Vlad Eisinger
Du rififi à Wall Street
Ed. Gallimard
En 1946, Boris Vian créait la polémique en traduisant le premier livre de Vernon Sullivan. Après plusieurs procès, la vérité éclatait : le romancier américain n'existait pas, c'était bien l'auteur de Vercoquin et le placton qui en signait les romans noirs. Dans le cas de Vlad Eisinger, inutile de passer devant le juge, l'identité de l'auteur est un secret de polichinelle. Le livre étant attribué à un personnage fictif issu de Roman américain, il n'est pas sorcier de comprendre qu'Antoine Bello est un peu plus que le traducteur.
Ainsi, on retrouve le journaliste qui, après son vaste reportage sur le life settlement, accepte d'écrire un polar de commande. Pour son intrigue, il exploite le matériau confidentiel - mais remanié - qu'il avait glané en vue d'un précédent projet avorté, la biographie du dirigeant d'un grand groupe industriel. Au fil des pages, Eisinger lance son personnage, Tom Capote, dans une sombre histoire de fraude et le plonge dans une série d'aventures haletantes, invraisemblables et en même temps très codifiées. Quand le livre paraît, et connaît le succès, le grand patron dont Eisinger s'est inspiré et qui s'est reconnu dans les pages du roman, refait son apparition et tente de lui faire la peau de la même manière que le dirigeant fictif de son roman s'en prenait à Capote. Le journaliste entame alors la rédaction de son témoignage, comme son héros rédigeait le sien. Le personnage de Bello et celui de Tom Capote se confondent, tout comme on finit par se demander qui de Bello, traducteur, ou d'Eisinger, auteur, mène la danse dans cet infernal anneau de Möbius…
Décidément très joueur et armé d'une imagination débridée, Antoine Bello signe un roman qui dépasse largement le simple pastiche de roman noir. Il en a pourtant l'aspect, un titre d'un classicisme à toute épreuve et il se dévore comme un bon polar, mais il a plus pour objectif d'en révéler les ficelles, les règles et les techniques, à la manière d'un atelier d'écriture. L'auteur fait une analyse du genre, ainsi que son autocritique dans cet exercice, et il propose un jeu de miroir assez malin. Sa mise en abîme ne se borne pas à glisser un roman dans le roman mais tient plutôt dans l'interrogation qu'il soulève sur la tendance des lecteurs et des critiques à associer l'oeuvre et l'auteur ainsi qu'à se questionner sur la place de ce dernier. De plus, Du rififi à Wall Street illustre parfaitement la réflexion que son auteur propose sur l'écriture sous pseudonyme (à ce sujet, j'encourage celles et ceux que le sujet intéresse à lire Et si les œuvres changeaient d'auteur ? de Pierre Bayard qui y consacre toute une partie de son essai).
Avec ce roman qui multiplie les références et glisse de fines allusions aux oeuvres de ses maîtres (à commencer par Manchette), Antoine Bello assume brillamment toutes ses contraintes. Son livre est un divertissement cocasse et intelligent qui rend un hommage appuyé à la littérature de genre en général, au roman noir en particulier. Chapeau !
ce n'est pas du tout SFFF, si je comprends?
RépondreSupprimerNon, pas du tout. Mais c'est une bonne occasion de varier les plaisirs.
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