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dimanche 29 août 2021

Louis-Sébastien Mercier - L’An 2440

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Louis-Sébastien Mercier 

L'An 2440, Rêve s'il en fût jamais 

Ed. La Découverte 


Avant d'écrire Quand le dormeur s'éveillera, H.G. Wells avait lu 100 ans après ou l'an 2000 d'Edward Bellamy. S'en inspirant librement et y faisant même plusieurs fois allusion, l'auteur britannique imaginait à son tour un personnage posant sa tête sur l'oreiller et n'ouvrant les yeux que deux siècles plus tard - contre cent ans "seulement" pour le protagoniste du romancier américain. En revanche, l'un ou l'autre avaient-il eu connaissance du livre de Louis-Sébastien Mercier ? Je l'ignore. Près de cent-cinquante ans avant eux, en plein siècle des Lumières, l'écrivain français mettait déjà en scène le réveil d'un homme resté dans les bras de Morphée un temps improbable : 669 ans.

Voyageur temporel ou rêveur éveillé, le narrateur pose sur l'époque qu'il visite, "l'auguste et respectable année" 2440, un regard ébahi. En effet, constatant l'évolution des mœurs et de la morale, les améliorations politiques, intellectuelles et économiques, il ne peut que se féliciter de la bonne impulsion que les Lumières ont donné à la société et l'idéale direction qu'elle leur a fait prendre. Ainsi, ce conte philosophique, plutôt que de réellement proposer une fiction d'anticipation, offre une vision partisane du mouvement dans lequel il s'inscrit : promotion des connaissances, esprit critique, importance du rôle des écrivains, remise en question de la monarchie... L'auteur ignore alors que moins de vingt ans après la publication de son livre, la Révolution en marquera le déclin.

L'An 2440 est l’œuvre d'un rêveur. Mais d'un rêveur parfois limité par certains travers tenaces de son époque - il n'y a qu'à voir ce qu'il prédit de la condition des femmes :
"Tout homme nourrit la femme qu'il féconde et celle-ci, tenant tout de la main de son mari, est plus disposée à la fidélité et à l'obéissance : la loi étant universelle, aucune n'en sent le poids. Les femmes n'ont d'autres distinction que celle que leur époux fait rejaillir sur elles : toutes sont soumises aux devoirs que leur sexe leur impose, leur honneur est de suivre ses lois austères, mais qui seules assurent leur bonheur."
Pour le reste, même si sa lucidité est souvent entravée par son trop grand optimisme, L'An 2440 est incontestablement l’œuvre d'un utopiste et le précieux témoignage d'un lettré de son temps. Louis-Sébastien Mercier, convaincu que mener une profonde réflexion peut permettre de dépasser la menace obscurantiste, dénonce les abus, les dysfonctionnements, et prône des modifications de fond, dans un souci de bienveillance et de prospérité.

6 commentaires:

  1. Tu crois que les intellectuels de l'époque aussi disaient que ce n'était pas de la science-fiction parce qu'en fait ça parlait plus du présent que du futur ?
    En tout cas merci pour la découverte, c'est une vraie pépite d'archéo-SF.

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    1. Difficile à dire. Si l'opinion de l'époque valait le nôtre, le livre aurait sans doute été considéré comme trop littéraire et trop critique par les milieux intellectuels pour être qualifié de littérature de genre. N'oublie pas que la SF n'est pas vraiment de la littérature...

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  2. Quelle découverte! (Et quel passage sur les femmes aussi, dis donc...) Comment en es-tu venu à lire ce livre?

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    1. N'est-ce pas ?

      Comment je l'ai découvert ? En mettant le nez dans les rayons de ma librairie, tout simplement.

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