jeudi 12 septembre 2024

Stephen King - Ça

Stephen King 

Ça 

Ed. Albin Michel 


J'allais partir du principe que tout le monde sait de quoi Ça retourne. Mais il y a peut-être encore, ici ou là, des âmes égarées qui ignorent tout de ce livre emblématique du Maître de l'Horreur. Pour ceux-là, et pour faire court, disons que ce gros pavé raconte l'histoire d'enfants qui, terrorisés par une créature maléfique et liés par une promesse, décident une fois devenus adultes de revenir s'en débarrasser. Bien entendu, en un bon gros millier de pages, il se passe beaucoup plus de choses que ce que cette présentation succincte pourrait laisser penser. Patiente, je vais développer. Mais, d'abord, un petit retour dans le temps.

Stephen King Ça Albin Michel j'ai lu
Je me revois, et je vous laisse vous en faire le tableau, freluquet âgé de treize ou quatorze ans, boutonneux, allongé sur mon lit, plongé dans ma lecture de Ça. J'en avais alors englouti les trois volumes en autant de jours, à ne rien faire d'autre 
de ce long week-end pluvieux que lire. Lire - et m'interroger sur une étrangeté de la couverture du dernier tome : on y voit des membres de l'autoproclamé "Club des Ratés" se battre contre leur cauchemar. L'un des enfants a un bras arraché, lequel dépasse de la gueule du monstre. Or, s'il manque le bras gauche au garçon, c'est une main droite que la créature tient entre ses dents. Bizarre autant qu'étrange. Je me souviens m'être alors interrogé à ce sujet avant de finalement abandonner cette piste, dont j'ai logiquement repris le cours une trentaine d'années plus tard, en retombant sur ces illustrations. À ce jour, je n'ai pas de meilleure théorie que celle d'une simple étourderie de l'artiste. Je suis preneur d'une explication plus satisfaisante. Bref, revenons au présent.

Plus souvent debout dans le métro que pelotonné sous ma couette, moins gringalet qu'alors et surtout moins acnéique, il m'a fallu plus de trois jours pour relire ce classique qui, toutefois, conserve son aspect totalement addictif - encore aujourd'hui avec un regard d'adulte, le mien. Même si j'y ai parfois décelé quelques maladresses et même si certaines scènes paraissent improbables (à l'image d'un passage orgiaque final que je peine à justifier), le scénario est d'une grande efficacité, sa narration également. Le décor est immersif, certaines scènes sont incroyablement visuelles, la construction ne laisse aucun répit au lecteur et, surtout, le méchant est aussi graphique que les personnages sont attachants. Il est d'ailleurs difficile de quitter ces derniers. Pourtant, de prime abord, ils semblent trop caricaturaux pour être crédibles, en particulier lorsqu'ils sont enfants. Ils sont même souvent réduits à leur fonction - Bill, le bègue ; Ben, le gros ; Bev, la fille ; Richie, le binoclard ; Eddie, l'asthmatique ; Mike, le noir ; Stan, le juif. Mais malgré cela, ils restent convaincants. L'effet de groupe n'y est pas étranger ; ils sont soudés, complémentaires, cohérents et le lecteur est régulièrement tenté de se dire qu'il aurait aimé intégrer une telle bande pour faire face à l'adversité.

Cette bande imaginée en 1986 contribuera à définitivement inscrire Stephen King comme l'un des grands metteurs en scène d'enfants de la littérature de genre. Et qui dit enfance dit regard sur le monde adulte d'une part et sentiment de nostalgie d'autre part. Là aussi, le romancier américain tire largement son épingle du jeu. Il analyse avec finesse la défiance des jeunes à l'égard des vieux, tous plus tordus les uns que les autres, et le regard que ceux-ci, du moins ceux auxquels il reste une once de lucidité, posent sur leur propre passé. À elle seule, l'ultime scène du livre illustre parfaitement ce propos : Bill ravive son amie en lui faisant enfourcher le vélo de son enfance. Tout un symbole. Le décor contribue à ce sentiment de nostalgie. Les vêtements, la musique, les voitures, toute l'époque est parfaitement retranscrite. De même pour les préoccupations, les enjeux et les problématiques de l'enfance qui sont au cœur du récit.

