lundi 11 mai 2020

F. Richard-Bessière - Les conquérants de l'univers (La pentalogie)

En 1951, quatre romans écrits par F. Richard-Bessière, alors âgé de dix-huit ans, venaient inaugurer la mythique collection à la fusée. La série était complétée quatre ans plus tard par un cinquième et dernier volume.

Ce space-opera, d'un classicisme à toute épreuve et construit dans la pure tradition feuilletoniste, brille non seulement par les idées arrêtées de son jeune auteur, chauvin et misogyne, mais également par son extrême naïveté et la simplicité de son intrigue, son absence totale de surprise due à un procédé narratif linéaire et systématique, ses personnages sympathiques mais caricaturaux et son style académique dont le riche vocabulaire n’éclipse jamais vraiment la dimension résolument scolaire.

Ceci étant dit, entrons dans le détail :

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1 - Les conquérants de l'Univers 


Conçue par le professeur Bénac, une fusée bénéficiant d'une technologie et de matériaux révolutionnaires s’apprête à prendre son envol vers l'espace. Son objectif : faire un arrêt sur chacune des planètes du Système solaire. À son bord, en plus de l'inventeur, Richard et Gonzales, ingénieurs, Jeff, journaliste, et Ficelle, mécanicien.
"Mais qui s'occupera du ménage ? Car enfin, vous ne passerez pas votre temps uniquement à étudier ? Croyez-vous qu'une femme n'aurait pas sa place dans... à propos, comment appelez-vous cet appareil ?" 
Cet appareil s'appelle le "Météore". La voix de la raison l'emporte, une femme fera donc partie de l'expédition.
"Une femme est indispensable. Oh ! ne vous inquiétez pas, je me ferai toute petite, et pendant que vous observerez les astres, ou pendant que vous travaillerez l’œil à la lunette, je ferai votre ménage."
Une fois que toutes les précautions d'usage ont été prises et qu'on s'est assuré que Mabel, la jeune femme, ne cédera ni "aux pleurs" ni "aux crises de nerfs", la fusée décolle.

Le premier arrêt, sur la Lune, est de courte durée. En effet, notre satellite, peuplé de créatures préhistoriques, est peu accueillant et présente peu d'intérêt. À peine arrivés, déjà repartis - en ayant toutefois pris le temps d'y faire flotter le drapeau français - et nos voyageurs posent rapidement le pied sur Mars, où ils découvrent une civilisation avancée et composée d'êtres intelligents mais aux intentions tordues. Après d'invraisemblables péripéties et après avoir pris soin de dissiper les malentendus et de faire la paix avec les martiens, le "Météore" repart.

Les trajets dans l'espace sont brefs - heureusement car l'auteur, motivé par une évidente volonté didactique, en profite pour ensevelir le lecteur et ses personnages sous une avalanche de données scientifiques rébarbatives, d'informations astronomiques et surtout, surtout l'assommer de chiffres. J'ai rapidement fini par partager l'avis de Ficelle :
"Tous ces chiffres me mettent la tête à l'envers."
Ce premier volume s'achève alors que nos héros sont en route vers Jupiter.

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2 - À l'assaut du Ciel 


Le professeur Bénac et ses équipiers découvrent que Jupiter est peuplée de pithécanthropes et d'autres créatures primaires. La planète est hostiles et les joviens en sont encore aux âges farouches. Heureusement pour eux, nos voyageurs de l'espace vont se faire un devoir de les éduquer. Cela ne leur prendra que quelques jours.

Neptune, la suivante sur la liste, leur réserve bien des surprises. Façon de parler... Chaque fois qu'ils se posent sur une nouvelle planète, ils sont convaincu qu'elle est inhabitée. Les données sont formelle, la vie y est impossible. Pourtant, cette fois encore, survolée par des hirondelles, une ville.
"Ses ruelles étroites, ses maisons basses, sa grande place et son château-fort, le tout entouré d’épaisses murailles."
Après avoir mis leur nez dans la guerre que se livrent les seigneurs locaux, ils reprennent leur route, direction Pluton.

