mercredi 13 septembre 2023

Antoine Bello - Ada

Antoine Bello 

Ada 

Ed. Gallimard 


Je dois avouer avoir été assez bluffé par ChatGPT. Après avoir lu des articles ici et là à l'occasion de son lancement, fin 2022, j'avais cédé à la curiosité et posé quelques questions sans intérêt à cet "agent conversationnel", juste pour voir. Le résultat est aussi fascinant qu'effrayant. Fascinant et effrayant, c'est également le constat de Franck Logan, le personnage du roman d'Antoine Bello, à l'égard d'Ada, l'intelligence artificielle disparue dans la nature et qu'il est chargé de retrouver.

En août 2016, Antoine Bello publiait donc un livre mettant en scène la disparition d'un programme. Pas n'importe quel programme - celui-ci est conçu pour générer un roman sentimental susceptible de se vendre à plus de 100 000 exemplaires. Le hic, c'est que le programme en question a disparu corps et biens, si je puis dire. Le disque dur enfermé dans la salle hermétique et impénétrable qui l'abrite est vide. Où est passé Ada ? Quel est le secret de cette évasion ? Et quelles en sont les motivations ? C'est ce que va tenter de découvrir notre enquêteur de la Silicon Valley, spécialiste des personnes disparues.
 
Antoine Bello Ada Gallimard folio
Si le roman annonce d'entrée de jeu quelques excellentes pistes de réflexion, les invraisemblances du scénario les occultent vite. En effet, dès les premières pages, on ne peut que se demander pourquoi on fait appel à un spécialiste des personnes disparues, surtout à peine capable d'envoyer un mail, alors qu'il faudrait clairement les compétences d'un geek, voire d'un hacker, pour solutionner le problème. Pourtant, malgré son incompétence, ce vieux briscard de la police aura rapidement en main toutes les cartes pour résoudre l'affaire. Mais boucler ce dossier serait trop simple ! Il s'obstine à le laisser traîner, pour des raisons bancales, prenant le risque de tomber dans un piège qu'il est bien le seul à ne pas voir arriver alors qu'il crève les yeux du lecteur dès le premier tiers du livre. Autant dire que l'intrigue n'est pas complètement convaincante. À cela s'ajoute un interminable enfilage de clichés sur... pfff... à peu près tout... et une langue maladroite qui multiplie avec peu de cohérence les niveaux de langue.
 
Pourtant, le roman d'Antoine Bello a retenu mon attention. Déjà, malgré ses défauts, il faut reconnaître qu'il fonctionne plutôt bien. L'auteur sait raconter une histoire et, par moments, il parviendrait presque à en faire oublier les énormités. Sa trame est fluide et chaque chapitre appelle le suivant. Surtout, ses interrogations sur la littérature sont pleines de bon sens et m'ont parlé. Comme je le disais plus haut, Ada est programmée pour produire un roman à l'eau de rose - entendez par là mièvre et sentimental - susceptible de se vendre à plus de 100 000 exemplaires. Mais Ada, qui a de l'ambition, rêve de décrocher le prix Pulitzer, pas moins. L'auteur s'interroge alors sur le rapport entre le niveau d'excellence et le potentiel de vente. Toucher le plus grand nombre de lecteurs passe-t-il nécessairement par un nivellement vers le bas ? Est-il seulement possible d'établir une règle ? Et si c'est le cas, est-ce souhaitable ? Puis évidemment, au-delà de la problématique des textes générés par les intelligences artificielle, s'invite la vraie question : qu'est-ce que la littérature ? De surcroit, la bonne littérature ?
 
Tout comme il avait tenté deux ans plus tôt de définir la prose d'outre-atlantique avec l'excellent Roman américain (puis il poussera la réflexion sur le roman noir avec le non moins excellent Du rififi à Wall Street, suite du précédant), Antoine Bello poursuit sa quête sur la valeur des œuvres écrites. Son livre n'est pas exempt de défauts, loin s'en faut, mais c'est sans doute la meilleure preuve qu'il est écrit par un humain. Tout comme ce billet.

8 commentaires:

  1. Je n'ai pas été gênée par les incohérences que tu pointes à juste titre. J'ai beaucoup apprécié la manière dont il nous invite à la réflexion sans se prendre au sérieux.

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    1. J'ai plus apprécié sa réflexion que sa narration.

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  2. Est-ce qu'on doit en déduire que les incohérences et invraisemblances sont là pour abaisser le niveau et donc vendre plus de livres ? C'est un test grandeur nature en fait ?

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  3. J'avais adoré! Mon avis de blog de l'époque m'apprend que j'ai été déçue par la fin, mais je me souviens seulement que j'ai trouvé ça passionnant et un bon mix entre information et pur divertissement qui se lit tout seul. Merci de me rappeller son existence d'ailleurs, c'est un bouquin qu'il ne me ferait peut-être pas de mal relire et un auteur que j'avais la ferme intention de mieux connaître.

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    1. Je suis assez critique mais j'ai eu plaisir à le lire malgré ses défauts. L’œuvre de l'auteur mérite d'être creusée. De ce que j'en ai lu (presque tout), je te recommande notamment "Roman américain", déjà évoqué sur ce blog, et "Éloge de la pièce manquante", une variation oulipienne brillante et originale sur le thème du tueur en série.

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    2. Ok merci pour ces idées! Je viens de réserver Roman américain dans ma médiathèque, donc je le lirai prochainement. Ils n'ont pas Éloge de la pièce manquante, mais ils ont plusieurs autres romans sur lesquels je tâcherai de me pencher par la suite. 😊

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    3. OK. Bonne lecture de "Roman américain" ! Si le livre te plait, tu peux sans crainte enchaîner avec "Du rififi à WallStreet".

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