Ce livre est donc bien plus qu'une simple histoire d'horreur. Toutefois, il ne faut pas négliger cet aspect. Le monstre est effrayant et si nous avons tous peur des clowns, ce n'est pas pour rien. Celui du roman est tout simplement flippant, aussi bien dans sa version basique imaginée à l'économie de moyens que dans ses épouvantables variations plus stylisées. La scène d'introduction aura marqué tous les lecteurs, et pour cause ! Ce garçon attiré dans les égouts par un clown ! Quelle inventivité ! Impossible aujourd'hui de plier un bateau en papier sans y penser... Impossible également de poser le livre une fois ce passage lu !

mercredi 28 août 2024

San-Antonio, l'année 1981

San-Antonio a publié trois épisodes des aventures de son commissaire éponyme en 1981. C'est peu, tu trouves ? Je voudrais t'y voir, toi. Et puis c'est sans compter sur les livres qu'il a signés sous d'autres noms. Va donc jeter un œil à la liste de ses pseudonymes, ça te remettra les idées en place, gros malin ! En attendant, ces trois romans, les voilà :

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San-Antonio On liquide et on s'en va fleuve noir
San-Antonio 

On liquide et on s'en va  

Ed. Fleuve Noir 


Le truc est très au point : à Montmartre, pendant que le public, captivé, assiste à sa performance exhibitionniste, un groupe de pickpockets détrousse les touristes. Or, ce jour-là, ils ont dérobé le mauvais objet à la mauvaise personne. Ce dernier, après avoir remonté la piste des voleurs, a finalement remis la main sur ce qui lui appartient, laissant ensuite tout le monde avec deux balles dans le corps. 

Avec pour unique indice l'enregistrement de la bande son des meurtres, San-Antonio va se lancer à la suite du tueur, un "homme sans foi ni loi, sans feu ni lieu, dont la conscience doit ressembler à un camion de vidange accidenté". Notre héros n'aura pas trop de l'aide de ses deux acolytes, Béru et Pinaud, pour retrouver et appréhender le dénommé Stromberg, un redoutable assassin qui laisse derrière lui une montagne de cadavres. 

Cet épisode, qui conduit notre trio de France en Côte d'Ivoire en passant par l'Angleterre, sera rythmé par les troubles gastriques d'un Pinaud inénarrable et les délires en tout genre d'un Bérurier en grande forme. L'auteur se fait plaisir, il multiplie les accumulations et les divagations, pour les scènes cocasses il se surpasse. En revanche, il ne s'encombre pas d'un scénario solide et laisse même le lecteur sur une chute plutôt vague. On ne saura jamais vraiment quelles étaient les motivations du tueur. Mais était-ce indispensable ?

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San-Antonio Champagne pour tout le monde Fleuve Noir
San-Antonio 

Champagne pour tout le monde 

Ed. Fleuve Noir 

"La bagnole possédait une carrosserie italienne. La fille aussi, probablement. L'une, comme l'autre, mobilisait les regards, mais les deux réunies t'énucléaient littéralement. La seconde avait quelque peine à ouvrir la première. Je me précipitai, en regrettant que ce ne fût pas la deuxième qui fût à ouvrir. Mais qui savait..."
San-Antonio aide donc la jeune femme a déverrouiller et à le démarrer le véhicule, juste à temps pour réaliser qu'il ne lui appartenait pas. Le voilà complice d'un vol de voiture ! Heureusement, celle-ci est rapidement retrouvée mais... il manque quelque chose à l'intérieur. Notre héros va devoir retrouver ce quelque chose. Le roman démarre alors sur les chapeaux de roues et mettra le commissaire à rude épreuve. Entre autres péripéties, on le retrouvera notamment au fond d'un puits, condamné à cent-trente ans de travaux forcés ! Les scènes qu'il y passe offrent une variation bienvenue et assez inattendue sur le thème de la grande évasion. 
"- Et toi, grand fou, d'où qu'tu sors ?
- D'un puits, lui dis-je, comme la Vérité." 
Tout ceci donne une nouvelle occasion à l'auteur de démontrer dans quel bois son personnage est taillé : "Une âme trempée à Tolède, des nerfs d'acier, des réflexes prompts, un self-contrôle à toute épreuve."

