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mardi 27 février 2024

Pierre Bayard - Hitchcock s'est trompé

Pierre Bayard 

Hitchcock s'est trompé 

Ed. Minuit 

 
Pierre Bayard Hitchcock s'est trompé Minuit
Deux ans après avoir innocenté le personnage de la tragédie de Sophocle dans Oedipe n'est pas coupable, Pierre Bayard reprend son vaste chantier de critique policière avec l'analyse d'un classique du cinéma signé Alfred Hitchcock : Fenêtre sur cour. Cette œuvre phare du réalisateur et scénariste britannico-américain, projetée pour la première fois sur les écrans en 1954 - et en technicolor - nous fait partager la convalescence d'un photographe qu'une jambe plâtrée immobilise dans son appartement. Jeff, c'est son nom, trompe l'ennui en observant ses voisins par la fenêtre qui donne sur la cour d'immeuble - parmi lesquels un compositeur, un couple avec un chien, une danseuse, de jeunes mariés... Mais c'est surtout ce qui se trame dans l'appartement d'un autre couple qui attire son attention. En effet, alors que l'épouse d'un homme à la carrure impressionnante a disparu, Jeff se demande si son mari ne pourrait pas l'avoir assassinée... Secondé par sa petite amie et son infirmière, il décide d'élucider ce mystère. Dans la chute du film, qui révèle au spectateur que Jeff avait vu juste, il parvient à confondre le coupable. À tort, d'après Pierre Bayard ! Mais il n'est pas trop tard pour rétablir la vérité et élucider une autre affaire à côté de laquelle des générations de cinéphiles sont passées...

S'attaquer au "Maître du Suspense" ? Pourquoi pas ? Pierre Bayard n'en est pas à son coup d'essai et n'en est pas non plus à un crime de lèse-majesté près. C'est donc Alfred Hitchcock qui fait les frais de cette nouvelle variation sur le thème de l'euphorie interprétative. Fidèle à une recette qui a déjà fait ses preuves, il entame sa démonstration par une présentation de l’œuvre et par un résumé rigoureux, avant de se lancer dans le vif du sujet. Entre le détail des éléments problématiques et la remise en question de certaines évidences, il s'aventure sur un terrain qu'il connaît bien, celui de la psychanalyse. Le nom de Freud ne tarde pas à tomber. Et pour cause, Fenêtre sur cour est un film sur un phénomène hautement psychanalytique : le voyeurisme. Mais Pierre Bayard relativise assez vite ce point et s'écarte de ce que le médecin viennois nomme "le plaisir de voir". 
"Outre qu'elle a chargé injustement le personnage principal d'un mal imaginaire, [la critique hitchcockienne] est de ce fait passée à côté de ce qui constitue le cœur pathologique du film pour qui le regarde avec un peu d'esprit critique en dépassant les apparences : la paranoïa."
La paranoïa. Voici le vrai sujet du film. Et du livre. Du fantasme de l'innocent injustement accusé à la réflexion sur les erreurs de jugement, l'auteur balaie le large spectre paranoïaque du délire d'interprétation, s'appuyant sur la capacité de l'être humain à participer de bonne foi à des phénomènes d'aberrations collectives. Illusion et indécidabilité vont alors se retrouver au cœur de l'œuvre. Ainsi que, ne l'oublions pas, l'accusation d'un innocent. Aussi, après de nombreuses circonvolutions, l'auteur de Et si les Beatles n'étaient pas nés ? finit donc par revenir au sujet annoncé et, avec l'humour et l'autodérision qui le caractérisent, lever le voile sur "un autre meurtre – bien réel celui-là – qui est commis devant les spectateurs à leur insu". Malheureusement, et c'est là que le bât blesse, autant il avait été particulièrement convaincant dans ce domaine lors des précédents volumes sur ce thème, autant il réduit là sa réflexion à une dimension anecdotique peu concluante. Ceci dit, même si sa tentative d'élucidation d'une enquête peine à convaincre, la réflexion psychanalytique qui y mène est, elle, particulièrement solide, à l'image de l'essai lui-même, érudit et ludique. 

mardi 1 novembre 2022

Pierre Bayard - Et si les Beatles n'étaient pas nés ?

Pierre Bayard 

Et si les Beatles n'étaient pas nés ? 

