mercredi 2 juillet 2025

San-Antonio - Un éléphant, ça trompe

San-Antonio Un éléphant, ça trompe Fleuve Noir

San-Antonio 

Un éléphant, ça trompe 

Ed. Fleuve Noir 


En plus d'être le cousin de Béru et le subrogé tuteur de Marie-Marie, Évariste Plantin, éleveur de poules de son état, est maire d'Embourbe-le-Petit. Et il a bien des soucis. Son villages des Yvelines est touché depuis plusieurs mois par un mal mystérieux : plus aucune femme n'y donne naissance ! San-A et son complice de toujours, sur place en ce jour de festivités à l'occasion du jumelage avec le village anglais de Swell-the-Children, vont non seulement découvrir quelques cadavres mais également constater que la localité britannique est elle aussi touchée par la même improbabilité démographique. Nos deux hommes traversent la Manche pour y mener leur enquête...

L'occasion est toute trouvée pour massacrer la langue de Skakespeare ou encore jouer sur la rivalité entre la France et la Perfide Albion. Comme toujours, portée par sa distribution, ici égale à elle-même mais toutefois réhaussés d'une Marie-Marie pleine de surprises et de ressources, l'intrigue offre son lot d'incongruités, de délires en tous genres et des digressions habituelles.
"Mais je me répands, les gars, excusez-moi. Je crois que ça doit être glandulaire, cette manie toujours de me mettre à tartiner quand une idée m'empare."
Le commissaire, "à côté de qui le chevalier Bayard n'est qu'un va-de-la-gueule, Turenne une chiffe molle, Sherlock-Holmès un débile mental et Cambronne un poète de salon", va remonter une piste insoupçonnée, qui le mènera droit sur une organisation de nazis stérilisateurs. Oui, vous avez bien lu. Mais ne vous y trompez pas, le grand n'importe-quoi annoncé ne débouchera finalement que sur un épisode somme toute assez moyen.


 
Et pour suivre l'avancée de ma lecture complète des aventures du commissaire San-Antonio, cliquez sur le sourire de l'auteur !

mercredi 11 juin 2025

Pierre Lemaitre - Au revoir là-haut

Pierre Lemaitre 

Au revoir là-haut 

Ed. Albin Michel 


Pierre Lemaitre Au revoir là-haut Albin Michel
En 2013, année de publication du premier opus de sa trilogie consacrée aux évènements du vingtième siècle, Pierre Lemaître délaisse le roman policier pour se consacrer au picaresque. Riche idée ! Il inscrit ainsi son nom dans la liste des récipiendaires du prix Goncourt et entre de fait dans le cercle fermé des auteurs renommés de la littérature blanche. Attendez, juste un détail : picaresque ? Pas historique ? Oui, c'est le romancier lui-même qui l'affirme. Et c'est vrai que Au revoir là-haut coche toutes les cases du genre. Voyez plutôt : Edouard et Albert sont deux anciens poilus. Gueule cassée constamment masqué et dorénavant dépendant à la morphine pour l'un, traumatisé par son expérience et atteint d'une perception définitivement altérée de la réalité pour l'autre, ils vivent ensemble, reclus, oubliés d'une société pour laquelle les vrais héros sont tombés au combat. Par ailleurs, Henri, leur supérieur, un aristocrate arriviste, celui par lequel le malheur des deux premiers est arrivé, est retourné à la vie civile auréolé d'une gloire usurpée. Chacun à sa façon, ces trois hommes vont tenter de tirer profit de leur situation, alors que les hasards de l'existence - ou de l'imagination d'un romancier machiavélique - les maintiennent dans un cercle commun.

En quoi tout ceci est-il plus picaresque qu'historique ? vous demandez-vous sûrement. Par le fait que l'auteur axe sont récit autour de protagonistes embarqués dans des aventures extravagantes, exposés au différentes couches de la société et confrontés à des problématiques de mœurs. Certes, le roman prend pour toile de fond un évènement du passé mais cela ne fait pas tout. D'ailleurs, plus que la Première Guerre Mondiale, c'est l'opportunisme le sujet du livre. L'opportunisme d'Henri, évidemment, mais également celui des deux poilus qui mettent au point cette immense arnaque des monuments aux morts et se jouent du patriotisme ou des valeurs d'un état ingrat envers ses combattants. Qu'ils cherchent à exploiter une situation ou à se venger d'une injustice, les personnages tirent parti des circonstances, faisant fi des principes moraux. Ceci dit, certains sont plus excusables que d'autres. Si Henri est un antagoniste un peu caricatural, Albert est un personnage plus subtil, tiraillés entre des sentiments contradictoires. Quant à Edouard, il est peu nuancé dans son désir de vengeance, même s'il est difficile de ne pas y voir une rancune légitime ou d'apprécier la dimension artistique et l'inventivité qu'il investit dans son projet.

