Richard Powers
Sidérations
Ed. Actes Sud
Tous ceux qui l'ont lu se souviennent du livre de Daniel Keyes Des fleurs pour Algernon. Pour les autres, voici un bref résumé de ce roman daté de 1966 : Charlie Gordon est un jeune homme simple d'esprit qui occupe un modeste travail dans une boulangerie et suit des cours d'écriture dans un institut pour personnes déficientes mentales. Un beau jour, des scientifiques le sélectionnent pour une opération expérimentale visant à développer ses facultés et à le rendre plus intelligent. Beaucoup, beaucoup plus intelligent. Le lecteur découvre son histoire à travers le journal qu'il rédige quotidiennement et dans lequel il rend compte de son évolution. D'abord très factuel et maladroit, il élabore des réflexions de plus en plus abstraites, son analyse de l'environnement gagne en finesse mais, alors qu'il commence à comprendre quel regard son entourage posait sur le simple d'esprit qu'il était jusqu'alors, il se mure dans une inaptitude aux relations humaines et n'a bientôt plus de considération que pour Algernon, la souris qui a servi de cobaye pour son opération et qui, contre toute attente, commence à régresser...
Au début de Sidérations, le personnage principal, Theo Byrne, fait lire à son fils l'histoire de Charlie Gordon. L'auteur en résume d'abord l'intrigue à travers les dialogues entre le père et son garçon puis il y fait régulièrement des allusion au fil des pages. Par ce moyen, il ne se contente pas de rendre un hommage appuyé à ce classique de la littérature américaine mais il s'en inspire et propose même une variation sur ce thème. Une variation libre, mais une variation tout de même. Voyez plutôt : Depuis le décès brutal de sa
femme, Theo Byrne, un astrobiologiste, élève seul son fils de neuf ans, Robin. Ce dernier, autiste, a
beaucoup de mal à vivre en société et est régulièrement sujet à des
crises. Un jour, c'est la crise de trop et Theo n'a d'autre choix que
d'inscrire son fils à un programme expérimental qui doit l'aider à
canaliser son énergie et à le transformer en citoyen "normal". Alors que les
résultats dépassent toutes les espérances, les similitudes entre les deux romans, celui de Keyes et celui de Powers, finissent par sauter aux yeux...
Comme son modèle, Sidérations est assez irréprochable d'un point de vue romanesque. La narration est habile, les personnages sont profonds, touchants, et la relation entre le père et son enfant est émouvante. Mais si les points communs sont nombreux et les thématiques similaires, les problématiques sont différentes, bien plus actuelles et surtout beaucoup plus politiques. Richard Powers donne à son roman une dimension critique qui est à la fois une force et son plus gros défaut : d'un côté, le constat qu'il établit d'une situation environnementale dramatique créée par une mauvaise gouvernance climatique est intéressant, mais d'un autre côté la vision qu'il a de l'inertie citoyenne et de la responsabilité de chacun est assez moralisatrice et il adopte parfois un ton donneur de leçons un peu agaçant. Ce dernier aspect est finalement pardonné quand on réalise qu'il a sans doute en partie raison - même si cette vérité n'est pas forcément plaisante à entendre - et surtout quand on considère les somptueux tableaux que, pour illustrer son propos, le roman offre des espaces naturels, du monde vivant et de sa diversité, des images de la nature et du retour aux fondamentaux ou encore d'une vie dans le cosmos...
C'est osé de "s'attaquer" à un livre tel que "Des Fleurs pour Algernon", c'est presque sidérant comme idée. J'étais plus que mitigé à l'idée de base, mais vu ce que tu en dis ça a l'air de valoir le coup.
RépondreSupprimerAttention, Powers ne s'y attaque pas, il s'en inspire librement et lui rend hommage. Je trouve d'ailleurs qu'il s'en sort bien et, si ce n'est l'aspect moralisateur que j'ai souligné plus haut, son roman est vraiment bon.
Supprimer”Son roman est vraiment bon”.je me fie à ton avis.
RépondreSupprimerJ'espère que ça te plaira et que ça te donnera envie de creuser un peu son œuvre. Il a écrit quelques excellents bouquins, notamment "Le temps où nous chantions".
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