Ed. Minuit 


Il y a quelques années, une fois n'est pas coutume, je n'avais pas été complètement convaincu par Il existe d'autres mondes, l'essai de Pierre Bayard sur les univers parallèles. Dieu sait pourtant si je suis un inconditionnel de l'auteur et si c'est, en plus, un sujet qui me parle. Ça ne m'a pas empêché, dans ce monde-ci comme dans un autre, de me plonger dans sa nouvelle variation sur le même thème. Et avec beaucoup d'attention.
 
Pierre Bayard Et si les Beatles n'étaient pas nés Minuit paradoxe
Repoussant encore une fois les limites de la critique et adoptant une approche toujours plus originale, l'auteur d'Aurais-je été résistant ou bourreau ? applique la théorie quantique au monde de la culture. Il redistribue ici les cartes de la notoriété ou de la reconnaissance et, s'interrogeant sur la manière dont la lumière projetée sur certains artistes en a malencontreusement éclipsé d'autres, il propose de sortir de l'ombre celles et ceux qui s'y sont égarés. Comme on le comprend au fil de la lecture, l'objectif de Pierre Bayard est plus complexe que de simplement constater à quel point Cholokhov est moins fameux que Pasternak ou Jonson que Shakespeare. Dans ce qui ressemble à la fois à une démonstration de style et à un cours de culture appliquée, il resitue les œuvres dans leur contexte et revient sur les conditions dans lesquelles elles ont été créées. Surtout, il tâche d'expliquer pourquoi tout le monde ne peut bénéficier de la même visibilité et en quoi on peut estimer que certains ont plus marqué leur domaine ou leur époque que d'autres. Puis, dans un soucis quantique, il propose un angle d'observation inédit et alternatif qui remet en cause nos certitudes. Cet essai permet ainsi de rétablir une certaine forme d'équité et de réhabiliter des artistes qui, ne l'oublions pas, bénéficient peut-être d'un meilleur accueil dans un autre monde.
 
Contrairement à ce qu'indique le titre, il n'est donc pas exclusivement question des Beatles. Certes, le premier chapitre nous plonge bel et bien à Liverpool mais, quelques pages plus loin, l'auteur étend son étude et les quatre garçons dans le vent laissent leur place à Rodin, puis à Marx, Labé, Proust ou encore Beauvoir. En effet, sculpture, littérature, musique ou peinture, sa théorie sur l'ombre et la lumière est applicable à toutes les facettes de la culture. De fait, c'est toute la culture qui bénéficie de l'éclairage que diffuse ce passionnant essai d'uchronie. Mais alors, dans ce cas, qui - ou quoi - se retrouve maintenant dans l'obscurité ?

lundi 2 mai 2022

Pierre Bayard - Aurais-je été résistant ou bourreau ?

Pierre Bayard 

Aurais-je été résistant ou bourreau ? 

Ed. Minuit 


Plus encore que les générations suivantes, j'imagine que tous ceux qui ont vu le jour au lendemain de la seconde guerre mondiale se sont à un moment donné posé cette question : Aurais-je été résistant ou bourreau ? Pierre Bayard, bien que né en 1954 et donc baby-boomer tardif, ne fait pas exception à la règle. Mais il est allé plus loin et s'est transposé en esprit dans le passé. Potentiellement né en 1922, comme son père, il imagine alors quel aurait été son destin tout en respectant certaines règles scientifiques, comportementales, circonstancielles ou familiales.

Pierre Bayard Aurais-je été résistant ou bourreau ? Minuit
Comme toujours avec les essais de Pierre Bayard, ce livre ne se cantonne pas, si je puis dire, à revisiter l'histoire d'un individu mais va bien au-delà et propose même plusieurs niveaux de lecture. Dans un premier temps, on peut y voir un livre sur la résistance - durant la seconde Guerre Mondiale mais pas uniquement. Le psychanalyste s'interroge sur les modalités de l'engagement, sur la tendance à la soumission et la capacité de désobéissance. Logiquement, il revient longuement sur l'expérience de Milgam, durant laquelle un psychologue évaluait en 1963 le degré d'obéissance d'un sujet devant une autorité qu'il jugeait légitime. Où se situe le point de bascule qui permet aux uns de s'insurger quand les autres collaborent ? Pourquoi certains seulement passent-ils à l'acte ? Et pourquoi d'ailleurs certains seulement répondent-ils à l'appel de la désobéissance ? Cela aurait-il à voir avec une forme de foi ? Dieu a-t-il quelque chose à voir dans tout cela ? Vaste question. Dans cet essai, comme on peut le constater, l'auteur s'interroge autant sur l'aptitude des citoyens à se soumettre que sur l'existence de Dieu !