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San-Antonio La pute enchantée Fleuve Noir
San-Antonio

La pute enchantée 

Ed. Fleuve Noir

 
Quelle surprise pour monsieur Félicien lorsque Fortuna, la prostituée avec laquelle il s'affaire dans un hôtel de passe parisien, entre en transe et a soudain une vision : un massacre est en train de se produire en ce moment même à Nice ! Qu'en penser, surtout quand on constate que l'évènement s'est réellement et fidèlement produit ? C'est à cette question que vont devoir répondre San-Antonio, Bérurier et Pinaud. Mais, pour ne rien arranger, la prostituée se fait bientôt enlever et son client échappe de peu à un attentat. 

L'auteur envoie ses personnages dans une histoire pas très catholique, pas non plus surnaturelle, prétexte à d'incroyables digressions. Une multitude de sujets y passe, de la télé à la banane en passant par la politique, Des Chiffres et des Lettres, la littérature ou les considérations du romancier sur le métier d'écrivain. Ajoutez à cela la régression prolétarienne d'Achille, vous obtenez un épisode fou, ponctué de figures de style, d'onomatopées comme s'il en pleuvait et d'adresses délirantes au lecteur, dont je vous livre un extrait, sorti de son contexte :
"Donc, le cœur bat. Il vit. La balle aura dérapé sur son formidable occiput ; merde qu'est-ce que je raconte : le front, c'est pas l'occiput ! L'occiput c'est derrière, hein ? Quel œuf ! Et devant c'est le... l'os, quoi ! Bon, très bien, donc, la balle tirée à bout portant a dérapé sur l'œuf qui pue. Je veux dire : sur l'os frontalier ; tu me suis ou tu me précèdes ? Tu me précèdes ? Alors je t'écoute. Comment ? Elle n'a fait qu'assommer le gros ? Lui a occasionné un traumatisme  bilocéphale quadruple avec perduration spasmodique somme de deux francs ? C'est grave ? Ca dépend ? De quoi, ça dépend, hé, banane ! De la résistance du sujet et de savoir si le lobe arrière droit s'est décroché  et si Pâques tombe un dimanche l'année prochaine ? Ah ! Bon, oui, je comprends. Mais qu'est-ce qu'on peut faire dans l'immédiat ?"
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Plutôt un bon cru !


 
Et pour suivre l'avancée de ma lecture complète des aventures du commissaire San-Antonio, cliquez sur le sourire de l'auteur !

mardi 27 août 2024

Robert-Vincent Joule & Jean-Léon Beauvois - Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens

Robert-Vincent Joule & Jean-Léon Beauvois 

Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens 

Ed. Presses Universitaires de Grenoble 


Commençons par le commencement : d'après mon Larousse, concernant le sens qui nous intéresse, manipuler signifie "amener quelqu'un insidieusement à tel ou tel comportement". Insidieusement, c'est à dire par la tromperie.

Robert-Vincent Joule & Jean-Léon Beauvois Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens Presses Universitaires de Grenoble
Quand bien même vous vous feriez une très belle image un peu naïve ou optimiste de l'être humain, il faut être lucide, la manipulation fait partie intégrante de son ADN. Cela ne signifie pas que vous n'êtes entouré que de manipulateurs dans l'âme ou de gens qui cherchent à vous manœuvrer. Mais, réfléchissez-y : votre conjoint et votre famille, vos voisins et vos amis, vos collègues, votre patron et la société toute entière ne cherchent-ils jamais à obtenir quoi que ce soit de vous ? Et comment s'y prennent-ils ? Toujours de manière directe ? Par la franchise et la transparence ? En êtes-vous certains ?