Sur la dernière planète du Système solaire - à cette époque, Pluton en faisait encore partie - vit une société en avance de plusieurs milliers d'années sur les terriens. Tellement avancée qu'elle en arrive à son déclin.
"Les plutoniens n’avaient qu’une espèce de pagne, et leur corps brillait d’un éclat mystérieux, comme s’il eut été métallique."
Ces derniers, bienveillants, vont faire profiter les voyageurs de leurs progrès scientifiques et les initier à une certaine forme de pleine conscience. En échange, ils pourront goûter à la cuisine française, "la meilleure de l’univers et des mondes inconnus". Alors plane sur le roman le parfum d'un chauvinisme profondément ancré, chauvinisme dont on avait déjà eu un bel aperçu quand, dans le volume précédent, l'arrivée du "Météore" sur Mars se faisait au son de La Marseillaise. Oui, oui.

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3 - Retour du "Météore" 


Arrivé au troisième volume, le roman commence à devenir redondant. Le procédé est toujours le même et l'intrigue perd définitivement en surprise. Heureusement, même s'ils sont agaçants à être toujours droits dans leurs bottes et à toujours réagir comme on l'attend d'eux, les personnages restent attachants et la langue plaisante.

Saturne, peuplée d'amazones, est une planète dangereuse. Les hommes de l'expédition se retrouvent en mauvaise posture et j'ai bien cru qu'enfin l'auteur allait offrir à la seule femme du voyage un autre rôle que celui de plante verte. Mais non.
"- Les femmes gouvernent, ici ? demanda Ficelle surpris. - Oui, et contrairement à l'adage qui dit que la douceur est femme, la tyrannie règne en maîtresse à la surface de Saturne. C'est le matriarcat dans sa forme la plus sévère."
Ce n'est donc pas Mabel qui les sortira de la situation fâcheuse dans laquelle ils sont embourbés. Potiche elle est, potiche elle reste. Les voyageurs, eux, une fois tirés de là, feront ce qu'il faut pour réorganiser cette société et mettre un homme à sa tête. Normal. 

Pas grand chose à dire d'Uranus, qui abrite des martiens expatriés, si ce n'est qu'elle compte de grandes forêts giboyeuses et n'a rien d'une planète géante de glace.
"Le "Météore" prit contact avec le sol, et nos amis, heureux comme des collégiens en vacances, se roulèrent dans l'herbe épaisse, tandis que Mabel et Ficelle s'occupaient de disposer les couverts." 
Puis Vénus. Bis repetita.
"Pour l'instant, au-dessous d'eux, ce n'étaient que vastes prairies, rivières et fleuves majestueux, vergers de toutes sortes où la nature donnait libre cours à son exubérance."
Ils y découvrent une cité merveilleuse de goût, d'élégance et de confort et un peuple au stade d'évolution très avancé. Pour autant, l'auteur reste fidèle à ses idées :
"Mais la femme vénusienne, dont l'instruction générale est très développée, demeure femme avant tout, c'est-à-dire bonne épouse, bonne mère. En un mot, tout en étant la sage conseillère de l'homme, elle ne faillit pas aux lois divines."
Enfin, après deux ans d'absence, le "Météore" regagne la Terre.

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4 - Planète vagabonde 


Dix ans après être revenus de leur formidable périple, les voyageurs reprennent du service. Leur vaisseau, une version améliorée du précédent, s'envole dans l'immensité intersidérale. L'équipage est inchangé, si ce n'est que Gonzales reste à terre, trop diminué physiquement pour revivre une telle expérience. Ses amis le laissent derrière eux, la mort dans l'âme.