Mais n'oublions pas que Pierre Bayard est également professeur de littérature à Paris VIII. Il y a donc une autre manière d'envisager ce brillant et passionnant essai : on peut y voir une réflexion sur la lecture. En effet, les exemples de romans mettant en scène des personnages confrontés à des choix étant nombreux, l'auteur fait un détour par la fiction pour inviter le lecteur non pas à juger du comportement des protagonistes mais à se mettre à leur place. C'est sans doute cet exercice, avec lequel il est particulièrement à l'aise, qui lui inspirera quelques années plus tard son essai sur Geneviève Dixmer.

jeudi 7 octobre 2021

Pierre Bayard - Oedipe n'est pas coupable

Pierre Bayard 

Œdipe n'est pas coupable 

Ed. Minuit 

 
Pierre Bayard Oedipe n'est pas coupable Minuit Paradoxe
Je suis une véritable fée du logis. Disons que si faire le ménage n’a jamais été un problème pour moi, je préfère surtout passer un coup de serpillère plutôt que de vivre dans un appartement sale. Mes sols sont rutilants et on ne trouve notamment pas le moindre grain de poussière chez moi. C’est du moins ce dont j’étais persuadé jusqu’à ce que je remette la main sur mon vieil exemplaire de Œdipe roi de Sophocle. Il faut dire que je n’y avais pas mis le nez depuis bien longtemps. J'ai respiré son odeur caractéristique, repassé un coup de chamoisine sur toute ma bibliothèque pour avoir l’esprit tranquille, puis je me suis replongé dans cette tragédie grecque histoire de me rafraîchir la mémoire avant de me lancer dans son analyse par Pierre Bayard.

Il y a deux mille cinq cents ans, le fameux dramaturge grec confrontait son protagoniste, Œdipe, à un destin terrible : tuer son père et souiller le lit de sa mère. Coupable de ces deux crimes, il se crève les yeux et quitte la cité, banni. Coupable ? C'est une affirmation dont tout le monde se satisfaisait depuis l'antiquité. Mais c'était sans compter sur l’auteur de Comment parler des faits qui ne se sont pas produits qui n’est pas homme à se contenter d’une vérité généralement admise et qui aime, plus encore que votre serviteur, dépoussiérer les affaires que d'aucuns considèrent comme classées.
 
L'essayiste a ainsi relu la pièce de Sophocle d'un œil nouveau, faisant abstraction de la version officielle et remettant à l'examen la culpabilité de son personnage principal. Toujours aussi brillant, érudit, ludique, inattendu et plus que jamais rompu à la critique policière, il a appliqué les techniques qui avaient déjà fait leurs preuves contre William Shakespeare, Arthur Conan Doyle et par deux fois Agatha Christie. Mais il va cette fois-ci un peu plus loin. En effet, non content d'apporter la vérité quand aux évènements, de laver la culpabilité d’Œdipe et de confondre le / la vrai(e) coupable, il s'interroge sur les raisons qui ont conduit les lecteurs à accepter une accusation si bancale d'une part et Freud d'en faire une telle surinterprétation d'autre part. Partant de là et s'attaquant de fait au complexe auquel ce cas a donné son nom, il ébranle les fondements de la psychanalyse moderne et va jusqu'à remettre en question tout le peuple grec, dont l'identité est construite sur les bases d'une mythologie erronée et qui se voit dorénavant condamné à vivre dans l'errance, privé de l'une de ses légendes majeures.

C'est ce qui s'appelle faire le grand ménage.

jeudi 5 novembre 2020

Pierre Bayard - Comment parler des faits qui ne se sont pas produits ?

Pierre Bayard 

Comment parler des faits qui ne se sont pas produits ?

Ed. Minuit 


Pierre Bayard  Comment parler des faits qui ne se sont pas produits minuit
Fidèle à son esprit provocateur et à sa pensée à contre-courant, Pierre Bayard se fait cette fois-ci le défenseur de celles et ceux qui colportent de fausses informations. L'avocat des menteurs ? Pas exactement. Car, comme toujours avec l'auteur de Demain est écrit, tout est une question de subtilité.