L'auteur a beau s'être détourné du roman policier, il en a conservé les ficelles d'écriture. L'intrigue est d'une redoutable efficacité - même s'il y a ici ou là quelques coïncidences faciles - et les accroches de fin de chapitre ou l'alternance des arcs narratifs ne laissent d'autre choix au lecteur que celui de tourner les pages. C'est très habile. Ce gros livre se lit donc d'une traite et presque de plus en plus vite, alors que la chute semble inéluctable et que la tension monte. D'une plume très immersive, finalement assez classique bien qu'occasionnellement réhaussée de fulgurances, Pierre Lemaitre déploie toute son énergie pour entretenir un suspense qu'il fait durer jusqu'aux toutes dernières pages. Celles-ci clôturent l'histoire en beauté et n'appellent pas nécessairement de suite. Il y en aura pourtant deux, qui, si j'ai bien compris, pourront se lire indépendamment et mettront en avant les personnages secondaires de ce volume. Je vais probablement aller y jeter un œil.

mercredi 4 juin 2025

Alastair Reynolds - Éversion

Alastair Reynolds 

Éversion 

Ed. Voolume


alastair reynolds eversion belial voolume

Le Déméter est une goélette de cinquième rang qui navigue dans des eaux glacées le long de la côte norvégienne. À son bord, le capitaine Van Vught, le colonel Ramos, le mathématicien Dupin, la journaliste Ada ou encore le médecin Silas Coade, tous attendent - espèrent ? - qu'un œil aiguisé trouve la fissure recherchée, un passage dans la roche qui doit mener vers... vers quoi ? Nul ne le sait. Mais à en croire Topolsky, l'armateur, une chose est certaine :  la fortune et la gloire sont de l'autre côté !

Parvenu à ce point de mon billet, la question se pose : dois-je en dire plus au risque de trop en dévoiler ou en rester là au risque de ne pas en dire assez ? Hmmm... L'essentiel de l'intrigue reposant sur sa part de mystère, le mieux, à mon avis, est de la préserver. Sachez toutefois que la version maritime de cet épisode laissera bientôt la place à une nouvelle variation sur un thème différent et que le roman sera par la suite composé d'une succession de couches narratives et d'autant d'aspects d'une réalité. Cela ne vous semble pas très clair ? C'est normal, la confusion fait partie de la donne de départ. Elle laissera bientôt sa place à une immersion totale.

Éversion est un roman assez inqualifiable. Récit d'aventure, littérature de genre, huis clos psychologique, il est tout ceci à la fois. Concernant ce dernier point, il faut d'ailleurs souligner que le livre brille par une distribution soignée, mise en scène avec finesse. L'auteur prend le temps de creuser des protagonistes complexes qui évoluent au fil des réalités mais qui restent parfaitement cohérents dans un environnement où tout semble pourtant étrange. L'espace clos dans lequel ils évoluent et le sentiment d'incompréhension ambiant n'y sont pas étrangers. Tout ceci participe de la tension d'un roman par moments oppressant.

Les membres d'équipage étudient la situation, échafaudent des hypothèses - le lecteur également - et tentent de comprendre, de garder leur calme et de se comporter comme des humains responsables. Et c'est là que l'on touche au cœur du sujet. Qu'est-ce qu'être humain ? En avoir les qualités ? Les défauts ? Éprouver des sentiments ? Être doté d'une conscience ? Alors le livre prend la tournure d'une fable philosophique, voire existentialiste, sans jamais toutefois s'éloigner de son caractère hautement romanesque ni perdre de vue sa dimension stylistique. En effet, Alastair Reynolds écrit dans une langue magnifique, ici sublimée par la traduction de Pierre-Paul Durastanti et à laquelle l'interprétation de Simon Jeannin pour le compte des éditions Voolume fait honneur. 

