San-Antonio, c'est bath !
Vous en doutiez encore, même après ça ? Alors en voici une nouvelle preuve. Et par neuf, s'il vous plait !
Les romans suivants constituent une sélection totalement arbitraire. Neuf titres parus entre 1954 et 1972, autant dire la meilleure période - avant que l'auteur ne cède aux sirènes du graveleux et du racoleur : des intrigues solides, une imagination fertile, une langue inventive, des personnages fleuris, une narration imagée, des comparaison audacieuses, des réparties cinglantes, des digressions truculentes, un humour mordant et un ton provocateur, le tout ponctué de traits d'esprit corrosifs, d'une philosophie décomplexée, de réflexions acerbes sur l'époque et la société, agrémenté de notes de bas de page caustiques et enrobé d'une feinte prétention teintée d'auto-dérision.
Oui, San-Antonio, c’est bath !
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San-Antonio
Ménage tes méninges
Ed. Fleuve Noir
San-Antonio est envoyé à Cuho, officieusement, grimé et sous une fausse identité, pour y dénouer un épineux problème d'espionnage. Et afin d'être le plus discret possible, il voyage dans l'ombre de Bérurier qui, lui, y va officiellement. Quel meilleur moyen de passer inaperçu que lorsque tous les regards se portent sur le Gros ? Les deux hommes, bientôt réunis par un caprice du destin, vont mener cette affaire de front.
"- Et moi, quoi t’est-ce que je maquille ?- Tu continues de t’humecter et d’ici une plombe tu rentres à l'hôtel où tu m’attends avec cette patience angélique qui t’a fait demeurer l'époux de ta femme."
L'intrigue efficace, bien ficelée et boostée aux calembours, est l'occasion pour Bérurier de procéder à un généreux étalage de culture générale. En effet, l'inspecteur, qui révise pour le concours de commissaire, ne perd pas une occasion de nous rappeler tel ou tel point de grammaire, d'histoire, de géographie ou encore de mathématiques. À la sauce Béru, s'entend ! Mais même si le théorème de Pythagore revu et corrigé par le Gros vaut le détour, c'est surtout sa démonstration de tango qui constitue le sommet du roman - en particulier sa description lorsqu'il quitte la piste de danse, en nage, "plus ruisselant que les murs d’une pissotière"...
Quel talent !
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San-Antonio
T’es beau, tu sais !
Ed. Fleuve Noir
En mission aux Canaries pour neutraliser le plus célèbre tueur de l’après-guerre, San-Antonio se retrouve face à un adversaire à sa taille. Démasqué dès les premières pages, il est contraint de jouer franc jeu. Les deux hommes s'observent, se jaugent, et c'est à qui frappera le premier. Quand ? Où ? Comment ? En attendant, ils se comportent comme les gentlemen qu'ils sont.
"Elle se signe d’une croix, car elle est analphabète."
Ce qu'il est intéressant de noter dans ce roman, ce sont les réflexions que glisse l'auteur sur son métier d'écrivain. Il y en a plus ou moins dans tous les épisodes mais je ne crois pas que San-Antonio ait jamais poussé le concept aussi loin. Il se permet des remarques sur son éditeur, lui tend la plume lors d'interventions fictives en note de bas de page et va jusqu'à imaginer un différent avec celui-ci. Puis, agacé, l'auteur menace d'interrompre son roman et prend le lecteur à parti. Il finit d'ailleurs par mettre ses menaces à exécution. Il met dont un terme prématurément à son intrigue, en entame une nouvelle en cours de route avant de revenir à son histoire d'origine sous prétexte que son éditeur aurait des moyens de rétorsion auxquels il est obligé de céder. Bien entendu, tout ceci est volontiers moqueur et se fait sur le ton de l'autodérision.
C'est assez malin, bien pensé et bien exécuté, à l'image du reste du roman.
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San-Antonio
Rue des macchabées
Ed. Fleuve Noir
San-Antonio est un fils dévoué, on le savait déjà. Il nous le prouve une fois de plus : changeant son programme en dernière seconde, il se rend au bureau de poste pour rendre service à sa mère plutôt que chez les voisins pour en composter la nurse. Mais voilà qu'une fois sur place, il trouve un papier coincé contre la vitre du guichet que viennent justement de quitter deux hommes qui, sans trop qu'il sache pourquoi, ont attiré son attention. Sur le papier sont griffonnés les mots suivants : "au secours". Il quitte le bureau de poste en trombe et tombe aussitôt sur l'un des deux hommes, seul et mort.