Un auteur qui altère ou améliore la vérité est-il nécessairement un menteur ? Et d'ailleurs que signifie, en littérature, écrire un récit faux ? S'appuyant sur de nombreux exemples - des récits présentés comme authentiques mais dont la véracité semble discutable ou a été mise en défaut -, il parvient à séparer des ordres de vérités différentes. Il s'interroge alors sur l'espace intermédiaire entre le vrai et le faux, ce lieu d'invention original où surgit une forme particulière d'authenticité. Puis il invite à réfléchir à la notion de subjectivité, à repenser le concept de vérité et la conception même que nous en avons.  Car il existe une forme de vérité littéraire irréductible à la vérité factuelle et qui possède sa propre légitimité.

Il prêche alors pour un droit à la fabulation et prend la défense de ceux qui fabulent, allant jusqu'à affirmer que mieux vaut valoriser cette pratique que la dénoncer. Il rend ainsi un bel hommage aux conteurs, que cet essai tente de déculpabiliser, et loue ceux qui parviennent à s'adresser à l'enfant qui sommeille en chaque lecteur, qui lui permettent de revenir à cet état psychique où la réalité ne constituait pas un obstacle insurmontable à ses désirs et où ceux-ci pouvaient s'accomplir sans se heurter à des contraintes et des interdictions.

C'est un beau combat que mène Pierre Bayard avec ce passionnant ouvrage, finalement très psychanalytique.

mardi 6 août 2019

Pierre Bayard - Le Titanic fera naufrage

Pierre Bayard 

Le Titanic fera naufrage 

Ed. Minuit 



pierre bayard titanic fera naufrage minuit
Après Demain est écrit & Le plagiat par anticipation, le premier examinant "les prédictions individuelles faites par certains écrivains quant à leur destinée" et le second "consacré aux textes qui s'inspirent d'oeuvres à venir", Le Titanic fera naufrage apporte un point final à cette brillante trilogie thématique consacrée à l'anticipation littéraire.

Cet essai s'appuie dans un premier temps sur le roman de Morgan Robertson, Futility, dans lequel l'auteur américain met en scène le naufrage d'un navire baptisé Le Titan, coulé suite à sa collision avec un iceberg dans les eaux glacées de l'Atlantique Nord. Le paquebot est une copie conforme du Titanic, les circonstances et les conséquences du drame sont similaires. Mais le roman est daté de 1898, quatorze ans avant la plus grande catastrophe maritime de l'époque. Pierre Bayard multiplie ensuite les références littéraires, cite quelques évolutions politiques et scientifiques ainsi que certaines catastrophes humaines et naturelles. Puis, après avoir distingué les anticipations justes ou partiellement justes des anticipations fausses ou dormantes puis les avoir classées par degrés de précision, de très faibles à très élevés, il balaye d'un revers de la main toute notion de coïncidence. Pour lui, croire au hasard, c'est "s'enfermer dans un dilemme réducteur qui interdit en réalité de réfléchir sur ce qui s'est réellement passé". Il est alors libre de développer sa pensée. 

Encore une fois très adroit et incroyablement sûr dans sa démonstration, Pierre Bayard met ses bonnes idées et son impertinence au service de l'Histoire de la littérature. Ainsi, s'il s'interroge sur la "conception linéaire de la temporalité" et s'amuse à perturber l'ordre des choses à base de "causes postérieures" et de "conséquences antérieures", il offre surtout au lecteur un cours magistral, au sens propre comme au sens figuré, et l'invite à remettre en question sa lecture des oeuvres.

