mercredi 18 août 2021

Philippe Jaenada - Au printemps des monstres

Philippe Jaenada 

Au printemps des monstres 

Ed. Mialet & Barrault 


En l'espace de trois livres, Philippe Jaenada ne s'est pas positionné que comme le défenseur des opprimés, il s'est imposé comme un sérieux théoricien de la justice : déjà en éclairant d'une nouvelle lumière la mort de Bruno Sulak, ensuite en s'interrogeant sur les réels motifs du procès de Pauline Dubuisson, enfin en reconstituant la scène du meurtre dont était accusé Georgres Arnaud.

Philippe Jaenada Au printemps des monstres Mialet & Barrault
Quatre ans après l'étude de son dernier fait divers, il en rouvre un qui défraya la chronique en 1964. Au printemps, cette année-là, le corps d'un jeune garçon est retrouvé mort, assassiné, dans une forêt de la banlieue parisienne. Des dizaines de lettres anonymes sordides et provocatrices signées "L’Étrangleur" sont envoyées à la police, aux médias et aux parents de la victime. Quand le coupable est finalement arrêté, on réalise qu'il s'agit d'un type "normal", un infirmier sans histoire. Il avoue tout et passera plus de quarante ans en prison. Affaire classée.

Philippe Jaenada trouve cette version trop simple, il est convaincu que la vérité est ailleurs. Il se rend alors sur place. Il arpente les rues empruntées par l'enfant, dort entre les murs des bâtiments que les protagonistes ont fréquenté, reconstitue les différents scènes. On le découvre d'ailleurs au début du livre assis au pied d'un l'arbre, de nuit, à l'endroit précis où le corps a été découvert des années plus tôt. Ça peut paraître un peu tordu ; j’ai choisi d’y voir du perfectionnisme. L'auteur passe également beaucoup de temps à fouiller les archives, à éplucher des dossiers, à compulser des documents et à consulter la presse de l'époque, n'écartant jamais aucun détail. Mais il consacre plus d'énergie encore dans les notices biographiques. Le livre retrace par le menu les grandes lignes de la vie de chaque protagoniste, qu'ils aient un lien direct ou éloigné avec l'affaire.

Il ne lui faut pas moins de 750 pages bien tassées (et environ un million de parenthèses (l'auteur ne perd pas ses bonnes habitudes (et c'est (presque) devenu sa marque de fabrique))), pour réaliser un projet assez présomptueux : "l’absurde tentative d’explication de l’affaire Luc Taron". Mais, justement, c'est là que le bât blesse, la tentative ne débouche sur aucune conclusion réellement satisfaisante. Aussi acharné soit-il, l'apprenti détective spécialiste du cold case s'y casse les dents. Tout ça pour ça ? En effet, cela peut sembler assez vain. Heureusement, Philippe Jaenada a pour lui une plume vraiment intéressante, un indéniable sens de la formule et une tendance assumée à l'autodérision alimentée par un impressionnant stock d'anecdotes personnelles croustillantes qu'il enchaîne avec un art subtil de la transition. Il a également une capacité à passionner son lectorat. Pour autant, Au printemps des monstres marque sans doute la limite de l'exercice auquel son auteur s'était prêté avec succès jusqu'à présent. Peut-être est-il temps de se renouveler, de délaisser un peu la criminologie pour revenir à la littérature ?
Et pour faire le point sur ce challenge, c'est ici.

10 commentaires:

  1. Aïe... Il me tentait bien celui-ci... Je n'ai pas encore lu La Serpe mais j'avais adoré Sulak!

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    1. De ses quatre relectures de faits divers, je pense que "La petite femelle" est au-dessus du lot.

      Quant à celui-ci, je n'en déconseille pas la lecture. C'est juste qu'il faut savoir dans quoi on se lance...

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  2. Oula ,c’est déjà un monstre de livre avec 750 pages.En plus si le voile n’est peut-être pas levé à la fin..
    Dommage. Je le mets de côté quand même.
    Je vais me tourner vers La petite femelle.Je trouve qu’il a du mérite de s’attaquer à des faits divers déjà débattus.

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    1. Il a surtout du mérite d'arriver à y apporter un regard nouveau et original.

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  3. 750 p. Rédhibitoire avec ma PAL actuelle...

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    1. Je comprends, d'autant plus qu'on parle là de 750 pages vraiment bien tassées.

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  4. Je note ton retour mitigé. J'ai écouté cet auteur dans le podcast Bookmakers d'Arte et je l'ai adoré, j'avais noté dans un coin de ma tête de le lire un jour!

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    1. Ses récits autobiographiques sont drôles et touchants, ses relectures de faits divers sont intelligentes. Il a écrit plein de bons livres mais je suis à peu près certain que celui-ci n'en est pas la porte d'entrée idéale.

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  5. Au moins me voici prévenue... mais en tant qu'inconditionnelle de l'auteur, je le lirai. Et je suis d'accord avec ce que tu écris à l'intention de Miss A : "La petite femelle" est un de ses meilleurs romans..

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    1. J'émets des réserves mais, inconditionnel moi-même, j'y ai néanmoins pris du plaisir. J'imagine (et j'espère) qu'il saura t'en procurer également.

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