Partant de cette observation, les auteurs, Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, tous deux professeurs de psychologie sociale et figures de la discipline, se sont interrogés sur les ressorts de nos agissements les plus quotidiens. Ils ont basé leur ouvrage sur de nombreuses expériences ainsi que sur des travaux menés par des scientifiques rigoureux et en ont tiré les conclusions qui s'imposent : de la même manière que nous sommes tous manipulateurs, nous sommes tous manipulables. Ils ont alors illustré ce constat par un exemple, à travers le récit d'une journée de Madame O., une simple citoyenne représentative, voire caricaturale. Ce cas pratique, teinté de tentatives d'humour pas toujours très heureuses et manquant parfois d'un peu de subtilité, met toutefois clairement en lumière les nombreuses formes de manipulation et les procédés qui y mènent.

Cet essai n'est pas un guide pratique. Il s'agit d'un ouvrage de psychologie comportementale qui vise à expliquer les mécanismes de la prise de décisions et à en démystifier les processus. Pour autant, vous pourriez le considérer comme une méthode à appliquer pour manœuvrer votre entourage ou pour échapper à ceux qui tentent de vous prendre pour cible. En effet, pour les honnêtes gens du moins, il peut être utile de connaître les ficelles pour, à défaut de les tirer, savoir les identifier. Et c'est là que se pose la vraie question : êtes-vous honnête ?

samedi 3 août 2024

Agatha Christie - Le train de 16h50

Agatha Christie 

Le train de 16h50 

Ed. Le Masque 


Même si je n'ai pas été complètement convaincu par Enquête sur la disparition d'Emilie Brunet, ce roman d'Antoine Bello sera au moins parvenu à me communiquer son enthousiasme pour Agatha Christie. À peine refermé ce polar, j'en ouvre donc un signé de la "Reine du Crime", classique d'entre les classiques, Le train de 16h50.

Agatha Christie Le train de 16h50 Le Masque
Le 16h50 à destination de Brackhampton dans lequel a pris place Elspeth McGillicuddy se fait doucement doubler par un autre train. La passagère regarde défiler les wagons qui finissent par se stabiliser à sa hauteur. Là, horreur, elle aperçoit un homme, de dos, étrangler une femme aux yeux exorbités. Le train reprend de la vitesse et disparaît, emportant la victime et son assassin. Arrivée à destination, notre témoin se rend chez son amie, Miss Marple, et lui relate les évènements, toujours sous le choc de ce à quoi elle vient d'assister.

La première moitié du roman est visuelle, très graphique, et laisse une grande place à la spéculation. La seconde, beaucoup plus classique et parfois un peu confuse, prend ses distances avec la voie ferrée et se déroule dans une vaste demeure habitée par une famille noble un brin dégénérée. Les différents membres qui la composent correspondent à des clichés attendus, entre le vieux rapiat, la fille dévouée et le fils artiste, autour desquels papillonne le petit personnel. C'est là que la liste des suspects se met en place.

Comme d'habitude chez l'autrice de Cinq petits cochons, il semble plus sage de faire preuve de modestie et ne pas chercher à trouver le fin mot de l'histoire avant qu'il ne soit servi sur un plateau. En effet, disposer de toutes les pièces du puzzle n'est pas suffisant pour pouvoir les imbriquer. Encore faut-il pouvoir dompter la logique très singulière à laquelle l'assemblage obéit. Mieux vaut donc prendre le temps d'apprécier l'ambiance, la subtilité de la plume, le brillant travail de dialoguiste, et surtout se laisser guider par la maîtresse des lieux, en particulier lorsque celle-ci installe Miss Marple aux commandes. Ceci-dit, trop âgée pour prendre part à l'enquête, "la détective en fauteuil" délègue beaucoup. D'ailleurs, Lucy Eyelesbarrow, la jeune femme qui la seconde, lui vole la vedette. Dotée d'un joli sens de la répartie, d'aplomb et de dynamisme, elle investit le devant de la scène et, offrant un contraste saisissant avec le reste des protagonistes, elle vient heureusement rehausser la distribution.