D'abord, ils retrouvent les pithécanthropes sur Jupiter et réalisent que ces derniers les ont élevés au rang de divinités et leur ont dressé des statues. Puis, au moment de reprendre leur route vers Pluton, ils découvrent la présence d'une planète dérivant dans le Système solaire. Ils décident de changer leurs plans et de s'y rendre.

Sur cette planète, Vagabondus, vivent des créatures costaudes, au même aspect physique que les terriens mais plus grands de taille et à la carrure plus solide. Les passagers du "Météore" vont leur donner le bon Dieu sans confession. Et pour cause, comme dirait Jeff :
"J'ai appris que les êtres forts étaient rarement mauvais."
Mais ils auront tort...

Au passage, au cas où le lecteur n'aurait pas pleinement compris ce que l'auteur en pensait, celui-ci rajoute une couche généreuse à son mille-feuille de misogynie.
"- Le travail est évidemment obligatoire pour tous, sauf pour les femme. - Les femmes ne travaillent vraiment pas chez vous ? demanda Mabel. - Leur rôle consiste à s'occuper de la famille."
Enfin, après une remarque réformiste - la seule de la pentalogie ! - sur "l'horreur des abattoirs" et le progrès que représenterait une meilleure gestion de la souffrance animale, F. Richard-Bessière confronte ses personnages à une série d'évènements dramatiques avant de les abandonner, seuls sur la planète, privés de moyen de transport, condamnés à dériver dans l'univers jusqu'à ce que mort s'ensuive.

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 5 - Sauvetage Sidéral 


Alors que la situation semblait désespérée, F. Richard Bessière a de toute évidence pensé à exploiter une autre idée. Il présente donc en quelques pages une issue rapide à l'impasse dans laquelle il avait conduit ses personnages, les sort de ce mauvais pas d'un revers de la main et les voyageurs rentrent sur Terre quelques paragraphes plus tard. Bon.

Les réacteurs du "Météore" n'ont pas même eu le temps de refroidir que ses passagers découvrent que Vagabondus, dont ils viennent de s'enfuir, entrera en collision avec la planète bleue "dans deux cent quatre-vingt-dix jours et six heures." À peine rentrés chez eux, ils préparent déjà un plan pour sauver l'humanité et remontent dans leur vaisseau. Dans la soute, une foreuse géante et une énorme bombe. L'idée est de creuser un trou et de placer la charge explosive au centre de la planète vagabonde pour la détruire avant qu'elle ne percute la Terre. Mais deux gangsters, montés clandestinement à bord de la fusée, ont d'autres plans...

C'est sur ce dernier épisode digne d'une superproduction hollywoodienne que la pentalogie entamée quatre ans plus tôt trouve sa conclusion. Une conclusion à l'image du reste de la série : sympathique, grotesque et surannée.

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La pentalogie de F. Richard-Bessière ne s'adresse vraiment qu'aux amateurs de série Z les plus dévoués ou aux nostalgiques du roman feuilleton à l'ancienne. Datée, percluse de défauts et traînant définitivement en longueur, elle est toutefois à remettre dans son contexte. Après tout, il s'agit d'une oeuvre ample et ambitieuse écrite par un jeune homme marqué par son temps et limité par les connaissances de son époque.

Finalement, son statut d'incontournable est-il mérité ? J'imagine que oui. Mais moins pour sa valeur littéraire, son imagination et son plaisir de lecture qu'en sa qualité de pierre d'achoppement dans l'histoire de l'édition et de la littérature de genre.




Et pour suivre l’avancée du projet Objectif "231", cliquez sur la fusée !

FNA n°1, 2, 3, 4 & 37

10 commentaires:

  1. "Après tout, il s'agit d'une oeuvre ample et ambitieuse écrite par un jeune homme marqué par son temps et limité par les connaissances de son époque."
    hum... il suffit de lire par exemple "ceux de nulle part" de F.Carsac, publié en 1955, pour comprendre que le contexte et les connaissances de cette époque permettaient d'écrire bien autre chose.
    (et Henri Bessière est né en 1923, il avait donc 28 ans en 1951)

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    1. De mémoire, Carsac aussi avait ses limites.