Tout comme les passagers du Déméter ignorent ce qui se trouve de l'autre côté de la fissure, le lecteur d'Éversion ne peut se douter de ce dans quoi il s'embarque en ouvrant ce roman. Et c'est là tout le talent de l'auteur : il parvient à faire plonger tout le monde dans un inconnu semble-t-il obscur et pourtant d'une parfaite maîtrise. C'est très impressionnant.


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mercredi 28 mai 2025

Tiffany McDaniel - Betty

Tiffany McDaniel 

Betty 

Ed. Gallmeister 


Tiffany McDaniel Betty Gallmeister
Les voies de la traduction étant impénétrables, c'est par le biais de son second livre que nous découvrions en France, en 2020, Tiffany McDaniel, dont le premier roman n'avait alors pas encore traversé l'Atlantique. La jeune romancière américaine, s'inspirant librement de son histoire familiale, nous offrait là le portrait romancé de sa mère, renommée Betty pour l'occasion. 

Survivante, pour le pire ou pour le meilleur, d'une fratrie touchée par un fort taux de mortalité, Betty voit le jour en Ohio au milieu du vingtième siècle, dans une famille pauvre et métissée. Elle n'hérite pas de la couleur de peau de sa mère blanche mais de celle, sombre, de son père, Cherokee. Ce dernier entreprend de transmettre la culture de ses ancêtres à cette fille que l'on surnomme volontiers "la petite indienne". Nourrie de légendes, de traditions et de croyances ancestrales, elle est par ailleurs confrontée à la réalité d'une société qui revendique la richesse de son histoire mais refuse pour autant d'intégrer ceux qui la perpétue. Betty serait-elle le chaînon manquant entre les générations qui ont forgé la culture de son pays et celles qui ont relégués les précédentes au rang du folklore ? C'est bien possible. Les injustices, la violence et le racisme auxquels elle se heurte ne peuvent que confirmer cette hypothèse. Son existence sera difficile, le roman également.

Oui, par bien des aspects, le roman est difficile. D'une grande tristesse, pourrait-on dire. Et pourtant, il est incroyablement lumineux, à l'image de Landon, le père de Betty. Au milieu de la vaste galerie de personnages, c'est lui, envoûtant, qui attire la lumière et retient toute l'attention du lecteur. Lumineux, disais-je, notamment grâce à sa conviction que la poésie peut sauver quiconque de l'agitation. Mais aveuglé par son propre lyrisme, par la nécessité d'entretenir la flamme et par la forme d'énergie du désespoir qu'il y investit, il met malgré lui en évidence une vérité implacable : la société a évolué sans les gens comme lui, laissant derrière elle ceux qui s'évertuent à voir du beau là où domine le moche. Et toutes ses histoires, aussi belles et sensibles soient-elles, peinent à dissimuler cette évidence. Aussi, malgré tous ses efforts, et malgré le caractère résolument salutaire de sa démarche, celle-ci semble vaine. Et pourtant indispensable, ni plus ni moins. Encore un paradoxe. À croire que, comme le roman, le pays et la société sont fondés sur des idées contradictoires.

Si, donc, cet incroyable roman a introduit Tiffany McDaniel auprès du lectorat français, il l'a surtout confirmée, à une échelle plus vaste, comme une autrice incontournable de la littérature américaine. Il faut dire qu'elle avait déjà fait forte impression dès son premier livre, le non moins incroyable L'été où tout a fondu, publié dans son pays d'origine quatre ans auparavant. Et dont je ne peux que vivement vous conseiller la lecture.

mardi 20 mai 2025

P. Levene & J.L. Morrissey - L'eau épaisse

Philip Levene Joseph Lawrence L'eau épaisse Fleuve Noir Anticipation
Philip Levene & Joseph Lawrence Morrissey 