Le lecteur, passif, assiste à l'enquête jusqu'à ce que le/la coupable soit démasqué/e lors de la scène finale. La révélation est évidemment impossible à prévoir. Du moins pour moi.

jeudi 1 août 2024

Walter Tevis - La couleur de l'argent

Walter Tevis 

La couleur de l'argent 

Ed. Gallmeister 


En 1959, Walter Tevis entame sa carrière de romancier avec L'arnaqueur, un livre mettant en scène un jeune prodige du billard, rongé par ses névroses et ses interrogations sur la mentalité des vainqueurs. Vingt-cinq ans plus tard, en 1984, l'année de sa mort, il publie son dernier roman, La couleur de l'argent, suite et fin des péripéties d'Eddie Felson. Entre les deux, vingt-cinq ans ont passé et le personnage a vieilli d'autant. C'est donc un quinquagénaire que l'on découvre dès les premières pages du livre. Il dirige désormais une salle de billards mais a lui-même remisé sa queue, vivant sur la légende qui auréole son passé et le souvenir de sa victoire sur Minnesota Fats.

Walter Tevis La couleur de l'argent Gallmeister
Quand une société de production l'approche et lui propose d'organiser et de filmer pour la télévision une série de rencontres contre son fameux dernier adversaire, il accepte de se repencher sur le tapis vert. Mais force est de constater que le temps a fait des ravages : il n'est plus que l'ombre du joueur qu'il était autrefois et s'incline à chaque partie. Le revoilà renvoyé à la fois face à ses démons et à une dure réalité. Il décide alors de se reprendre en main. Mais n'est-il pas déjà trop tard ? Est-ce seulement possible ? Et si oui, à quel prix ?

Quel plaisir de retrouver Eddie Felson ! Ce roman est la digne suite du précédent, construit autour de rencontres immersives et d'un impressionnant travail d'introspection. Les matchs et les conversations entre Fats et Eddie, entre un homme d'une grande aisance et un autre dévoré par le doute, sont empreints d'une subtilité profonde et constituent une riche source de réflexion. L'antagoniste, qui n'en est d'ailleurs pas réellement un, est un personnage passionnant, serein, qui va pousser Eddie à s'accomplir, à se révéler. Leur confrontation est stimulante au possible, inspirante. Bizarrement, au milieu de cette histoire pourtant assez resserrée, l'auteur se disperse vaguement avec une intrigue secondaire tournant autour d'un commerce d'œuvres d'art. Je n'ai pas très bien compris ce que ce second arc narratif venait faire là, toujours est-il qu'il n'occupe qu'une part anecdotique dans un livre parsemé d'excellents personnages et ponctué de scènes d'anthologie et de fulgurances. Un livre qui, par ailleurs, marque le point final d'une œuvre essentielle pour les aficionados de romans de genre - et, spécifiquement, pour les amateurs de littérature dépressive.