Loin d'être un simple volume supplémentaire dans un cycle répétitif ou systématique, Le Titanic fera naufrage renouvelle la thématique et apporte des pistes inédites de réflexion. Cette trilogie est un tour de force, très impressionnant et pour le moins exaltant, pas moins. Même si je crois avoir préféré, dans un autre registre, son diptyque sur la critique d'amélioration (ici pour le premier volume,  pour le second).

vendredi 24 mai 2019

Pierre Bayard - Le plagiat par anticipation

Pierre Bayard 

Le plagiat par anticipation

Ed. Minuit


pierre bayard le plagiat par anticipation minuit Deuxième opus du cycle thématique de Pierre Bayard sur l'anticipation dans la littérature, cet essai est la suite logique et le prolongement nécessaire de Demain est écrit. Après s'être interrogé sur les auteurs qui ont mis en scène leur propre futur dans les pages de leurs livres, il se demande maintenant dans quelle mesure on peut être le plagiaire de ses successeurs. Voltaire reprenant les méthodes de Conan Doyle ? Maupassant s'inspirant du style de Proust ? Pourquoi pas ? Cette idée, qui vient directement de l'Oulipo, n'est pas aussi étrange qu'elle en a l'air. Et elle ouvre surtout bien des horizons.

Pierre Bayard nous a habitué aux ouvrages conceptuels et à une profonde originalité. Mais c'est surtout sa capacité à proposer une réflexion différente qui tape juste, encore une fois. Ce livre, qui offre une vision insolite de l'histoire de la littérature, invite à repenser la chronologie, à redéfinir la notion d'influence et à remettre en perspective nos connaissances. Ludique, accessible, solidement argumenté et étayé de nombreux exemples, il est aussi crédible que son idée est curieuse.

Reste maintenant à savoir comment il conclut son cycle. Le titre du troisième volume laisse rêveur : Le Titanic fera naufrage.

mardi 12 mars 2019

Pierre Bayard - Demain est écrit

Pierre Bayard 

Demain est écrit 

Ed. Minuit 


Pierre Bayard Demain est écrit Minuit
Il l'a déjà prouvé à maintes reprises, Pierre Bayard a une imagination qui force le respect. Encore une fois, l'idée de cet ouvrage est lumineuse : la littérature peut-elle prédire l'avenir ? C'est du moins la question soulevée. Mais si la tentative de réponse est savante et enthousiasmante, elle semble incomplète et me laisse malheureusement sur ma faim. Heureusement pas pour longtemps ! Demain est écrit n'est que la première partie d'une trilogie thématique sur la capacité prémonitoire de la littérature et trouve sa suite dans Le plagiat par anticipation.

Mais avant d'aller voir ce qu'il se passe dans le deuxième volume, concentrons-nous sur celui-ci.

L'auteur de La vérité sur "Dix petits nègres" axe sa réflexion autour de la vie d'Oscar Wilde. Pierre d'achoppement de la démonstration, le romancier anglais voit son existence retracée à reculons. Cette contre-biographie permet de remettre dans l'ordre de lecture de drôles de coïncidences, certaines scènes de romans reproduits de manière déconcertante des années plus tard dans la vie de l'auteur. Des phénomènes difficilement explicables autrement que par une réponse positive à la question de départ : oui, la littérature pourrait prédire l'avenir. Et pour multiplier les exemples, Pierre Bayard s'appuie sur d'autres cas, telle que la mort de Virginia Woolf anticipée dans son œuvre. Idem pour Jack London, Marcel Proust ou encore Émile Verhaeren.

Après avoir échafaudé différentes hypothèses, du rationnel et de l'irrationnel, puis bien entendu (n'oublions pas que l'essayiste est également psychanalyste) l'hypothèse freudienne et (n'oublions pas que le psychanalyste est également professeur de littérature) l'hypothèse littéraire, Pierre Bayard en tire les conséquences. Brillant carnet d'inspiration, très érudit et bourré de paradoxes troublants, Demain est écrit imagine alors une forme de chronologie inédite et élabore de nouveaux temps du récit, enfin il nous prouve que "des textes peuvent parfois trouver leur inspiration la plus authentique dans les évènements qui leur succèdent."

Étonnant, non ?

jeudi 10 janvier 2019

Pierre Bayard - La vérité sur "Dix petits nègres"

Pierre Bayard 

La vérité sur "Dix petits nègres" 

Ed. Minuit 


Pierre Bayard  La vérité sur "Dix petits nègres"  Minuit
Après s'être frotté à Arthur Conan Doyle, William Shakespeare et Agatha Christie, Pierre Bayard récidive et se mesure de nouveau à "la Reine du crime". Estimant que Le meurtre de Roger Ackroyd n'est pas son unique roman à multiplier les invraisemblances, il nous invite, pour le quatrième volume de son cycle sur les "critiques policières", à revenir sur l'Île du Nègre, théâtre de la fameuse tragédie macabre.