L'eau épaisse 

Ed. Fleuve Noir 


Hasard ou coïncidence, on rapporte en différents lieux d'Angleterre les mystérieuses disparitions de plusieurs anthropologues - ou, pour être plus précis, de plusieurs "anthroplogistes", sous la plume de B.R. Bruss, le traducteur. Rapidement, d'entre toutes les hypothèses possibles, on soupçonne les russes d'être à l'origine de ces enlèvements. N'oublions pas que nous sommes en 1962.
"Ce sont ces Russes, docteur, j'en suis sûre. Ils veulent nous prendre tous nos savants. Avec leurs spoutniks et leurs autres inventions, ils veulent conquérir tout l'univers."
Mais bientôt, alors que des évènements similaires se produisent derrière le rideau rouge, l'affaire prend "nettement une importance internationale". Les autorités mènent l'enquête mais celle-ci ne fait que mettre en lumière le caractère inexplicable de ces disparitions : les savants semblent s'être volatilisés le temps d'un claquement de doigts, en ne laissant derrière eux qu'un trou dans le sol et un fort sentiment d'incompréhension. Un jeune enquêteur et sa nouvelle compagne s'emparent de l'affaire. L'intrigue se met alors en route et, au terme d'une aventure flegmatique, elle débouche sur une implacable conclusion : les responsables sont des créatures aveugles, farouches mais bienveillantes, qui vivent dans les profondeurs de la planète et qui voient d'un mauvais œil, si je puis dire, la reprise par les grandes puissances de leurs expériences nucléaires. N'oublions pas que nous sommes en 1962.

Dans cette variation sur le thème des creuses creuses, l'ère atomique et la farouche opposition des blocs de l'est et de l'ouest sont moins révélatrices de l'époque d'écriture du roman que la relation entre les deux protagonistes, fraîchement amoureux, qui terminent presque toutes leurs lignes de dialogue par "mon chéri" pour l'un, "ma chérie" pour l'autre. Qu'ils sont agaçants ! Quant à la teneur de leur liaison, je vous laisse en juger d'après ce extrait torride :
"- Avant d'être un homme de science, je suis d'abord un homme. Je crois bien que c'est la première fois que je m'en aperçois et que je souhaite, à la fin du jour, oublier mon travail et me reposer dans un jardin...
Elle acheva sa phase :
- Avec une femme gentille qui vous apportera vos pantoufles et votre pipe.
Il y eut un soudain silence entre eux. Mais il l'avait prise dans ses bras, et ce qu'ils avaient à se dire pouvait se passer de paroles."
Les joies de la vie de couple ! Que de belles années en perspective pour lui qui fera des sciences pendant qu'elle sera femme au foyer ! N'oublions pas que nous sommes en 1962.

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FNA n°216

samedi 10 mai 2025

Larry McMurtry - Lonesome Dove

Larry McMurtry 

Lonesome Dove 

Ed. Gallmeister 


Cowboys et indiens, bétail et bisons, saloons et prostituées, n'en jetez plus, nous sommes dans un western, ce qui est d'autant plus indéniable que celui-ci coche tous les clichés du registre dans lequel il s'inscrit. Mais qui va s'en plaindre ? Certainement pas moi. Surtout que le romancier américain va bien au-delà : il s'en empare.

Larry McMurtry Lonesome Dove gallmeister
Si le cinéma n'est pas étranger à la popularisation des clichés en question, la littérature a également sa part de responsabilité. Celle-ci compte ses classiques, au nombre desquels figurent les monuments patrimoniaux de Larry McMurtry, Lonesome Dove en tête. Les deux volumes qui composent ce roman ont rendu son auteur célèbre, voire incontournable dans le genre, et lui ont permis de décrocher le prestigieux prix Pulitzer en 1986. Ils seront plus tard suivis de trois autres opus sur lesquelles je compte bien mettre la main sitôt ce billet publié. Et pour cause, ils m'ont laissé une forte impression doublée d'une envie irrépressible de revenir dans ses grands espaces et d'y retrouver ses personnages charismatiques.

Augustus « Gus » McCrae et Woodrow F. Call sont deux anciens rangers qui ont eu leur heure de gloire il y a bien longtemps. Depuis, sous le soleil de plomb du Texas, fatigués mais paradoxalement inépuisables, ils sont désœuvrés. Plus rien n'a de sens. L'un noie son ennui dans le travail, l'autre dans de longs monologues adressés à ses cochons. Le temps s'étire et ne présente dorénavant plus aucune perspective. Aussi, quand Jake Spoon, comme eux ancien ranger, revient à Lonesome Dove après dix ans d'absence et leur propose de repartir avec lui à l'aventure, ils aperçoivent l'échappatoire qu'ils n'osaient plus espérer. Le projet est de rassembler un troupeau et de le conduire dans le grand nord, en des terres encore à conquérir. Mais, pour Spoon, l'idée derrière ce plan est surtout de prendre le large et de se faire oublier après avoir accidentellement abattu un dentiste en Arkansas...

