Chris Kraus
La fabrique des salauds
Ed. Belfond
L'objet peut paraître impressionnant, j'en conviens. Mais, contre toute attente, ce gros livre (très gros livre, 900 pages) à la couverture noire austère et ayant pour personnages principaux des nazis est finalement un roman plus "léger" qu'il n'en a l'air. Notez les guillemets, hein.
La fabrique des salauds est le long récit de Koja Solm. Hospitalisé avec une balle dans la tête, le vieil homme entreprend de raconter sa vie par le menu à son camarade de chambrée, un hippie trépané, comme lui en attente de l'opération qui pourrait lui sauver la peau. Durant tout le livre, le narrateur s'adresse donc à son voisin qui, en même temps que le lecteur, découvre un passé pour le moins stupéfiant.
Né en 1905, Koja Solm grandit entre son frère Hub et sa sœur adoptive, Ev, une orpheline juive. Passionné par l'art mais emporté par les grands évènements qui auront marqué le vingtième siècle, Koja traverse la vie entre trahisons, erreurs, mauvaises décisions, choix regrettables, opportunisme et retournements de vestes, autant d'ingrédients qui font une existence mouvementée et apportent son lot de rebondissements à une intrigue romanesque. Koja est un bon personnage, complexe, et il est entouré d'excellents seconds rôles, à commencer par sa sœur et son frère. Il aime la première d'un amour indéfectible, souvent troublant, et n'est finalement pas beaucoup moins passionné dans la relation compétitive, violente et destructive qu'il entretient avec le second. Et sans oublier Swami, le hippie trépané. Le lien qui se crée entre les deux hommes est vraiment intéressant. Puis en 900 pages, il aura l'occasion de croiser de nombreux autres personnages et de faire preuve d'un talent d'adaptation d'autant plus grand qu'il n'est entravé par aucun scrupule.
Bien entendu, comme dans toute fresque historique qui se respecte, le portrait du narrateur dresse les contours d'une époque, en particulier celle de l'Allemagne nazie ainsi que celle des années de guerre froide. Koja, plongé dans les tensions et les confrontations idéologiques et politiques, change de camp dès que le vent tourne et le roman, très documenté, s'intéresse à l'échiquier des grandes puissances et aux délicates règles d'espionnages et de contre-espionnages qui le régissent. Autant les enjeux sont assez limpides durant la guerre, autant les engrenages et les réseaux se complexifient pendant la guerre froide et il m'est arrivé d'être un peu perdu à cette étape du roman. Pour autant, la narration reste toujours très fluide et, bel exploit pour un livre aussi conséquent, je ne lui ai trouvé aucune longueur. J'ai d'ailleurs été de plus en plus enthousiaste à la lecture de ce gros volume, captivant et jamais plombant, malgré quelques passages sordides, seconde guerre mondiale oblige, qui plus est racontée par un SS.
Logiquement comparé aux Bienveillantes qui avait lui-même été comparé à La mort est mon métier, La fabrique des salauds a autant de ressemblances et de dissemblances avec les précédents qu'il y en avait déjà entre les deux premiers. Je ne compte pas me lancer dans la liste qui a certainement déjà déjà été établie et j'invite ceux que ce sujet intéresse à aller voir par eux-même. Bref, s'il ne renouvelle pas réellement le genre, le livre de Chris Kraus est une œuvre ample, ambitieuse et très romanesque qui n'a pas à rougir de marcher dans les traces de Littell et de Merle.
Je suis sur la même période en gros mais version histoire, je note ce roman il pourrait compléter, de façon littéraire cette fois ci ma connaissance de cette période.
RépondreSupprimerPourquoi pas en effet. Il en offre une version romanesque, très fluide, et ses 900 pages se lisent toutes seules.
SupprimerUn gros roman qui a beaucoup pour me plaire (outre qu'il nous permet de découvrir un auteur allemand)!
RépondreSupprimerAlors fonce (de bons auteurs allemands, j'en ai plein ma besace si tu le souhaites) !
SupprimerDe nouveau : hyper alléchant. Merci pour ces découvertes ^^
RépondreSupprimerAlléchant, oui. Et son ramage se rapporte à son plumage.
SupprimerPas très nazis en ce moment, mais je note la référence aux deux romans que j'avais adoré. Je note pour un plus tard hypothétique.
RépondreSupprimer"Pas très nazis en ce moment" ? Parce que tu es parfois "très nazis" ?
SupprimerAvec les guillemets bien entendu : je parle du moment où j'avais lu Le Reich de la lune et vu IronSky. Sans oublier que j'ai toujours en tête la série Le Château des Millions d’Années
SupprimerAh oui. Et pour cette série, ça fonctionne si tu es "très nazis" mais également si tu es "très ovnis".
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