Pierre Bayard
Hitchcock s'est trompé
Ed. Minuit
Deux ans après avoir innocenté le personnage de la tragédie de Sophocle dans Oedipe n'est pas coupable, Pierre Bayard reprend son vaste chantier de critique policière avec l'analyse d'un classique du cinéma signé Alfred Hitchcock : Fenêtre sur cour. Cette œuvre phare du réalisateur et scénariste britannico-américain, projetée pour la première fois sur les écrans en 1954 - et en technicolor - nous fait partager la convalescence d'un photographe qu'une jambe plâtrée immobilise dans son appartement. Jeff, c'est son nom, trompe l'ennui en observant ses voisins par la fenêtre qui donne sur la cour d'immeuble - parmi lesquels un compositeur, un couple avec un chien, une danseuse, de jeunes mariés... Mais c'est surtout ce qui se trame dans l'appartement d'un autre couple qui attire son attention. En effet, alors que l'épouse d'un homme à la carrure impressionnante a disparu, Jeff se demande si son mari ne pourrait pas l'avoir assassinée... Secondé par sa petite amie et son infirmière, il décide d'élucider ce mystère. Dans la chute du film, qui révèle au spectateur que Jeff avait vu juste, il parvient à confondre le coupable. À tort, d'après Pierre Bayard ! Mais il n'est pas trop tard pour rétablir la vérité et élucider une autre affaire à côté de laquelle des générations de cinéphiles sont passées...
S'attaquer au "Maître du Suspense" ? Pourquoi pas ? Pierre Bayard n'en est pas à son coup d'essai et n'en est pas non plus à un crime de lèse-majesté près. C'est donc Alfred Hitchcock qui fait les frais de cette nouvelle variation sur le thème de l'euphorie interprétative. Fidèle à une recette qui a déjà fait ses preuves, il entame sa démonstration par une présentation de l’œuvre et par un résumé rigoureux, avant de se lancer dans le vif du sujet. Entre le détail des éléments problématiques et la remise en question de certaines évidences, il s'aventure sur un terrain qu'il connaît bien, celui de la psychanalyse. Le nom de Freud ne tarde pas à tomber. Et pour cause, Fenêtre sur cour est un film sur un phénomène hautement psychanalytique : le voyeurisme. Mais Pierre Bayard relativise assez vite ce point et s'écarte de ce que le médecin viennois nomme "le plaisir de voir".
"Outre qu'elle a chargé injustement le personnage principal d'un mal imaginaire, [la critique hitchcockienne] est de ce fait passée à côté de ce qui constitue le cœur pathologique du film pour qui le regarde avec un peu d'esprit critique en dépassant les apparences : la paranoïa."
La paranoïa. Voici le vrai sujet du film. Et du livre. Du fantasme de l'innocent injustement accusé à la réflexion sur les erreurs de jugement, l'auteur balaie le large spectre paranoïaque du délire d'interprétation, s'appuyant sur la capacité de l'être humain à participer de bonne foi à des phénomènes d'aberrations collectives. Illusion et indécidabilité vont alors se retrouver au cœur de l'œuvre. Ainsi que, ne l'oublions pas, l'accusation d'un innocent. Aussi, après de nombreuses circonvolutions, l'auteur de Et si les Beatles n'étaient pas nés ? finit donc par revenir au sujet annoncé et, avec l'humour et l'autodérision qui le caractérisent, lever le voile sur "un autre meurtre – bien réel celui-là – qui est commis devant les spectateurs à leur insu". Malheureusement, et c'est là que le bât blesse, autant il avait été particulièrement convaincant dans ce domaine lors des précédents volumes sur ce thème, autant il réduit là sa réflexion à une dimension anecdotique peu concluante. Ceci dit, même si sa tentative d'élucidation d'une enquête peine à convaincre, la réflexion psychanalytique qui y mène est, elle, particulièrement solide, à l'image de l'essai lui-même, érudit et ludique.
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