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mardi 20 décembre 2022

San-Antonio, l'année 1985

L'année 1985 - une belle année de vache grasse pour l'auteur, c'est le moins qu'on puisse dire - voit la publication de six épisodes des aventures du meilleur flic de France. Je vous épargne les couvertures d'origine, plus que douteuses et sur lesquelles il y aurait pourtant beaucoup à dire, et vous propose d'entrer sans plus attendre dans le vif du sujet.

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San-Antonio Laissez pousser les asperges Fleuve Noir
San-Antonio 

Laissez pousser les asperges 

Ed. Fleuve Noir 

 
L'année 1985 commence drôlement bien, par un épisode rondement mené dont on pourrait presque résumer les qualités par une remarque extraite du livre et sortie de son contexte :
"La saynète est délicieuse, bien ficelée, avec un dialogue vif, sans temps morts. Les deux personnages sont admirablement campés."
Tout est là, mis à part le fait qu'il y ait bien plus de deux personnages dans ce roman. Déjà, les piliers sont présents, à commencer par le Gros et le Débris avec lesquels San-A tentait de coincer le sadique qui poinçonne (au sens propre) les clientes ou employées des boutiques de monsieur Lesbrouf. Mais ça, c'était avant qu'ils ne soient tous les trois limogés. Il faut dire que, en haut lieu, on n'a pas apprécié qu'une nouvelle victime tombe alors que Béru aurait dû ouvrir l'œil plutôt que de secouer une vendeuse dans une cabine...
 
Nos trois flics ne restent pas longtemps sur le carreau. À peine virés, il sont embauchés par la femme Lesbrouf qui pense que c'est son mari le meurtrier. Les deux faire-valoir, les "deux porteurs d'eau" comme il les appelle, prennent l'enquête en main pendant que le commissaire, missionné par le président, part en Irlande pour s'occuper d'une affaire d'état.
 
San-A paye autant de sa personne qu'il offre de "tisane de cartilage". Le récit, qui fait entre autre avancer la relation entre notre héros et Marie-Marie, est axé autour de réparties cinglantes, nerveuses, et de nombreuses péripéties. Quant à l'intrigue, qui se moque allègrement des politiques de l'époque, elle est solide en dépit de quelques coïncidences qui font bien les choses mais que l'auteur assume avec élégance et beaucoup d'humour, allant jusqu'à tourner en dérision sa parfaite maîtrise des procédés narratifs et "sa diabolique utilisation du hasard"... 
 
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san-antonio Poison d'avril ou la vie sexuelle de Lili Pute fleuve noir
San-Antonio 

Poison d'Avril ou la vie sexuelle de Lili Pute 

Ed. Fleuve Noir 

 
On ne peut pas gagner à tous les coups et, clairement, San-Antonio ne transforme pas l'essai avec ce faible épisode qui fait toutefois son office. Pourtant, si on en juge à sa scène d'ouverture, le roman partait sous de bons hospices et laissait même présager du meilleur : le premier chapitre, qui introduit Lili Pute et dans lequel l'auteur fait une belle démonstration de son inventivité en terme de calembours, est assez hilarant et finalement aussi caustique que politique.
"J'invente rien ; j'en serais infichu, n'ayant pas d'imagination." 
De son vrai prénom Li Pût, celle qui sera le personnage secondaire le temps d'une aventure nait à Pékin de parents pauvres écrasés par leur condition. Dû Cû, son père, meurt dans de sordides conditions et Tieng Bong, sa mère, une femme "résignée, laborieuse, silencieuse. Jolie, mais ne le sachant pas", se voit contrainte de vendre ses charmes pour survivre. Sa fille finira par marcher dans ses pas. Mais, formée par la crème de la partie et douée de prédispositions incomparables, elle deviendra la meilleure. Or, c'est bien connu, "la prostitution mène à tout, à condition d'y rester". Devenue Lili Pute, Li Pût y reste et entre dans la cour des grands, participant à des actions terroristes à l'échelle internationale. C'est là que le commissaire entre en scène.

Sauf qu'à partir de là, le roman perd en intérêt. Une fois mise en place, l'intrigue, molle, enchaîne les scènes palotes et traîne en longueur. Béru et Pinuche, dont l'arrivée à la moitié de l'épisode laissait entrevoir un sursaut, ne font finalement que de la figuration et confirment finalement l'impression selon laquelle l'auteur s'en est tenu au strict minimum. Heureusement, il place ici ou là quelques habiles tournures, de truculentes piques au lecteur et les jeux de mots dont il a le secret.
"Tu vois, ce qui nous tue, nous autres Français, c'est notre cartésianisme.
Heureusement, c'est ce qui nous sauve."
 
