mercredi 2 août 2023

Christina Sweeney-Baird - La fin des hommes

Christina Sweeney-Baird 

La fin des hommes 

Ed. Gallmeister 

 
J'ai bien cru que j'allais m'arrêter après les deux pages de l'avant-propos.
 
En quatre paragraphes, l'auteure prend le temps de recontextualiser l'écriture de son livre, ce qui se justifie d'autant plus que, imaginée deux ans avant le Covid, cette histoire de pandémie a comme un air prophétique. Christina Sweeney-Baird revient alors sur son sentiment d'avoir été rattrapée par la réalité et sur le fait que les pages de son roman d'anticipation se soient ancrées malgré elle dans une actualité plus effrayante que la fiction. Mais, et c'est ce qui m'a gêné, elle conclut en avançant que cette crise est "la pire épidémie que nous ayons connue".
 
Christina Sweeney-Baird La fin des hommes Gallmeister totem
J'ai tiqué. "La pire épidémie que nous ayons connue" ? "La pire" ? Mais qui est "nous" ? Nos contemporains, j'imagine - ceux qui n'ont pas été décimés par la grippe espagnole. Plus précisément, nos contemporains des pays industrialisés, j'imagine - ceux qui ignorent qu'Ebola continue à tuer des milliers de personnes tous les ans, principalement en Afrique de l'ouest, ou qui préfèrent ne pas penser aux millions de victimes du choléra dans les pays en développement. Plus précisément encore, nos contemporains des pays industrialisés qui ne s'estiment pas concernés par le VIH - ceux qui oublient que le virus a emporté 650 000 personnes rien que l'an passé.
 
"La pire épidémie que nous ayons connue" ? Évidemment, sans chercher à minimiser l'impact du Covid, je ne peux pas m'empêcher de me dire que le jour où une fièvre hémorragique quittera le continent africain pour débarquer en Europe, nous reconsidèrerons cette notion du "pire". Bref, je me suis demandé si une telle déclaration était plutôt symptomatique d'un manque de connaissance, d'une tendance à ne pas voir au-delà de ses problématiques personnelles ou à se considérer comme un échantillon représentatif de la population mondiale. Alors j'ai décidé d'aller chercher la réponse à cette question dans les pages du livre. Et j'ai bien fait.

L'action se déroule en 2025, autant dire aujourd'hui. La jeune femme qui s'exprime dans les premières pages et qui s'épanche sur son incapacité à tomber enceinte est vite remplacée par une seconde narratrice, médecin à Glasgow, qui voit arriver dans son service un malade à l'article de la mort. Les voix d'Amanda et de Catherine vont se succéder, s'alterner, bientôt entrecoupés par les récits d'une multitude d'autres intervenants, puis d'articles de presse, de posts de blogs, autant de témoignages qui dresseront les contours de cette pandémie et qui nous feront suivre son évolution.
 
Cette maladie foudroyante touche le monde entier mais ne tue que les hommes. Alors que les représentants du sexe fort, vulnérables, deviennent une minorité en voie d'extinction, les femmes s'emparent des postes clés et cherchent une solution à ce qui pourrait signer la fin de l'humanité. Comme Robert Merle avant elle, l'auteure, qui en profite pour remettre en question les notions de famille, d'intimité, de rapports de force et de domination, s'interroge sur les fondements de la société patriarcale, sur sa disparité et sa pertinence, sans se heurter à l'écueil revanchard inhérent à cet exercice ni tomber dans le pamphlet féministe outrancier. Elle aborde ces concepts avec intelligence et, prenant toujours soin de rester à hauteur des individus, elle donne la parole aux citoyens et multiplie les points vue sans se disperser pour autant.

Ces derniers points me font me dire que l'avant-propos est une simple maladresse. En effet, le livre qu'il introduit est malin, son propos est pertinent et sa réflexion sociétale est fine. Mais c'est surtout la crédibilité de sa projection qui m'aura le plus impressionné. Tous les aspects de la pandémie sont pensés. Or, je crois que ce qui nous semble une évidence depuis les années Covid n'avait rien de si évident auparavant. Ainsi, les contraintes sanitaires, les gestes barrières, les certificats de vaccination, le confinement, les visioconférences, la paranoïa, le sentiment d'injustice, les porteurs sains, les complotistes, l'impuissance des politiques, le cynisme de l'industrie pharmaceutique, l'opportunisme des lobbies, tout y est. À tel point qu'il est parfois difficile de croire que ce livre ait pu être écrit avant 2020.
 
Reste maintenant à savoir si ce que l'auteure de ce premier roman imaginera pour le suivant nous tombera dessus avant même qu'elle y ait mis le point final. Ou pas.

2 commentaires:

  1. À tout hasard, pour ne pas prendre de risque, on peut peut-être lui proposer d'arrêter là sa carrière d'autrice ? C'est aussi impressionnant qu'effrayant. 🙈
    Bon, en tout cas j'ajoute les avant-propos dans ma liste des choses à ne pas lire avant lecture d'un roman.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je comprends l'idée. Et, en même temps, ce serait dommage.
      Quant aux avant-propos, il vaut peut-être mieux les lire après. Ou pas.

      Supprimer