Il donne alors la parole au/à la véritable meurtrier/ère qui livre sa confidence et rétablit la vérité sur cette grossière erreur judiciaire. Armé d'un bon sens stupéfiant, de ses connaissances en psychanalyse et de sa solide culture littéraire et philosophique, l'auteur nous démontre une fois de plus que même les plus grands peuvent se tromper. Et, sous la forme d'un polar machiavélique, il introduit des théories dans divers domaines des sciences humaines et propose des pistes de réflexion sur la littérature.

Cet essai, découpé en quatre parties (Enquête, contre-enquête, aveuglement, et désaveuglement - plus, bien entendu, un prologue et un épilogue), s'appuie principalement sur le phénomène de l'attention sélective et sur les nombreuses formes d'illusions d'optique. Il fait mettre le doigt sur des détails qu'on voit d'autant moins qu'ils crèvent les yeux. Comme souvent, il multiplie les références, en particulier à John Dickson Carr, à la mémoire duquel l'ouvrage est dédié, et la démonstration est aussi ludique et captivante que le projet est ambitieux.

Et Pierre Bayard, l'impertinent, le provocateur, réussit une fois de plus son pari. Si la solution proposée par Agatha Christie tenait la route mais semblait assez invraisemblable, cette version alternative est indéniablement plus cohérente. Un essai brillant qui propose de nouvelles perspectives, bouscule les certitudes les mieux ancrées et qui, au passage, (re)met Agathe Christie en boîte.

mercredi 12 décembre 2018

Pierre Bayard - Et si les oeuvres changeaient d'auteur ?

Pierre Bayard 

Et si les oeuvres changeaient d'auteur ? 

Ed. Minuit 


Pierre Bayard Et si les oeuvres changeaient d'auteur Minuit
Dix ans après Comment améliorer les oeuvres ratées ? Pierre Bayard se lance dans une nouvelle critique d'amélioration. Cet opus, qui s'inscrit dans le prolongement naturel du précédent, y apporte un complément nécessaire. Comme l’indique son titre, il propose, en leur attribuant de nouveaux auteurs, de modifier le regard que nous portons sur certains textes. Et en effet, la réputation des premiers impactant fortement l’image que l’on se fait des  seconds, se prêter à cet exercice offre une multitude de possibilités et apporte un regard neuf sur la littérature comparée.

Ainsi, il revient sur les révélations Gary/Ajar et Vian/Sullivan, s’amuse à confondre D.H et T.E Lawrence ou encore intervertit Molière et Corneille. Mais son exemple le plus frappant concerne L’Étranger : Signée Kafka, l'oeuvre demeurerait identique mais prendrait une perspective singulière. Il faut alors resituer Meurseault immergé dans l'univers paranoïaque et cauchemardesque du romancier tchèque et son cas jugé à la lumière de l’absurdité administrative. La démonstration développée dans cet ouvrage est particulièrement convaincante, en plus d'être originale, ludique et pleine d'humour.

Puis, après avoir revisité quelques classiques, soulevé certains mensonges biographiques et procédé à plusieurs interversions, Pierre Bayard invite le lecteur à ne pas s'arrêter sur les filiations définitives et à étendre ce principe à tous les domaines. Peinture, cinéma, musique, toutes les oeuvres peuvent changer d'auteur. Ce sont alors autant de nouvelles voies ouvertes qui dynamisent les oeuvres, en rénovent la lecture et permettent de les découvrir sous un angle inédit.

dimanche 2 décembre 2018

Pierre Bayard - Le hors-sujet

Pierre Bayard 

Le hors-sujet - Proust et la digression

Ed. Minuit 


À la recherche du temps perdu a radicalement changé ma perception de la littérature et compte parmi mes expériences de lectures les plus marquantes. Une fois ce monument terminé, j'ai lu tout ce qui me passait sous la main concernant Marcel Proust et son oeuvre, de sa biographie par Jean-Yves Tadié à son portrait par Céleste Albaret en passant par ses correspondances, des analyses du texte, des études et toutes sortes d'appareils critiques. Je suis allé visiter la maison de Tante Léonie à Combray, me promener sur le remblais à Balbec et c'est à ce moment-là que j'ai réalisé que j'étais une groupie.