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San-Antonio Bacchanale chez la mère Tatzi Fleuve Noir
San-Antonio

Bacchanale chez la mère Tatzi

Ed. Fleuve Noir

 
Ce troisième épisode publié en 1985 s'ouvre au chevet d'un tueur à gages. San-Antonio tente de faire parler le mourant avant qu'il ne passe l'arme à gauche. Mais l'homme est un dur à cuire. C'est finalement en taquinant sa corde patriotique que le commissaire finit par lui tirer les vers du nez : ce qu'il cherche est enterré dans une chapelle en ruine, depuis immergé sous un lac de barrage...

À la poursuite d'une ogive pour le Président de la République himself, San-A va se retrouver à frayer avec le K.K. Boû Din, une société secrète japonaise. Je vous épargne les clichés mitraillés sur les asiatiques, tous confondus, chinois, japonais, jaunes, peu importe... Je retiendrai plutôt de cette intrigue, honnête et qui coche sans trop se fouler toutes les cases habituelles, voire plusieurs fois celle des galipettes débridées et dans des lieux qui laissent pantois quant à l'imagination sans limite de l'auteur, l'improbable promotion de Bérurier, nommé ministre par le chef de l'état. Oui, vous avez bien lu : ministre.
"- Ministre de quoi, demande-t-elle.
"Bérurier sort de son extase.
- Hmmm ? Quoi-ce ? Pardon ? Vous m'causez ?
- Je vous demande quel ministère le président vous propose ?
Son excellence enfle ses joues, pète de la bouche et soupire :
- J'ai pas fait attention, mais quelle importance ?"

 
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San-Antonio Dégustez, gourmandes Fleuve Noir
San-Antonio 

Dégustez, gourmandes !

Ed. Fleuve Noir

 
Vous connaissez le Big Between ? Non ? Pour une fois, c'est normal, bande d'ignares. Et pour cause :
"- Vous ne pouvez pas le connaître, fit-il de sa voix mutine, réservée à ses jubilations ; c'est top secret."
Le B.B., pour les intimes, n'est ni un service secret, ni un bureau spécial. C'est un homme. Pas n'importe lequel : le meilleur, celui auquel font appel les gouvernements occidentaux lorsqu'ils se trouvent dans l'impasse. Déconcertant, déshumanisé et impitoyable, doté d'une volonté impériale et de moyens colossaux, il remplit toujours ses missions et se fait rémunérer en "accommodements", en services. Quel rapport avec San-Antonio ? C'est simple : le B.B., qui songe à se retirer, cherche son successeur. Il a naturellement pensé au meilleur flic de France, dont il connaît la réputation et qui lui semble rassembler les qualités nécessaires. Pour le Président de la République, qui lui expose la demande, c'est une offre qui ne se refuse pas. L'enjeu est d'une grande ampleur et ce serait autant une consécration pour l'homme que pour la nation. 
 
San-A part aux States, à San Antonio (!), à la rencontre de Big Between. Là-bas, confronté à une série d'épreuves mystérieuses qui tourne à la chasse à l'homme, il doit faire ses preuves, s'adapter, improviser, et se sortir de situations alambiquées et inconfortables. Les scènes d'action se suivent, s'enchaînent, décousues, et l'auteur donne l'impression, pour une fois, de tirer à la ligne sans trop savoir lui-même où tout cela va le mener. Cette impression dure finalement jusqu'au bout et l'auteur, après avoir malmené le Bescherelle, à grands coups de "je passîs", "je donnas", "je croisis", s'interroge sur la pertinence de conclure son roman à la manière d'une pièce de Shakespeare :
"Poum ! Terminé ! Au tas !
Moi je finis le présent book de cette façon, mon néditeur prend mon contrat, se torche le fion avec et me l'envoie en recommandé avec accusé-levez-vous de réception ! Je suis banni de la profession ! Expédié dans un mouroir au fin fond du Cantal. On fait des autodafés avec mes z'œuvres."
Finalement, après une scène cocasse durant laquelle Béru fait une brève apparition comme simple figurant, le roman ne se termine pas vraiment. L'aventure serait-elle à suivre ? Voilà qui serait inhabituel, à l'image du reste de cette intrigue.