Larry McMurtry Lonesome Dove gallmeister
Accompagnés d'une petite équipe composée d'un ancien pisteur, d'un bandit mexicain, d'un orphelin apprenti cowboy ou encore d'une prostituée qui cherche à échapper à sa condition, nos protagonistes se mettent en route, ignorant alors qu'un sheriff est sur les traces de Spoon et qu'ils vont au devant de sérieuses mésaventures. Il faut dire qu'on ne s'improvise pas convoyeur d'un cheptel de plusieurs milliers de têtes, ce que chacun apprendra à ses dépends et par la manière forte. Confrontés à eux-mêmes, Gus, Call et les autres n'auront finalement que ce qu'ils cherchaient. Ils voulaient sortir de leur confort ? Voir du paysage ? Vivre des aventures ? Les voilà servis. Le lecteur également.

Même si la trame est riche de rencontres improbables - brigands, comanches, ours ou serpents - et de caprices de la nature, l'essentiel du roman repose sur ses personnages. Il peut d'ailleurs être prudent de ne pas trop s'y attacher. Dans cet environnement hostile et en cette période rude, la mort n'est jamais loin. Pour ne rien arranger, les personnages rivalisent de malchance. D'une certaine façon, c'est même la caractéristique principale du livre - et ce à quoi il pourrait se résumer : c'est l'histoire de la poisse. Mais quelle histoire ! Le millier de pages que durera ce voyage offrira non seulement à l'auteur l'occasion de repousser les malchanceux dans leurs derniers retranchements mais également d'imaginer une vaste fresque sur fond de décors grandioses et de revisiter les mythes fondateurs américains, à grands coups de péripéties et de drames. Autant d'épreuves qui rappelleront aux aventuriers que tout a un prix, aussi bien l'amitié, l'amour et la liberté que les bêtes à cornes.

vendredi 9 mai 2025

San-Antonio - Le casse de l'oncle Tom

San-Antonio Le casse de l'oncle Tom Fleuve Noir
San-Antonio 

Le casse de l'oncle Tom 

Ed. Fleuve Noir 


On a retrouvé le corps du vieux Thomas Dugadin, un oncle par alliance de San-Antonio, assassiné et pendu par les pieds. Le mort possédait un magot auquel, semble-t-il, il tenait plus qu'à la vie - il a succombé à la torture sans révéler son emplacement. À la nouvelle de ce décès, notre héros quitte son lieu de villégiature pour assister à l'enterrement. Il découvre à cette occasion qu'il est couché sur le testament, mais à une condition : qu'il retrouve ses meurtriers. La victime se savait donc menacée !

En compagnie de Jérémie Blanc, un jeune enquêteur noir que San-A a fait entrer dans la police lors de l'épisode précédent  et qu'il entend former au métier, il s'empare de l'affaire... Pourquoi préciser que Jérémie Blanc est noir ? Sans doute car - et on peut s'en douter rien qu'à son patronyme - la couleur de peau du policier alimentera à elle seule la majorité des blagues de l'ouvrage, ce qui est régulièrement embarrassant...
"Il caresse, du bout de ses longs doigts noirs, les Ray-Ban qui lui servent à se moucher."
Gênant, n'est-ce pas ? Je sais bien qu'il faut parfois remettre les ouvrages dans leur contexte mais le temps passé n'excuse pas tout. J'en entends déjà clamer qu'on ne peut plus rire de rien, que c'était mieux avant... Pour ma part, je prends mes distances avec cet humour et le laisse à ceux qui sauront l'apprécier - si tant est que l'on puisse.