Pierre Bayard hors-sujet proust digression Minuit
Maintenant, quelques années plus tard, en partie sevré de cette addiction, je profite de l'approfondissement du travail de Pierre Bayard pour m'injecter une petite piqûre de rappel proustien. Le hors-sujet, qui propose de réfléchir à la notion de digression dans la littérature, s'appuie sur la Recherche comme référence. Comme souvent, son auteur ouvre les hostilités dès la première page avec une affirmation sans appel : "Proust est trop long." Bien sûr, cette assertion provocatrice est suivie d'une démonstration plus raisonnée. L'ouvrage cherche à définir le sujet du livre et à pointer du doigt les différentes digression possibles, s'interroge sur la longueur du texte et sur l'utilité de certains passages. À partir de tous ces éléments, tissant des liens entre littérature et psychanalyse, sachant que les deux domaines ne s'accordent pas forcément sur les définitions, il tâche de déterminer ce qui peut ou non être hors-sujet.

Autant l'auteur d'Aurais-je sauvé Geneviève Dixmer ? sait être accessible, autant Le hors-sujet a tout du travail universitaire aride. C'est une lecture exigeante destinée à des amateurs éclairés, voire à un public très averti. À moins d'être particulièrement curieux ou de tenir à lire tout ce qui se fait sur la Recherche, je pense que, si sa problématique est intéressante, cette lecture n'est pas indispensable.

Quant au texte de Proust, il n'est pas trop long. Non. Certes, comme l'a fait Gérard Genette dans Figures III, on peut le réduire à "Marcel devient écrivain". Mais ce sont justement les digressions qui font la substance du livre, ce que reconnaît Pierre Bayard à qui je laisse la parole pour clore ce billet :
"Le sujet multiple que Proust met en scène se situe toujours ailleurs qu'à l'endroit où il paraît être, et […] la digression, au sens où nous l'entendons, est l'élément formel central de l'écriture de cet ailleurs."
"Le texte proustien est composé de telle manière qu'il n'y a que des digressions et qu'il est impossible de dire où, sans que la digression ne se résolve et que l'énoncé qui la désignait ne soit déjà devenu faux."

dimanche 18 novembre 2018

Pierre Bayard - Aurais-je sauvé Geneviève Dixmer ?

Pierre Bayard 

Aurais-je sauvé Geneviève Dixmer ? 

Ed. Minuit 


Pierre Bayard Aurais-je sauvé Geneviève Dixmer Minuit
Adolescent, Pierre Bayard tombe amoureux de Geneviève Dixmer dans l'adaptation télévisuelle du Chevalier de Maison-Rouge, le roman d'Alexandre Dumas. Il suit avec passion le destin de la jeune femme et découvre son funeste sort à la fin du quatrième et dernier épisode. Des années plus tard, il continue à se demander si elle aurait pu couper (!) d'une manière ou d'une autre à l'échafaud. Il décide alors de réécrire le livre et d'entrer dans ses pages en endossant le rôle de Maurice Lindey. Transporté par la magie de sa plume au XVIIIème siècle, il revit les aventures du jeune révolutionnaire. Ainsi, exposé à son tour aux choix auxquels est confronté le personnage principal, il s'interroge sur les conséquences des décisions qu'il prend et sur la tournure des évènements.

Comme souvent chez Pierre Bayard, l'étude de ce roman est un prétexte pour soulever des problématiques et les étayer par des démonstrations philosophiques, sociologiques et psychanalytiques. Ici, pour étudier la notion de dilemme, il est surtout question de deux grands courants de la philosophie morale, l'éthique des principes (les obligations et les interdits) et l'étique des conséquences (l'indissociation des actions et des résultats). Aurais-je sauvé Geneviève Dixmer ? est une fiction théorique (pour reprendre le terme de l'auteur) qui multiplie les références. Son principe est inventif, son sujet passionnant, son étude ludique et sa démonstration limpide et particulièrement accessible.

Mais surtout, là où l'universitaire fait fort, c'est qu'il a réussi en cent cinquante pages à me réconcilier avec un roman qui m'avait laissé de marbre. J'avais trouvé Le Chevalier de Maison-Rouge fichtrement mièvre et je ne me posais pas tellement la question de savoir si cette godiche de Geneviève Dixmer devait ou non y laisser sa tête. Cette nouvelle version, débarrassée des sentiments dégoulinants (malgré un sérieux bémol pour la description douteuse et presque embarrassante de sa nuit avec l'héroïne) et concentrée sur les questionnements psychologiques, est d'autant plus captivante qu'elle est rédigée à l'économie, non dénuée d'une certaine forme de suspense et parsemée de touches d'humour. 

dimanche 4 novembre 2018

Pierre Bayard - Comment améliorer les œuvres ratées ?