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San-Antonio Plein les moustaches Fleuve Noir
San-Antonio 

Plein les moustaches

Ed. Fleuve Noir

 
C'était donc ça : Plein les moustaches est bel et bien la suite - et fin - de Dégustez, gourmandes !. Après un bref résumé de la situation, l'intrigue reprend donc là où elle s'était interrompue. Pour rappel, San-A est en disponibilité et au service du Big Between, le dernier recours des pays occidentaux face aux situations délicates ou insolubles. Précisément, il est sur les traces d'un ancien criminel de guerre ou, plus précisément encore, sur celles d'une invention détenue depuis près de quarante ans par le nazi.
 
Rapidement, l'auteur s'affranchit de la contrainte imposée par la première moitié de l'histoire et redonne à cet épisode un air plus classique et plus indépendant. Béru et Pinuche entrent en scène, l'intrigue reprend des couleurs et le roman retrouve un niveau convaincant. On pourrait même dire qu'il s'agit d'un relativement bon (demi) cru. Ouf !
 
Avant de solder cette histoire de succession du B.B. et d'écarter définitivement Duck, celui qui l'incarne, un bon personnage au demeurant, le commissaire revient à ses fondamentaux et se concentre sur ce qui a toujours été ses priorités, pour le plus grand plaisir du lecteur : une bonne mission, quelques jolies bastons, des macchabées, des souris, de l'argot et les tocards de la maison poulaga. Que demande le peuple ?
"D'un coup de boule dans ses huit ultimes chicots, je le rends chauve des gencives."
 
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San-Antonio Après vous s'il en reste, Monsieur le Président Fleuve Noir
San-Antonio 

Après vous s'il en reste, Monsieur le Président 

Ed. Fleuve Noir


Alors que San-Antonio est au fond de son lit, grelottant de fièvre, Félicie lui annonce qu'il a la visite du Président de la République. 40° ou non, il doit recevoir ce visiteur qui semble lui-même ne pas être au sommet de sa forme. Et pour cause, il perd la mémoire. Ce n'est pas l'âge, le chef de l’État en est convaincu, mais le résultat d'un envoûtement. Il confie au commissaire, malgré sa forte température, la mission de mettre la main sur le responsable et de lui faire cesser ses activités au plus vite...
"Dans son entourement et son environnage on est inquiet d'à son sujet. Paraîtrait qu'ys'mettrait à rouler un chouïa su'la jante, not'Empreur. Y veulent tâcher d'l'faire durer jusque z'aux élections en cachant la merde au chat, mais son cerveau fait la pâte à mod'ler ; j'sais d'source thermale qu'y s'rappelle plus son blaze."
San-A en prise avec les sciences occultes, voilà qui n'est pas courant. Son enquête, qui le fait courir après Iria Jélaraipur, une médium hindoue qui utilise ses pouvoirs psychiques pour discréditer les dirigeants occidentaux, lui fera parcourir une bonne partie du globe. Comme Béru est toujours occupé au ministère, le commissaire est accompagné par Pinuche, parti en catastrophe et vêtu de son simple pyjama. Mais ce n'est pas ce simple appareil qui empêcherait le Débris, loyal et toujours plein de surprise, d'assister notre héros dans cette mission improbable, drôle et finalement très politique.

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Voilà. Le compte est bon : six romans publiés dans la même année. Conclusion ? On ne va pas se mentir... entre une certaine irrégularité, quelques facilités scénaristiques, la sous-exploitation des bons personnages, un recours un peu leste à la grossièreté et le fait que ce qui était auparavant suggéré l'est de moins en moins, ce n'est pas la meilleure période du romancier. Malgré cela, les romans restent plaisants à lire, la langue est toujours aussi imagée, argotique, fleurie, et il est intéressant de voir évoluer les protagonistes. Évoluer, certes, mais jusqu'où ? Affaire à suivre.
   


 
Et pour suivre l'avancée de ma lecture complète des aventures du commissaire San-Antonio, cliquez sur le sourire de l'auteur !

2 commentaires:

  1. Ce défi San-A semble avancer (encore) plus vite que le défi FNA. Ça se lit plus facilement peut-être ? ^^

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    1. Facile à lire, facile à billetiser sur le blog et beaucoup de plaisir - sachant qu'avancer dans ce challenge perso me permet de faire une petite pause salutaire avec le FNA (qui relève souvent de la gageure mais qui, par ailleurs, avance bien aussi)...

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