mardi 14 février 2023

San-Antonio, l'année 1974

Le milieu des années 70 marque une charnière dans le parcours du commissaire et dans l'histoire de ses publications. Béru, qui a pris beaucoup d'importance depuis quelques épisodes, partage maintenant presque équitablement l'affiche avec San-A. Dorénavant, libération sexuelle oblige, ses frasques remplissent les pages des romans et la dérision prend de plus en plus le pas sur l'intrigue. Toutefois, cette période voit paraître certains des épisodes les plus drôles de la série et l'auteur n'est pas encore tombé dans la facilité à laquelle il cèdera bientôt. Il y a encore, au milieu des scènes gaudriolesques, de la subtilité, une certaine finesse, de la suggestion ainsi qu'un regard très ironique teinté de pessimisme posé sur la société.
 
L'année 1974 voit paraître les cinq épisodes suivants.

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San-Antonio  Un os dans la noce Ed. Fleuve Noir
San-Antonio 

Un os dans la noce

Ed. Fleuve Noir 

 
Vous vous souvenez de Zoé Robinsoncru, cette souris rencontrée dans J'ai essayé : on peut ! et que San-A avait promis d'épouser ? Figurez-vous qu'il va s'la marier pour de vrai ! Tout le monde est là, sur son 31, Béru, Pinaud, Félicie, tout le monde ! Et au milieu de ce tout-le-monde, dans l'agitation, quelqu'un glisse dans la pogne du commissaire une feuille de papier. Il est noté dessus que s'il répond "oui" à la question du maire, une bombe explosera... 

À croire que le destin lui-même est opposé au mariage du meilleur flic du pays ! Mais d'ailleurs, est-ce vraiment lui qui est visé par la bombe ? Si c'est la première question qu'il se pose, ce n'est pas la dernière à laquelle il devra répondre... Le voilà parti sur un long chemin en solitaire, ponctué de traquenards, de cadavres, et parsemé d'inventions langagières dont il a le secret...
"Écoute, Julot : je viens de potasser le Robert pour chercher des synonymes à "sidérer". J'ai trouvé qu'"abasourdir" et "stupéfier", ce qui est d'une faiblesse crasse pour exprimer l'intensité de ce que j'éprouve. C'est de la liqueur de vocabulaire, ça. Du sirop de syllabe. Me faut donc inventer un terme susceptible de m'assouvir la sidérante et abasourdissante stupeur. Ce que je suis, à cet instant ? Eh ben, tiens, je suis "craouchte". T'entends, Dunœud ? "Craouchte".
Et je pèse mes mots."
 
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San-Antonio Les prédictions de Nostrabérus Fleuve Noir
San-Antonio

Les prédictions de Nostrabérus

Ed. Fleuve Noir 

 
Je vous parlais plus haut d'intrigues qui s'effacent occasionnellement derrière les délires en roue libre d'un romancier sans complexe ? En voici un exemple parfait ! L'enquête est ici clairement un prétexte pour enchaîner des scènes cocasses qui semblent tomber de nulle part et ne tenir debout que grâce à l'aplomb de l'auteur. D'ailleurs, l'enquête en question tient en quelques lignes : comme San-A est chargé de retrouver un assassin en liberté en Suède et qu'il sait de source sûre que ce dernier est adepte de sciences occultes, il jette Béru comme appât, déguisé en voyant extralucide.

Les scènes durant lesquelles le Maousse devine l'avenir de bourgeoises en fourrures justifieraient à elles-seules l'attribution du prix Nobel à l'auteur, s'il ne lui avait déjà été refilé. En effet, son sens de l'autodérision n'ayant d’égal que sa fausse modestie, c'est à l'origine pour y recevoir le fameux prix que San-Antonio est à Stockholm. Et c'est lors de la soirée organisée en son honneur qu'un membre du jury lui glisse cette histoire d'assassin en fuite. Cela dit, le lecteur est plus tenté de noter le goût alimentaire de ce dernier que la mission en question : le type est scatophage. Vous avez bien lu. Il se nourrit exclusivement d’excréments. La visite de sa chierie privée est d'ailleurs un régal de lecture ! Du moniteur de chiasse aux cours de défécation en passant par les chieurs triés sur le volet, nourris selon un régime très étudiés et qui se soulagent dans des réceptacles en pyrex, il y a de quoi faire chez "le Christophe Côlon des latrines" ! Pour le plus grand plaisir des amateurs. Béru, curieux, se laisse même tenter.
"Ecoutez, m'sieur Mal-à-l'estom', déclare l'oracle, de vouze à moi, ça ne vaudra jamais une perdrix aux choux ou des quenelles Nantua, mais je reconnais qu'a un certain quéqu'chose. La subtilité, c'est dans l'arrière-goût qu'é s'loge. Je serai sûrement jamais fana, pourtant, je préférerais me convertir à c'te popote-là que de sombrer végétarien."
Scatophagie, prédictions, parties de jambe en l'air, distribution de bourre-pifs et tirades alexandrines, l'auteur ne se refuse rien !
 
