mains de lecteurs qui n'y seraient pas venus sans cela, où est le mal ? 

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