Frédéric Dard
Les confessions de l'Ange Noir
Ed. La pensée moderne
En 1952, encore aux prémices de sa carrière d'écrivain et trois ans seulement après avoir donné naissance à San-Antonio, Frédéric Dard se lance dans une courte série en quatre volumes mettant en scène un malfrat dont on ignore le véritable nom : l'Ange Noir. Entre ce personnage et celui du commissaire, dont il ne se contente pas d'être le double maléfique, il y a peu de points communs. Et pour cause, sorti des quelques similitudes formelles et du récit à la première personne, force est de constater que les deux séries ne sont pas réellement comparables - que ce soit pour les décors, le ton, la construction des intrigues ou encore la philosophie et les positionnements de leurs protagonistes. Quant au style, l'auteur n'a pas encore vraiment trouvé le sien et donne l'impression de travailler ici ses gammes argotiques, tout en se cantonnant à des trames basées sur un enchaînement de rebondissements. D'ailleurs, venons-y :
Le boulevard des allongés
L'Ange Noir est un homme à la gâchette facile, porté sur l'alcool et les femmes, dont la réputation n'est plus à faire, recherché par toutes les polices, craint et respecté dans les milieux interlopes qu'il fréquente. Nous faisons sa connaissance à Chicago, alors qu'il vient de se faire arrêter pour un meurtre qu'il n'a pas commis mais que les autorités, trop heureuses d'avoir trouvé un prétexte pour lui mettre la main dessus, lui font sans complexe endosser pour tous les autres.
Avec l'aide d'une complice et de son avocat, il met sur pied une évasion qui le conduit à prendre en otage la fille d'une personnalité importante du monde de la finance et à laisser derrière lui une route jonchée de cadavres. Surtout, une fois dehors, il compte bien se venger du cave qui l'a donné...
Le ventre en l'air !
Fraîchement arrivé à New York, l'Ange Noir est alpagué par un agent fédéral qui lui confie une mission en échange d'un coup d'éponge sur son ardoise : assassiner un sénateur. La mission ne sera pas simple, d'autant plus que la cible est très protégée, notamment pas les propres services du commanditaire...
Comme notre gangster est de loin le meilleur pour accomplir ce type de forfait, il élimine sans problème le politicien puis vient rendre compte de son exploit, sûr de lui. C'est alors qu'il réalise que l'homme en costume qui l'a mis sur le coup l'a embobiné : non seulement il lui a menti sur son identité mais il ne travaille même pas pour le gouvernement. Mais L'Ange Noir n'est pas le genre de type qu'on roule impunément dans la farine. Son "employeur" va voir ce qu'est réellement "un individu sans moralité".
Le bouillon d'onze heures
Dans l'intérêt de sa santé, alors qu'il est "sérieusement scié aux USA, où rien que [s]on nom donne le cafard aux flics", l'Ange Noir est venu se faire oublier en Angleterre. Un coup du hasard lui fait constater que, dans son hôtel, le gars qui occupe la chambre attenante à la sienne s'expédie des paquets remplis de billets. Il décide donc de les intercepter, au prix de deux ou trois quidams balancés dans une cage d'ascenseur. Malheureusement, l'une des victimes est tombée avec un document compromettant à la main...
Entre les fuites dans les rues londoniennes, une mission expéditive dans un asile d'aliénés, des ramponneaux et des dragées, des macchabées, l'Ange Noir sera rapidement aussi tricard dans la perfide Albion qu'aux États-Unis. On le laisse à la fin de ce roman sur un ferry pour la France.
Quelle est la meilleure chose à faire quand on arrive à Paris ? S'offrir un cinzano dans le premier troquet venu et y proposer une cigarette à une jolie inconnue. La demoiselle en question, fille d'un riche entrepreneur, partage avec l'Ange Noir la juteuse affaire d'extorsion des fonds de son père à laquelle elle travaille. Ni une, ni deux, il s'empare du plan. Il réalise alors, coup de théâtre, que le vieil homme n'a pas d'enfant...
Embarqué dans un bourbier qui le dépasse et entravé par sa méconnaissance de la langue et des coutumes, voilà notre homme en fâcheuse posture. Il devra faire parler la poudre et semer les cadavres pour s'en sortir. Ça tombe bien, c'est ce qu'il fait le mieux !
Arrivé à la fin du quatrième volume, un cinquième est annoncé. Il ne verra jamais le jour, j'en ignore la raison. L'auteur s'est-il lassé de ce personnage peu sophistiqué, fondamentalement cynique et violent, et dont les méthodes radicales rendent les intrigues faciles et systématiques ? C'est possible. À moins qu'il n'ait tout simplement considéré les épisodes de cette série que comme des exercices d'écriture et l'occasion d'affiner la langue qui sera sa marque de fabrique et dont le caractère inventif est déjà largement en germe. Quelques années plus tard seulement, avec Kaput, il retentera une variation sur le thème du gangster se faisant le rapporteur de ses propres mésaventures anonymes. Bien qu'elle soit plus aboutie, cette seconde salve ne fera pas non plus long feu, contrairement aux aventures du commissaire San-Antonio.
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