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San-Antonio Mets ton doigt où j'ai mon doigt Fleuve Noir
San-Antonio

Mets ton doigt où j'ai mon doigt

Ed. Fleuve Noir

 
Après la délirade totale de l'épisode précédant, cet épisode semble bien classique - mais n'en est pas moins bon pour autant. Il s'ouvre sur une conversation anodine entre le commissaire et l'un de ses vieux amis, conversation qui mènera à l'arrestation d'un photographe, amateur de nus et de moyens de pression. L'interrogatoire, musclé, est l'occasion pour l'auteur de s'interroger sur les violences policières et sur l'opinion que la population peut se faire des méthodes de la maison poulaga. Il se penchera ensuite sur d'autres sujets de société qu'il est intéressant de lire à la lumière de notre époque, notamment ses considérations sur la retraite à soixante ans...

Bref, menée conjointement avec Béru et Pinuche, l'intrigue est assez politique, plutôt bien ficelée, pleine de rebondissements et ponctuée de quelques scènes coquines.
"Une fois on the bed, j'opère la fabioulouse véry well séance pour dame désespérée. Celle qui comprend la respiration sous-cutanée, hydroglisseur à ogive chercheuse, le compresseur moustachu, la lune de miel, l'ours mal léché, le potentat variable, le complément d'information, le médius musardeur, l'emporte-pièce, le coolie déballé, la pieuvre en folie et le déménageur folâtre."
 Du classique, quoi.
 
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San-Antonio Si Signore ! Fleuve Noir
San-Antonio 

Si Signore !

Ed. Fleuve Noir

 
Je ne sais pas si c'est la Sicile qui ne stimule pas particulièrement San-Antonio mais le roman qu'il y fait se dérouler ne restera pas dans les annales. Très classique et peu inspiré, l'auteur ne se foule pas beaucoup : le commissaire part pour la plus grande île de la mer Méditerranée, accompagné d'un Béru presque absent, si ce n'est lors d'une scène finale où il est le cobaye d'une expérience scientifique insensée visant à le transformer en cochon et durant laquelle, nu comme au premier jour, il se dispute les faveurs d'une truie contre un énorme porc. Brefle, s'ils sont venus là, c'est pour y récupérer une valise volée à un barbouze. Mais, entre mafieux, espions, agents doubles, voire triples, le meilleur flic de France va devoir faire du tri...
"On tue beaucoup dans cette affaire, sans hésiter, en série. On tue parce que tous les protagonistes ont le souci d'effacer les traces de l'opération, qu'ils appartiennent à un bord ou à un autre. N'importe le clan, il faut laisser place nette."
Un épisode pas vraiment indispensable, même s'il fait vaguement son office.

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San-Antonio Maman, les petits bateaux Fleuve Noir
San-Antonio 

Maman, les petits bateaux

Ed. Fleuve Noir

 
Oubliez tout ce que je vous ai dit sur San-Antonio et la Sicile, le manque d'inspiration de Si Signore ! doit venir d'autre chose. D'où, je ne sais pas, mais clairement pas de cette île située au large de la pointe de la botte italienne. Pour preuve, cet épisode y démarre sur les chapeaux de roue : le commissaire, en parfait touriste à Palerme, part pour un tour de la ville en calèche. Il y fait la connaissance d'une allemande et échappe à ses côtés à un attentat. Les émotions fortes créant du lien, il suit la jeune femme sur le bateau qui lui faisait faire escale en Italie. C'est là que le lecteur réalise, alors que San-A y retrouve un Béru incognito, que cette rencontre était planifiée et l'embarquement également. Les deux policiers sont à bord pour suivre la touriste allemande et son mari. Mais ils ignorent alors qu'ils vont devoir s'investir dans une seconde mission : des terroristes menacent de faire exploser le navire.
 
Des considérations sur les relations franco-germaniques à celles sur les vacanciers en paquebots, San-Antonio parsème son roman des réflexions acerbes auxquelles il nous a habituées sur une société qui lui inspire autant de sarcasme que d'ironie. Ajoutez à cela une belle collection de conquêtes, les hilarants troubles gastriques de l'inspecteur en charge de la sécurité à bord, des macchabées, des explosions, des bastons ainsi que des figures de style et une bonne dose d'auto-dérision, alors tout est réuni pour faire de ce roman un excellent épisode des aventures du commissaire.
"Là-dessus, il se renquille la bouffarde entre les croqueuses et laisse flotter son amertume sur l'eau fangeuse de nos méditations, comme n'aurait pas manqué de l'écrire Chateaubriand."
 
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Après un certain ventre mou, l'année 1974 se termine heureusement aussi bien qu'elle a commencé. Ceci dit, même les épisodes les moins emblématiques, dont le principal défaut est de respirer la désinvolture et d'exploiter une zone de confort, restent plaisants à lire, drôles, bien construits, et mettent en scène des protagonistes toujours aussi fringants et entourés de personnages secondaires improbables et truculents. Ce constat sur l'irrégularité des épisodes laisse toutefois craindre la suite : dans un flot soutenu de publications, on commence à distinguer une alternance de très bons épisodes et d'autres plus anecdotiques. Reste à espérer que les premiers continueront à être plus fréquents que les seconds...


 
Et pour suivre l'avancée de ma lecture complète des aventures du commissaire San-Antonio, cliquez sur le sourire de l'auteur !

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