mercredi 31 août 2022

Grégoire Bouillier - Le cœur ne cède pas

Grégoire Bouillier Le cœur ne cède pas Flammarion
Grégoire Bouillier 

Le cœur ne cède pas 

Ed. Flammarion 

 
Dans Rapport sur moi (ici), on entrait dans le vif du sujet en assistant à la défenestration de la mère dépressive de l'auteur. Le Dossier M ( et ) s'ouvrait sur la reconstitution du suicide d'un jeune homme, pendu avec sa ceinture dans son appartement. En toute logique, donc, puisqu'on ne change pas une équipe qui gagne, le nouveau livre de Grégoire Bouillier nous propose de revivre le calvaire d'une femme qui mit un terme à son existence en se laissant mourir de faim...
 
Nous sommes dans les années 80 à Paris. Marcelle Pichon s'enferme d'un ultime tour de clé à sa porte, bien décidée à attendre que la mort vienne la prendre. Durant quarante-cinq jours, elle ne se nourrira plus et consignera dans un cahier d'écolier son quotidien d'agonie. On retrouvera, une dizaine de mois plus tard, le corps momifié de cette femme, morte d'inanition, certes, mais également de solitude, de mélancolie, d'indifférence, victime d'une société qui l'avais négligée, oubliée.

Attendez... Meurt-on réellement de solitude, de mélancolie, d'indifférence ? Disons que les choses sont rarement si simples. Grégoire Bouillier, ne se satisfaisant pas d'une explication aussi superficielle, décide d'aller vérifier. Il enfile donc son imperméable couleur mastic et, assisté de son acolyte Penny, il entame une enquête approfondie. Il veut comprendre. Tout comprendre. Tout. Tout. Il ne lui faudra pas moins de 912 pages pour arriver à une conclusion. Mais quelle conclusion ! Et par quel chemin ! 

Car ce livre, s'il retrace par le menu tous les évènements de l'existence de Marcelle Pichon, sa jeunesse parisienne, son comportement durant la guerre, sa carrière de mannequin dans les années 50, ses mariages et ses enfants, ses amours et ses peines, ce livre, disais-je, est loin de n'être que le récit de sa vie. Pour au moins deux raisons. L'auteur contextualise énormément, il décortique l'époque, ses mœurs, ses mentalités, ses habitudes, il échafaude un nombre impressionnant de théories et n'écarte aucune piste, scientifique ou occulte, exploitant jusqu'au moindre indice. Son travail de recherche est impressionnant : il se rend sur les lieux, épluche les archives, consulte des documents et des journaux, interroge quiconque pourrait disposer d'informations et, partant de rien, il finit par rassembler une quantité folle de documents qui mettent en lumière tous les recoins obscurs de cette sombre et triste affaire, jusqu'à une chute imprévisible et stupéfiante. C'est la première raison.

La seconde est d'ordre plus psychanalytique. Grégoire Bouillier, qui s'interroge autant sur Marcelle Pichon que sur lui-même, ignore au début du livre, du moins le lecteur l’apprend-t-il en cours de route, qu'en partant à la recherche de cette femme, c'est lui-même qu'il va rencontrer. Il se posait des questions ? Il va trouver des réponses. Mais pas nécessairement celles qu'il cherchait... Pour le lecteur, du moins pour moi, c'est l'occasion de le suivre dans un voyage improbable, à la fois hautement littéraire et d'une vaste dimension divertissante, érudit et romanesque, parfois drôle ou sérieux, toujours brillant. Total.

Grégoire Bouillier - Le cœur ne cède pas - Gallimard (912 pages)

Et pour faire le point sur ce challenge, c'est ici.
 

10 commentaires:

  1. On peut se demander ce que cette femme a enfoui en elle pendant des années et qui ressort à un moment donné.
    A travers elle l’auteur met en lumière tous ces anonymes victimes de solitudes ,il suffit de regarder autour de soi ,des gens qui perdent pied.
    Je le note. Merci .

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    1. C'est ici plus compliqué qu'une "simple" histoire de solitude. Si tu es curieux d'en savoir plus, je ne peux que vivement t'inciter à te lancer dans ce livre. Tout est dedans !

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  2. Voilà c’est fait,le libraire n’avait qu’un exemplaire .Voilà qui va m’occuper vu le pavé. J’espère en sortir indemne😄

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    1. Wahoo ! J'attends ton retour de lecture avec impatience !

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    2. Lecture pesante par moment mais j’ai lu par étape.. L’auteur m’a embarqué des le début ,même si on a envie de dire trop c’est trop. On comprend la signification du titre dans le roman. . C’est un travail de titan,l’auteur refait l’histoire de cette femme depuis sa naissance à travers des carnets.
      Il y a quand même des détails horribles (cette histoire d’asticots qui perlent au plafond des voisins) J’ai bien aimé sinon 😄

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    3. Content que ça t'ait plu ! Tu peux maintenant te lancer dans "Le Dossier M" !

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  3. Une démarche qui me rappelle un peu celle de Philippe Jaenada... et celle de Monica Sabolo dans "La vie clandestine", pour l'enquête externe qui ramène son auteur à lui-même. Décidément, c'est dans l'air du temps, ce type d'investigations. J'irai lire quelques pages de ce pavé, pour avoir un aperçu de la plume de l'auteur.

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    1. Il y a même plus qu'un air de Jaenada : Bouillier va jusqu'à le solliciter à un moment de son enquête. C'est dire si l'auteur d' Au Printemps des Monstres s'est imposé comme la référence du cold case littéraire.

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  4. Help, j’ai une question : quand Penny a le covid et dit qu’elle a le variant anglais et que le film est nul, cela fait référence au patient anglais ? Merci 😉

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    1. Je dois t'avouer que je n'ai plus ce passage en tête et, comme en plus je suis certain de ne pas avoir relevé l'intégralité des références contenues dans le livre, je crains de ne pas pouvoir éclairer ta lanterne... Désolé...

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