Marcial Gala
Appelez-moi Cassandre
Ed. Zulma
Je me souviens de m'être totalement identifié à Rob Fleming, le personnage principal du roman de Nick Hornby, Haute fidélité. Je devais avoir environ 25 ans, les similitudes étaient frappantes, voire troublantes : loser sympathique, perclus de doutes et bridé de principes, adolescent attardé, axé sur l'autodérision et obsédé par les inventaires idiots. Tout moi.
Dans Appelez-moi Cassandre, Rauli a fait plus que s'identifier au personnage d'un autre roman. Il l'est devenu. Il est devenu Cassandre, la fille de Priam et d'Hécube, qui reçut d'Apollon le pouvoir de prédire l'avenir mais la malédiction de n'être jamais crue. Depuis qu'il l'a découverte dans L'Iliade, Rauli est Cassandre. Comme elle, il connaît l'avenir. Comme elle, il ne peut rien en faire. Que ce soit à Cuba où il est perdu entre un père méprisant, un frère délinquant et une mère qui l'habille en fille pour compenser l'absence de sa sœur décédée, ou en Angola où il est envoyé comme soldat et harcelé par ses supérieurs ou ses frères d'armes, il porte sa malédiction...
Tout comme Rauli et Cassandre n'ont aucune emprise sur l'avenir qu'ils connaissent, le lecteur est condamné à attendre que le triste destin annoncé du personnage ne se produise. Au Caraïbes ou en Afrique, au passé ou au présent, dans les alternances de lieux et de temps, la vie s'acharne inéluctablement sur le jeune homme. Cruellement. Car le roman de Marcial Gala est cruel. Là où on peut sans doute voir du réalisme magique, une dimension fantastique teintée de politique, j'ai surtout vu de la cruauté. La cruauté de la séduction, la cruauté de la société genrée, la cruauté de la perte et du manque, la cruauté de la guerre, évidemment, la cruauté de l'enfance, la cruauté d'une réalité que l'imagination ne peut qu'altérer et même la cruauté du pouvoir de la littérature. Et la cruauté de l'existence, n'en parlons même pas.
Quant à moi, je ne suis pas réellement devenu Rob Fleming. Quoique.
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