Bref, empêtré dans une affaire qui le dépasse, Jérémie Blanc sera bientôt écarté de l'intrigue d'un coup de couteau. La seconde moitié du livre se fera donc sans lui et, par conséquent, l'auteur refocalisera son esprit sur des sujets moins discutables. Il redresse alors sérieusement le niveau. Malheureusement, en ce qui me concerne, le mal est fait. Les péripéties des chapitres suivants ne suffiront pas à rattraper le faux-pas d'un épisodes que le romancier annonçait pourtant comme des plus prometteurs :
"Un récit qui ne laissera pas de te surprendre et t'entraînera très vite dans de folles péripéties, tu vas en avoir la preuve et le cœur net avant que le coq du clocher de Saint-Joice-en-Valdingue n'eût chanté trois fois."


 
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mercredi 23 avril 2025

Nathan Hill - Bien-être

Nathan Hill 

Bien-être 

Ed. Gallimard 


Nathan Hill Bien-être Gallimard
Les premières pages nous présentent une jeune femme, Elizabeth, et un jeune homme, Jack. Nous sommes en 1990 à Chicago. Elle étudie la psychologie, lui est artiste, photographe à ses heures. Ils ne se connaissent pas. Mais le hasard ou le destin, que sais-je, veut que les fenêtres de leur appartement soient face à face. Ils s'observent. Les deux protagonistes ont beau venir de milieux très différents, ils partagent sans le savoir une envie commune de prendre leur existence en main et une ambition réformatrice de la vie. Ils seront maîtres de leur histoire ! Et quand ils se rencontrent enfin, c'est le coup de foudre. Alors, sans attendre, l'auteur nous propulse dans le temps, vingt ans plus tard.

Vingt ans plus tard, Elizabeth et Jack ont bien changé. Tous les petits compromis nécessaires à la survie de leur couple ont fini par raboter leurs belles promesses. Quant à leurs rêves, ils n'ont pas survécu à l'usure du temps. Ils se sont embourgeoisés, ont acheté un appartement, ne partagent plus le même lit, élèvent un fils qui se positionne entre eux. La réalité a pris le pas sur l'illusion de l'amour parfait, le quotidien routinier sur les projections romanesques. D'anticonformistes, ils sont devenus disciplinés. Cela vous étonne, vous semble triste ? Mais c'est la vie, voyons. 

Je me rends bien compte de l'aspect moralisateur, fataliste ou rabat-joie que peut sembler revêtir l'ouvrage. Mais la réalité est bien plus subtile. Déjà car le livre de Nathan Hill est drôle, ensuite car il est lucide, enfin car il est malin.

Ponctuée de scènes caustiques et mâtinée d'un grand sens de la dérision, l'histoire d'Elizabeth et Jack est aussi exaltée qu'est désolant leur quotidien. Le romancier y injecte autant de malice que d'ironie et s'y investit avec un enthousiasme communicatif - l'affection qu'il porte à ses personnages est évidente. Certes, il les malmène, mais c'est pour mieux assister à leurs réactions, mieux les comprendre. Il ne faudra pas moins de 700 pages à Nathan Hill, 700 pages à la narration millimétrée (parfois un peu formatée) et à la construction déstructurée (parfois un peu calibrée) pour ausculter ses protagonistes, les évaluer et tirer les conclusions qui s'imposent.

Vous l'aurez compris, avant d'être une bonne histoire, pessimiste mais joviale, une comédie humaine articulée autour de la dérive de bons personnages, Bien-être est un roman social. Son projet est bien de dresser le portrait de ses concitoyens. Nous. Nous qui évoluons dans une société basée sur des valeurs qui méritent d'être décortiquées et remises en question - ce à quoi Nathan Hill s'emploie avec un talent rare, une grande capacité d'analyse et une certaine forme de décontraction.

lundi 14 avril 2025

Robert Silverberg - Opération pendule

Robert Silverberg 

Opération pendule 

Ed. J'ai Lu 


Robert Silverberg Opération pendule J'ai Lu
Des jumeaux, l'un paléontologue et l'autre physicien, sont volontaires pour une expérience qui pourrait révolutionner l'histoire de l'Homme : un voyage temporel. Un voyage ? Des voyages ! Les deux frères partent en même temps mais dans des directions différentes, quelques minutes dans le passé pour l'un, quelques minutes dans le futur pour l'autre. Puis le balancier les renvoie dans l'autre sens, un peu plus loin, quelques dizaines de minutes dans le futur ou dans le passé, et on recommence, toujours un peu plus loin, toujours dans l'autre direction...