Pierre Bayard 

Comment améliorer les œuvres ratées ? 

Ed. Minuit 


Hélas ! C'est sur cette interjection qu'on ne peut retenir à la lecture d'un ratage littéraire que s'ouvre cet essai au titre délicieusement provocateur.

Pierre Bayard Comment améliorer les œuvres ratées MinuitL'auteur d'Il existe d'autres mondes se lance encore une fois dans un projet audacieux. Il estime que dans l'œuvre géniale d'auteurs reconnus comme tels, certains titres sont tout simplement ratés. Il propose donc de donner les clefs de leur amélioration. Pour sa démonstration, après avoir sélectionné un panel d'écrivains issus de différentes époques et affiliés à différents genres - de Ronsard à Giono en passant par Corneille, Voltaire, Hugo ou Proust - il définit le ratage et en décortique les raisons.

Pour Pierre Bayard, il y a principalement quatre raisons qui peuvent y conduire : problème de sujet, de rythme, de figures de rhétorique ou de personnages. Après avoir analysé chacune des œuvres sélectionnées, relevé les erreurs et étayé sa démonstration, il resitue chacun des titres dans un ensemble plus global. En effet, pour un auteur dont le génie n'est plus à prouver, une œuvre ratée peut parfois s'expliquer par le contexte dans lequel elle a été rédigée. Entre les textes de jeunesse, ceux de fin de carrière ou encore ceux écrits à une période défavorable, les facteurs sont multiples. Pierre Bayard les analyse de son œil de psychanalyste avisé. Et pour finir, cerise sur le gâteau, il propose de procéder au travail inverse et d'aggraver l'état des œuvres littéraires défectueuses, afin de repérer les seuils de dégradation.

Tout cela, bien entendu, n'est qu'un prétexte pour se lancer dans un travail d'exégèse, analyser la forme du roman, les éléments métriques de la poésie, le souffle de la prose ou encore les caractéristiques théâtrales. Définitivement impertinent et toujours aussi ludique dans ses démonstrations, le professeur de français à l'université de Paris VIII partage sa passion des lettres et multiplie les références. Mais le problème, c'est que cet essai est suffisamment convaincant pour provoquer l'effet inverse du carnet d'inspiration. Car si j'ai lu chacun des auteurs de son panel mais ai fait l'impasse sur les œuvres ratées dont il propose l'amélioration, je n'ai pas pour autant l'intention de m'y aventurer en refermant ce livre...

mercredi 11 mai 2016

Pierre Bayard - Il existe d'autres mondes

Pierre Bayard

Il existe d'autres mondes

Ed. Minuit


Pierre Bayard est un type brillant. Il a de bonnes idées, il s'interroge sur des sujets à la fois loufoques et originaux et il tâche d'y répondre en s'appuyant sur la littérature, la psychanalyse et la culture populaire. Il s'est penché sur des sujets aussi variés que le roman policier ou les comportements en temps de guerre et aborde cette fois-ci celui des mondes parallèles.

Pierre Bayard Il existe d'autres mondes Minuit Après avoir expliqué la théorie du concept abordé, l'expérience du chat de Shrödinger et avoir résumé l'histoire des univers parallèles telle qu'on la connaît, il propose un certain nombre d'hypothèses tirées d'analyses de romans, d'essais ou de séries télé, faisant des références variées, plus ou moins pointues. Le problème, c'est que ça s'arrête là. Et pour cause, si le concept des univers parallèles est passionnant, il est tout à fait invérifiable. Aussi, s'il ouvre différentes portes, s'il s'amuse à se mettre en scènes dans les vies qu'il aurait pu mener dans d'autres mondes, il conclut son livre par, justement, une absence de conclusion convaincante.

Effectivement, peut-être l'existence des univers parallèles serait-elle vérifiable dans l'un de ceux-ci s'ils existaient mais, dans le nôtre, c'est impossible.

Et c'est d'ailleurs ce qui en fait l'intérêt, non ?