      F. Richard-Bessière avait 28 ans en 1951, date de publication du cycle mais 18 ans en 1941, date de rédaction des volumes.
      Quant à la série, je suis le premier à en souligner les défauts. Mais il faut toutefois reconnaître une certaine ambition dans le projet entrepris : une vaste fresque qui décrit, en cinq volumes, les neuf planètes du Système solaire et leurs habitants. Pour ce qui est de sa réalisation, nous sommes d'accord, c'est autre chose.

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  2. Si Richard-Bessière bat Carsac à plate couture pour ce qui est de la quantité, c'est exactement l'inverse en matière de qualité. L'écriture, les idées, le sens du récit et même les réflexions qu'il nous propose (notamment dans "Ce monde est notre") sont bien meilleurs chez Carsac. Certes, certains de ces romans sont tout juste divertissants ("Les robinsons du cosmos") mais les autres sont vraiment très bons, en particulier "Pour patrie l'espace" qui traite intelligemment de la tolérance.
    Jolie chronique en tout cas et non moins belle persévérance pour être venu à bout de ces 5 volumes !

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    1. Attention, mon intention n'a jamais été de comparer Bessière et Carsac. Déjà car ils ne sont pas si comparables, ensuite car si j'ai lu les deux (d'ailleurs je note "Pour patrie l'espace") je ne connais pas suffisamment leur œuvre pour me lancer dans une telle confrontation.
      Pour en revenir aux "Conquérants de l'univers", c'est vrai que lire les cinq volumes relève de la gageure (Je dois confesser avoir un peu diagonalisé ma lecture du dernier…) mais comme je me suis lancé dans le projet un peu fou et non moins idiot de lire TOUS les romans de la première époque de la collection Anticipation (231 volumes, tout de même), il fallait en passer par là…

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    2. "Pour patrie l'espace" est mon Carsac préféré : tu peux y aller en confiance.
      Lire tous les FNA de la première période est en effet une gageure. Ceci étant je me suis bien tapé les 9 volumes des "Chroniques de l'ère du verseau" dans la même collection et qui étaient de qualité, disons, inégale…
      Parmi les premiers FNA tu va donc tomber sur "Course vers Pluton" de Vargo Statten dont je ne me rappelle que parce que son vaisseau spatial fonctionne au charbon que les astronautes enfournent dans une chaudière comme pour une locomotive !

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    3. Les FNA, c'est un peu ma madeleine de Proust. Il y en avait des dizaines chez mon grand-père où je passais mes vacances étant enfant puis ado. J'en relisais certains chaque été. "Les parias de l'atome", "L'homme multiple", "Océan mon esclave"… autant de titres gravés dans ma mémoire et qui ont largement contribué à mon goût pour la SF. Avec ce projet, je me fais donc un peu un voyage dans le temps. Je n'ai pas lu "Course vers Pluton" mais il y passera… "Pour patrie l'espace", également.

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  3. Au moins les couvertures sont sympas. Ça me semble la plus grande qualité de ces livres - pour ne pas dire la seule, au moins pour le lecteur moderne.

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    1. J'adore les couvertures, elles sont signées Brantonne. Mais de là à dire que c'est la plus grande qualité des livres… quoique…

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  4. Je me demandais pourquoi la lcture de cette suite, je comprends mieux. Ce n'est pas pour moi, mais j'espère que tu vas me donner envie de lire au moins un roman sur ces 231.

    Je ne sais pas si tu as écouté la méthode scientifique avec Serge Lehman mais tu devrais, on y parle un peu de ces fusées et du numéro 2000.
    https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/la-methode-scientifique-emission-du-vendredi-13-decembre-2019

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    1. Il y en a forcément de bons.

      Et merci pour le conseil, j'écouterai attentivement cette émission.

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