mercredi 31 juillet 2024

San-Antonio - Votez Bérurier

San-Antonio Votez Bérurier Fleuve Noir
San-Antonio 

Votez Bérurier 

Ed. Fleuve Noir 


Un drame a frappé la campagne électorale pour les législatives partielles de Bellecombe-sur-Moulx : le candidat d'extrême gauche, Gaétan de Martillet-Fauceau, est retrouvé abattu à son domicile. Bientôt, c'est le candidat de la droite, Georges Monféal, qui se fait poignarder ! San-Antonio, qui passe d'ennuyeuses vacances à Saint-Turluru-le-Haut, la commune voisine, saute sur l'occasion pour rompre sa monotonie. Il s'empare de l'affaire ! Mais quand le dernier candidat, celui du centre, Achille Lendoffé, trouve la mort dans son garage malgré la surveillance dont il bénéficiait, le commissaire lui-même, perplexe, semble dépassé par la situation... Heureusement, Bérurier lui apporte la solution sur un plateau d'argent : il va présenter sa candidature pour attirer le meurtrier !
"Dans ce patelin, le métier de candidat est de tout repos. De tout repos éternel !"
À partir de là, le Gravos passe sur le devant de la scène, secondé par le colistier qu'il mérite, l'adjudant de gendarmerie en retraite Morbleut, et avec lequel il offre un joli numéro de duettistes.
"- C'est un phénomène, votre adjoint, monsieur le commissaire, hasarde l'un des sbires attitrés du bureau.
- Lui ! C'est la joie des enfants, la tranquillité des parents et l'un des meilleurs limiers de la police, renchéris-je. Sans Béru, le monde serait gris comme un jour de la Toussaint !"
Au milieu de cette intrigue surprenante et finalement bien plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord, Béru endosse un rôle à sa hauteur. Il faut dire que la politique lui va comme un gant. Son parti est déconcertant, ses promesses de campagne décomplexées et sa profession de foi mériterait d'ailleurs d'être rapportée ici dans son intégralité. Autant dire que cet épisode, entre son scénario solide, sa chute inattendue, ses émotions finement dosées, ses personnages parfaitement exploités, sa langue inventive qui jongle avec les métaphores, néologismes, calembours et autres accumulations, son bon sens et son ironie mordante, cet épisode, disais-je, est l'un des sommets de la série !


 
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mardi 30 juillet 2024

Antoine Bello - Enquête sur la disparition d'Émilie Brunet

Antoine Bello 

Enquête sur la disparition d'Émilie Brunet 

Ed. Gallimard 


En littérature - comme au cinéma, d'ailleurs - la mise en scène d'un personnage amnésique ou █████ est un filon classique, pour ne pas dire surexploité, ce qui n'a pas empêché Antoine Bello d'en proposer une version personnelle. Mais la question se pose dès l'ouverture du roman : est-il encore possible de rendre mémorable une nouvelle variation sur le thème de l'amnésie ? 

Antoine Bello Enquête sur la disparition d'Émilie Brunet Gallimard folio
Suite à un accident, Achille Dunot est dans l'incapacité de former de nouveaux souvenirs. Il oublie les événements au fil de leur déroulement et se réveille donc tous les matins sans que la veille ait gravé quoi que ce soit dans sa mémoire. Aussi, quand la police demande à ce détective retiré des affaires de l'aider à élucider la disparition d'une jeune femme, Émilie Brunet, notre héros semble ne pas être l'enquêteur idéal. Il va pourtant s'y atteler et consigner tous les soirs dans un journal les résultats de ce travail qui ████████████████████ et qu'il relit tous les matins au réveil. Au grés des pages et de ses relectures quotidiennes, le personnage devient alors le protagoniste de sa propre enquête et le lecteur privilégié de ses aventures personnelles. La mise en abîme est totale ! Tout comme lui, en lieu et place du roman, c'est son journal que nous tenons entre les mains, un journal dont des passages sont parfois biffés, parfois caviardés. Il faudra attendre un moment avant d'en comprendre les raisons - sur lesquelles je ne m'étendrai pas pour ne pas en dévoiler plus qu'il n'en faut.