Comme il doit partir aux States le lendemain pour une mission urgente, le commissaire n'a que quelques heures pour s'emparer de cette affaire et la mener à bien. Il court donc contre la montre, donne un rythme effréné à son récit et le mène tambour battant.
Il n'y a finalement pas grand-chose à rajouter concernant cette intrigue, solide au demeurant, si ce n'est qu'elle m'a fait froncer les sourcils à plusieurs reprises. En effet, l'un des personnages est de la jaquette et San-Antonio en condamne allègrement les penchants et le comportement. On peut même dire qu'il tire sur l'ambulance. Ses propos sont vigoureux et m'ont gêné, je dois le reconnaître, d'autant plus qu'il revient plusieurs fois à la charge et n'y va pas avec le dos de la cuillère... Cela dit, l'auteur offre à ce personnage un rôle intéressant dans un bon épisode de la série, j'imagine que ça compense...
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San-Antonio
Bérurier au sérail
Ed. Fleuve Noir
Alcide
Sulfurik, un agent des services secrets français, est porté disparu au
Kelsaltan, un imanat du Moyen-Orient qui résulte de
l’éclatement de l’Arabie Karbonate de Séoud. San-Antonio y est donc envoyé afin de retrouver l’espion, accompagné de Béru, de Pinuche et d’un petit malfrat faisant office d'interprète. Ce dernier est le seul, à la connaissance du commissaire, à parler le kelsaltipe, la
langue locale.
Tout commence donc par une leçon de géographie dans le bureau du patron. Le théorie laisse rapidement place à la pratique et voilà notre groupe parti au pays des sérails. Si vous pouvez facilement imaginer la teneur des réflexions de Béru découvrant le harem, rien ne peut vous avoir préparé à sa traversée du Grand Rasibus - plus communément appelé Désert de la Soif - à dos de dromadaire...
Dans cette aventure exotique, qui fonctionne sur un scénario un peu mince mais qui offre un très beau rôle à Pinaud, San-Antonio se concentre sur l'humour de situation. Il se laisse aller sur les néologismes et les calembours, parfois en roue libre, mais parvient tout de même à placer, ici ou là, entre deux adresses piquantes au lecteur, quelques jolis aphorismes.
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San-Antonio
En avant la moujik
Ed. Fleuve Noir
Le roman s'ouvre sur un mariage et pas n'importe lequel : celui de San-Antonio. Que toutes les jeunes femmes se rassurent, la cérémonie est bidon et n'a d'autre but que de parfaire la couverture du commissaire qui doit, coûte que coûte, se rapprocher du père de la fausse mariée, le physicien russe Boris Bofstrogonoff.
Quitte à imaginer un mariage, authentique ou non, l'auteur se fait plaisir et colle Pinuche dans le rôle du cureton, Béru dans celui du témoin. Ce dernier, qui prend sa mission très à cœur, déclame un discours soigné ! Mais aussi inspirée soit-elle, la bafouille du Gros est éclipsée par le portrait de celle qui dira "oui". Jugez plutôt :
"Malgré son prénom enchanteur qui évoque la steppe, les troïkas sur la piste blanche et les amours du docteur Jivaty-Jiva-Gigot, Natacha, c'est une vrai boudin, croyez-moi. Russe ! Un boudin russe ! Elle ressemble à la plus grosse des poupées gigognes qu'on vous vend dans les bazars de Moscou. Dodue, cuissue, ventrue, mafflue, les joues peintes en vermillon, la moustache drue, le cou couleur de saindoux, le sein doux parce que mahousse comme un oreiller, le cheveu blond filasse, la bouche en étreinte de limaces, le front bas, la cuisse jambonnière, le mollet en tronc de palmier sous les bas de coton grisâtre, l’œil aussi pétillant qu'une rondelle de truffe sur une tranche de foie gras, cette aimable jeune fille de trente-deux ans est à la volupté ce que M. Francisco Franco est à la démocratie. Elle a un dargif à tromper un éléphant myope en rut, des mains comme des gants de baise-bol et sa toilette flanquerait le cafard à un fabricant de serpillères."
Menacés de toutes parts et seuls contre tous, le commissaire et son subalterne vont parcourir du pays à la poursuite du physicien. C'est l'occasion d'assister à une scène hautement régressive dans les toilettes d'un avion... un véritable son et odeur et lumière scatologique... des onomatopées comme s'il en pleuvait... des points d'exclamation comme s'ils étaient gratuits...
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L'homme et la femme dont au sujet desquels il est question, comme dirait le Gravos, ont deux point communs : déjà ils sont morts assassinés, ensuite ils avaient tous deux en poche un signe d'appartenance à une secte satanique. Flanqué d’un inspecteur de la crim', vague ébauche d'un Béru encore en gestation à ce stade des enquêtes, San-Antonio rend visite au Pape...
