Christelle Dabos
Les fiancés de l'hiver (La Passe-miroir - I)
Ed. Gallimard
Le prénom Ophélie, jusqu'à présent, m'évoquait plusieurs choses : Shakespeare, déjà (et évidemment), puisque c'est ainsi que se prénomme la future épouse d'Hamlet ; Rimbaud, ensuite (et par conséquent), pour son poème tiré des Cahiers de Douai et faisant directement référence à la tragédie en question ; Millais, enfin (et surtout), pour son tableau indissociable de la peinture préraphaélite et inspiré de la pièce du dramaturge anglais.
Le protagoniste du roman de Christelle Dabos est suffisamment marquant pour que, dorénavant, le prénom Ophélie incarne un sens supplémentaire - même s'il est loin d'éclipser celui de Shakespeare. Pourtant, comme on va le voir, le roman ne repose pas exclusivement sur les épaules du personnage principal : Ophélie est une jeune femme désignée pour épouser l'un des héritiers d'un clan du Pôle. Résignée, elle quitte sa maison, sa famille, son confort et se rend dans cet endroit froid et hostile, où elle découvre son futur époux, Thorn. On le disait taciturne et controversé, il est hautain et méprisant. Les regards qu'il pose sur elles sont chargés de dédain, à l'image de ceux que toute la cour et sa future famille lui jettent.
En même temps qu'Ophélie, le lecteur découvre le décor de ce qui s'annonce comme un roman assez complexe. La vie se déroule sur des Arches, des îles flottantes dans les cieux, chacune dirigée par un Esprit de famille, un ancêtre commun à tous ses habitants, puissant, immortel et dépositaire de nombreux pouvoirs. Au Pôle, c'est le seigneur Farouk. C'est devant lui que se déchirent les différents clans qui se partagent cet Arche. Ophélie, provinciale empêtrée dans sa naïveté et sa maladresse, se retrouve perdue au milieu de ces conflits, sujet de certains d'entre eux. Elle pourra heureusement compter sur quelques personnages secondaires pour l'aider. Et sur ses dons. En effet, elle a la capacité de lire le passé des objets qu'elle touche et surtout de se déplacer d'un miroir à l'autre, d'où le titre du cycle.
À la fin de ce premier volume, le cadre est posé, les personnages installés, l'intrigue amorcée. Surtout, à ma grande surprise, l'aspect littéraire annoncé dès les premières pages est largement confirmé. Pourtant, le livre ne partait pas chargé de promesses : un premier roman ? De la fantasy ? Hmmm... Ce n'est généralement pas bon signe. Comme quoi il ne faut pas toujours se fier aux pronostics. Non seulement Christelle Dabos parvient à dépoussiérer un registre formaté, mais en plus elle y met les formes ! Reste maintenant à espérer que les nombreuses questions logiquement laissées en suspens trouveront des réponses à leur hauteur et que l'autrice ne s'avancera pas trop loin sur la corde sirupeuse et précaire d'une intrigue amoureuse...
Christelle Dabos - Les fiancés de l'hiver - Folio (608 pages)