L'enquête de ce détective amnésique est l'occasion pour Antoine Bello de doubler son récit d'un hommage appuyé à Agatha Christie. En effet, Achille Dunot, passionné par les roman de cette dernière et fervent admirateur d'Hercule Poirot, compare sans cesse les interlocuteurs auxquels il est confronté aux personnages qui peuplent les livres de la Reine de Crime. Malheureusement, il prend ainsi le risque d'égarer les lecteurs qui n'auraient pas toutes les références. Sachant que les allusions aux énigmes résolues par le policier belge finissent peu à peu par prendre le pas sur l'intrigue, les ████████████████████████. L'auteur d'Ada, qui nous avait pourtant habitué à de passionnantes réflexions sur la littérature, se contente ici d'énumérer des œuvres, de les résumer ou d'en dévoiler la chute, et ces comparaisons confinent à l'exercice de style. N'ouvrant jamais réellement de piste ou de critique, il donne même l'impression d'étaler gratuitement sa parfaite connaissance du sujet. Tout ceci confère à l'entreprise un caractère plutôt vain, une impression que vient confirmer une chute peu convaincante, voire █████████.

Quant à répondre à la question posée en fin du premier paragraphe, il semble évident que ████████████████████████, en particulier au regard du ███████ !

jeudi 25 juillet 2024

Robert Heinlein - Destination Outreterres

Robert Heinlein 

Destination Outreterres 

Ed. Audiolib 


Robert Heinlein Destination Outreterres Audiolib
Afin de désengorger la Terre exsangue, l'humanité a décidé de coloniser l'espace !

Chaque année, de jeunes candidats sont envoyés en mission à travers le cosmos afin de tester leur capacité à s'adapter à un nouvel environnement. Ils franchissent un portail qui les transportent vers l'inconnu. S'ils survivent dix jours, ayant ainsi prouvés leur aptitude à maîtriser de nouveaux lieux de vie, ils peuvent rentrer, prêts pour le vrai voyage.

Mais voilà : le passage de retour ne s'est jamais rouvert pour Rod Walker, bloqué dans les Outreterres. Bientôt réuni avec d'autres candidats, comme lui abandonnés à leur sort sur cette planète infestée de stobors, il va devoir tout mettre en œuvre pour survivre. Le temps passe et l'évidence s'impose : le petit groupe ne rentrera jamais chez lui. Il lui faudra donc composer une nouvelle société à partir de ses connaissances et des moyens dont il dispose. Et en repenser les fondements. Quel magnifique terrain de jeu pour Robert Heinlein ! Malheureusement, là où j'aurais voulu que l'auteur de Marionnettes Humaines avance quelques réformes et se lance dans une critique de son époque, il ne s'éloigne jamais des préceptes de son temps et se contente d'un conservatisme un peu agaçant. Ainsi le roman est-il le reflet daté des années cinquante, en particulier dans les relations très inégalitaires entre les hommes et les femmes. D'ailleurs, au fil de l'intrigue, ces dernières sont bientôt réduites à leur rôle procréateur.

Concernant la forme, disons que, malgré quelques longueurs ici ou là, la narration est plutôt rythmée. Il faut dire que l'auteur est allé à la facilité et s'est principalement cantonné à des scènes dialoguées. Mais, là aussi, le temps a fait son œuvre : les échanges entre les personnages sont d'une autre époque et sonnent souvent faux. Même l'investissement du comédien qui interprète cette version audio, Frédéric Souterelle, ne parvient pas à faire oublier le complet décalage entre le futur annoncé de l'action et les expressions d'antan figées et, par conséquent, à rendre certaines scènes convaincantes. Bref, malgré quelques bonnes idées qui raviront les survivalistes les plus tenaces, Destination Outreterres est un roman de divertissement somme toute assez inoffensif et le témoignage d'une époque qui nous rappelle notamment que nous partons de très loin en ce qui concerne notre prise de conscience écologique...

mardi 23 juillet 2024

San-Antonio - Mon culte sur la commode

San-Antonio Mon culte sur la commode Fleuve Noir
San-Antonio 

Mon culte sur la commode 

Ed. Fleuve Noir 


San-Antonio se voit confier une mission de la plus haute importance : mettre un terme à la menace qui plane sur le pays et en particulier sur sa capitale, cible d'attentats à la bombe. Pour commencer, il lui faut profiter d'un vol pour interroger un certain Bezamé Moutch, ambassadeur du Razdmoul. Voilà une tâche aisée pour le commissaire. Mais c'est sans compter sur le fait que l'avion qui transporte les deux hommes explose en plein ciel, première péripétie d'une longue liste qui va envoyer notre héros et ses acolytes habituels, Béru et Pinuche, de Paris à Leningrad en passant par Helsinki.