Le paléontologue rêve de voir des dinosaures, le physicien d'être confronté à l'inconnu. Chacun verra deux facettes du temps, à tour de rôle, passé et avenir, avant de retourner définitivement à son point de départ. C'est le plan.

Que dire de plus, une fois posé ce résumé ? Rien, j'en ai peur. Et pour cause, les quelques deux cents pages qui tentent de développer le roman sont consacrées à un remplissage qui dissimule mal l'absence de matière. Chaque étape dans le temps dure deux ou trois pages, ce qui paraît un peu court pour décrire une époque et y immerger le lecteur. Puis vient la suivante et ainsi de suite, jusqu'au moment où s'amorce le retour. Alors le livre s'interrompt brusquement. Si brusquement que j'ai même cru qu'il me manquait la fin du livre. Mais non. Si le déroulé de l'histoire est feignant, la chute est inexistante.

Robert Silverberg Opération pendule J'ai Lu moebius
Le livre semble d'autant plus court que le concept aurait été propice à un volume conséquent, rempli d'aventures extraordinaires et de pistes de réflexion profondes sur la séparation des jumeaux, envoyés séparément dans le temps. Au contraire, alors que l'auteur brille habituellement dans ce domaine, les personnages ne sont que peu creusés - et d'ailleurs totalement interchangeables. De fait, il est difficile de se prendre de passion pour les aventures de l'un ou l'autre. Quant aux décors, ils sont vaguement esquissés. Les problématiques du futur, elles, sont dans le meilleur des cas survolées.

Bizarrement, malgré cet inaboutissement global, le roman se dévore d'une traite. Il faut dire que Silverberg maîtrise sa narration et sait emmener le lecteur avec lui. Les pages se tournent toutes seules. Elles réservent d'ailleurs quelques très belles surprises grâce aux illustrations signées Moebius. Mais, une fois le roman refermé, le sentiment d'insatisfaction ne tarde pas. La question alors se pose : C'est tout ? La réponse est implacable : oui, c'est tout.

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mercredi 9 avril 2025

San-Antonio - Y'a de l'action

San-Antonio Y'a de l'action Fleuve Noir
San-Antonio 

Y'a de l'action 

Ed. Fleuve Noir 


Sur la demande pressante du Patron, San-Antonio se rend à Cannes, en plein festival. Au milieu des smokings et des vedettes, des strasses et du champagne, Achille est préoccupé. Et pour cause, le doute n'est plus possible, l'Hyène est sur la Croisette. C'est un homme dangereux, "le plus mystérieux personnage de notre époque. Un zig vraiment diabolique au crédit duquel on porte tous les grands coups fourrés insolubles". Ses empreintes l'ont confondu. Le criminel, spécialiste des déguisements, se dissimule sous les traits de cette jeune femme, là. La mission de San-A est simple : liquider l'Hyène. Ni une, ni deux, il passe à l'action... pour aussitôt réaliser qu'il y a eu erreur sur l'identité de sa victime. Achille s'est trompé de cible ! Une innocente est morte et le malfaiteur est toujours en liberté...

Après une telle bavure, notre héros plonge en pleine crise de conscience. Heureusement, Béru arrive à la rescousse pour le seconder et, accessoirement, lui remonter le moral, ce qu'il entreprend avec le naturel que l'on pouvait en attendre. Quant à le seconder, il devra faire plus que ça : percuté par une voiture, San-A se retrouve cloué sur un lit d'hôpital avec "une fracture du bassin, je crois, et aussi de la jambe droite. Plus une luxation d'une épaule, un léger traumatisme crânien et trois côtés fêlées"...
"Et si après vous trouvez qu'il n'y a pas assez d'action, de mystère et de suspense dans mes bouquins, les gars, c'est qu'il faut vous désintoxiquer les cellules à fond, faire le ménage de vos méninges, vous rapprendre à lire dans l'annuaire des téléphones ou dans Mauriac."
Comme vous pouvez l'imaginer, ce contretemps n'empêchera pas notre héros de "raconter une history bien bathouse, frémissante, suspensive", pleine de comparaisons, accumulations et autres calembours, et dont l'intrigue, plutôt efficace et menée tambour battant par des personnages en grande forme, trouve malheureusement sa conclusion dans une chute un peu facile. 


 
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