Se frotter à des adorateurs de Lucifer lui inspire d'intéressantes réflexions sur la religion et sur la vie en général. De fait, ce volume est parsemé de pépites, voire de fulgurances, et se montre par moments très spirituel. Cette aventure efficace, qui entraîne l'inspecteur et le lecteur des considérations théologiques aux arnaques à l'assurance, lui inspire également quelques portraits bien sentis : les anonymes qui constituent la figuration sont brossés à coups de touches cinglantes et de traits incisifs.
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San-Antonio
On t'enverra du monde
Ed. Fleuve Noir
On a enlevé Berthe !
C'est la panique ! Bérurier et Alfred sont dans tous leurs états ! Les deux hommes se soutiennent dans l'épreuve mais il faut absolument retrouver l'épouse du premier, la maîtresse du second !
"Même trogne voltueuse, même embonpoint, mêmes verrues à aigrette."
Ce volume offre enfin à Berthe un rôle à sa (dé)mesure. Celle qui est généralement cantonnée à la figuration se retrouve sur le devant de la scène et participe activement à l'enquête. Et cet épisode, qui s'ouvre sur une scène burlesque dont on pense qu'elle va donner le ton à l'intrigue, conduit finalement vers un sujet plus grave et confronte San-Antonio à de sombres histoires d'enlèvement d'enfants...
"Vous allez trouver que je digresse et que j’abuse de vos précieux instants, mais comme le disait une petite lycéenne de mes relations : « Il est bon, parfois, de faire toucher du doigt les failles de l’existence »."
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San-Antonio
Prenez-en de la graine
Ed. Fleuve Noir
"Tout a démarré de la façon la plus innocente qui soit, comme toujours."
En l’occurrence la petite sauterie organisée par le couple Bérurier pour fêter leurs 25 ans de mariage. Tout le monde est présent : La Gravosse, son mari et son amant en titre, Pinuche et sa femme, San-Antonio et Félicie. Tout le monde, quoi.
Et Bérurier sort sa pipe, ce qui peut paraître totalement anecdotique. Mais San-Antonio, qui a le sens de l'à-propos, fait de ce détail le premier élément d'une longue série de coïncidences qui vont mener nos deux héros aux Pays-Bas. Ayant pour unique indice les cigarettes d'un macchabée, ils ignorent ce qui les y mène. Cet élément est d'ailleurs bien utilisé : durant la majeure partie du roman, ils tâtonnent, avancent à vue et prêchent le faux pour savoir le vrai. En parallèle aux scènes cocasses, notamment face aux fameuses vitrines hollandaises, les contours de l'intrigue se dessinent doucement et conduisent les deux hommes à s'introduire dans un musée pour y dérober des toiles...
Le roman, malin et habilement conçu, se termine sur une scène touchante et bien amenée. Mais j'en retiens surtout, encore une fois, le soin apporté aux portraits des figurants. Certains personnages ne font que traverser le décor, n'ont pas même réellement de place dans l'intrigue, mais leur description, en quelques lignes, est frappante. Je pense par exemple à une simple soubrette qui apparaît et disparait aussitôt et dont voici le portait :
"Elle est longue, blanche, malade, avec des cheveux qui lui pendent sur la navrance comme le feuillage d’un saule, et un regard à s’être laissé faire douze gosses à la file par des messieurs qu’elle n’a jamais revus."
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San-Antonio
Tout le plaisir est pour moi
Ed. Fleuve Noir
En fin de journée, San-Antonio est interpelé par une femme qui désire lui livrer un témoignage urgent : elle affirme pouvoir innocenter un homme qui attend dans le couloir de la mort. Il y a effectivement urgence, le condamné doit se faire raccourcir au petit matin !
Les voies officielles étant impossible à emprunter en si peu de temps, le commissaire prend les choses en main et décide de les contourner ! Il n'a qu'une poignée d'heures nocturnes pour trouver les vrais coupables et en obtenir les aveux, sans quoi un innocent enfilera le costume de chez Borniol à la place d'un autre...
"Si vous craignez les émotions fortes, courez échanger ce livre contre les recettes végétariennes de tante Irma parce que je vous annonce que ça va barder !"
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Vous en voulez encore ? Si après ça vous n'êtes toujours pas convaincus, je ne vois pas ce que je peux faire de plus - si ce n'est laisser le mot de la fin à l'auteur :
"En vérité, je vous le dis : quand ça ne carbure pas, mettez le nez dans un San-Antonio. Et faites-le en vous disant que si c’est de la m... ça vous portera peut-être bonheur !"
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