Si ce n'est parce qu'il est le centième de la série, cet épisode n'a rien d'exactement mémorable. Son intrigue est assez faible, ne s'embarrasse presque pas plus de crédibilité que de cohérence et ses personnages font le minimum de ce que l'on peut en attendre. De plus, l'auteur leur fait parfois tenir des propos difficile à cautionner. Heureusement, la langue, elle, est toujours au rendez-vous, pleine de trouvailles délirantes et de joyeux barbarismes, malmenée avec une inventivité qui force le respect et dont je ne me lasse décidemment pas.


 
Et pour suivre l'avancée de ma lecture complète des aventures du commissaire San-Antonio, cliquez sur le sourire de l'auteur !

mardi 9 juillet 2024

Roland Lehoucq - Scientifiction

Roland Lehoucq 

Scientifiction 

Ed. Le Bélial' 


Roland Lehoucq Scientifiction Le Bélial' parallaxe
À l'image de ceux qui se jettent sur la page des résultats sportifs ou des programmes télé quand ils prennent le journal, j'ouvre directement la revue Bifrost - dont je suis un lecteur occasionnel - par la rubrique tenue par Roland Lehoucq. Dans celle-ci, tous les trois mois, ce dernier propose de confronter les applications scientifiques que contiennent des œuvres de genre à la réalité de notre monde. En effet, face aux séries qui mettent en scène la téléportation ou le voyage interstellaire, aux romans qui dotent les hommes de pouvoirs ou qui en manipulent les atomes, aux films qui jouent avec l'antimatière ou les champs de force, le public est en droit de s'interroger sur la crédibilité de ce que ces fictions lui soumettent. 

Sous-titré "La physique de l'impossible", ce volume, qui compile donc dix-sept articles déjà parus dans la revue Bifrost, se montre à la hauteur des précédents titres de la collection : ludique et passionnant ! Avec son enthousiasme communicatif et son imparable sens de la formule, Roland Lehoucq - comme toujours, suis-je tenté d'affirmer - parvient à rendre accessible des concepts qui pourraient dépasser l'entendement du commun des mortels. Inutile toutefois d'être outillé en sciences, la curiosité est l'unique prérequis ! Ainsi, vous qui vous demandez si la psychohistoire est applicable dans notre univers, si déplacer la Terre est du domaine du possible ou encore si l'homme invisible a une ombre, vous avez déjà fait le gros du travail. Vous n'avez plus alors qu'à vous en remettre au spécialiste. L'astrophysicien, directeur de la collection Parallaxe et du festival des Utopiales (entre autres), se fera un plaisir de démêler l'extrapolation romanesque de la vérité scientifique et de fournir des réponses claires à toutes ces questions.

Beau joueur, il ne cloue pas au pilori les œuvres qui prennent des libertés avec son domaine de compétence. Son idée est plutôt de s'en inspirer pour proposer une histoire de l'antimatière, expliquer ce qu'est un trou de vers, présenter les travaux de Leonid Shkadov ou exposer les contraintes de la compression de la matière. Il se fait alors clairement plaisir, ce dont on ne se rend jamais autant compte qu'arrivé à l'article d'Hal Clement, un auteur déjà invité dans les pages de La Vie Alien et dont le texte, très (trop ?) richement annoté, clôture ici l'ouvrage. Mais il n'y a pas de mal à se faire du bien, non ?

D'autres avis ? Hop ! FeydRautha, Célinedanaë, StéphanieLe Chroniqueur...