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jeudi 10 octobre 2024

Philippe Jaenada - La désinvolture est une bien belle chose

Philippe Jaenada 

La désinvolture est une bien belle chose 

Ed. Mialet Barrault 


Fidèle à son habitude, Philippe Jaenada exhume un fait divers. Alors je sais ce que vous vous dites : les habitudes, on sait où ça mène ! Les habitudes, ça provoque des automatismes ! Les habitudes, ça pousse inévitablement à une certaine forme de paresse. Les habitudes, ça fait rouiller ! C'est le mal ! Parfois, sans doute. Pour vous, pour moi, c'est certain. Mais pas pour Philippe Jaenada, loin de là.

Philippe Jaenada La désinvolture est une bien belle chose Mialet Barrault
Fidèle à son habitude, donc, mais jamais là où on l'attend, Philippe Jaenada exhume un fait divers. Oh, rien de bien intrigant en apparence : en 1953, une jeune femme se tue d'un saut dans le vide. Sans réelle motivation, semble-t-il. Mais enjambe-t-on vraiment une fenêtre à vingt ans sans qu'une bonne raison vous y pousse ? C'est cette simple question qui conduit l'auteur de Sans preuve et sans aveu à chercher une réponse. Personne n'en avait trouvé avant lui ? Bast ! Lui y arrivera. Et comme fréquenter les archives ou revenir sur les lieux ne lui suffit pas, il emmène sa grande carcasse en virée, son sac matelot à l'épaule, histoire de prendre de la distance et de mieux réfléchir. C'est alors parti pour un tour de France par les bords, comme il dit.

Fidèle à son habitude, Philippe Jaenada passe beaucoup de temps au troquet, quand il n'est pas derrière son volant. Accompagné de Gladys, le GPS de sa voiture de location, bientôt son unique interlocuteur et personnage secondaire de cette enquête gonzo aux airs de virée régressive, il longe la frontière. Il s'arrête ici ou là, dort à l'hôtel, tâche de diner à une heure décente et, surtout, siffle des whiskies en observant ses contemporains ou en repensant à ceux de Jacqueline Harispe, la suicidée qui le préoccupe. Décédée en 1953, celle-ci est le stéréotype de son époque et de son milieu, cette jeunesse désinvolte de l'après-guerre qui aura assidument fréquenté les cercles intellectuels parisiens, se sera inscrit dans le mouvement situationniste et préparé les évènements de mai 68. Sauf que Jacqueline Harispe, Kaki pour certains, ne vivra pas jusque là. Pourquoi ? Dès qu'il pose son sac dans une nouvelle ville côtière ou frontalière, le romancier se retrouve face à cette question et tente d'épuiser les hypothèses.
"Chaque fois que j'arrive dans une nouvelle ville, j'ai l'impression que tout est beau, paisible, que la vie peut être difficilement plus agréable qu'ici, et mon exaltation retombe après une heure ou deux."
Fidèle à son habitude, Philippe Jaenada enchaîne les idées. Il les entrecoupe d'anecdotes personnelles, de traits d'humour, d'observations impromptues, de considérations diverses sur la vie ou de pensées pour Pauline Dubuisson, qui occupe toujours son esprit (et le mien) depuis La Petite Femelle. Le tout dresse un portrait de la société, soufflant de lucidité, aussi bien la sienne (la nôtre) que celle de Kaki. Et c'est bien là l'intérêt principal de ce livre, à tel point qu'au fil des pages, les raisons de la mort de Jacqueline Harispe semblent bientôt ne plus être qu'un prétexte à tout le reste : le récit du périple hexagonal de l'auteur d'une part, son étude du lettrisme et autres concepts fondés par Guy Debord d'autre part. Pour autant, l'enquête, pointilleuse et d'une précision absolue (pour ne pas dire maladive), s'achève sur une conclusion tout à fait convaincante. L'ouvrage, lui, laisse comme le sentiment d'une facilité insolente. Comme d'habitude, quoi.

mardi 16 avril 2024

Philippe Jaenada - Sans preuve et sans aveu

Philippe Jaenada 

Sans preuve et sans aveu

Ed. Mialet Barrault 


Dans le monde de la littérature, Philippe Jaenada assume depuis quelques années le rôle d'avocat de la défense. Et il faut reconnaître qu'il est plutôt bon, même si son livre précédent, Au printemps des monstres, montrait certaines limites à cet exercice. Mais alors qu'il semblait vouloir prendre ses distances avec la robe, le voilà ramené à la réalité par une rencontre. Le coup du sort ?

Philippe Jaenada Sans preuve et sans aveu Mialet Barrault
Cette rencontre, c'est celle d'Alain Laprie, peu de temps avant son incarcération pour le meurtre de sa tante, Marie, retrouvée assassinée dans sa maison en proie aux flammes. Malgré l'absence de preuve et d'aveu, les soupçons se portent rapidement sur le "neveu préféré" de la vieille dame. Jugé puis acquitté en première instance, le coupable présumé écope finalement, en appel, d'une peine de quinze ans de réclusion. Il est aujourd'hui derrière les barreaux.
"Connaître le nom du meurtrier (ou de la meurtrière, pourquoi pas ?) de Marie n'a aucune importance pour moi - pour la famille si, bien sûr, pour la justice évidemment - et ce livre n'a même pas pour intention (malgré les apparences, je crois) d'essayer de montrer qu'Alain Laprie est innocent du crime pour lequel on l'a condamné(...)."
Le projet de Philippe Jaenada n'est donc pas de faire sortir Alain Laprie de prison. D'ailleurs, c'est impossible car il n'y a aucun recours possible à la cassation. Son projet est simplement, si je puis dire, de démontrer que le suspect n'a jamais été présumé innocent (ce que les gendarmes et les juges d'instruction n'ont pas même envisagé) et qu'il n'a pas été correctement jugé. Son livre est donc un plaidoyer pour la justice, ni plus ni moins.

L'auteur annonce d'emblée que, contrairement à son habitude, il ira droit au but. "(Au placard, digressions et parenthèses !)" Effectivement il tient globalement sa promesse et voit à la baisse l'emploi de son signe typographique favori. Dommage. De même, il ne digressera presque pas ni ne fera preuve de l'humour qui fait sa marque de fabrique. Re-dommage. Ainsi, le livre est court, sérieux, va à l'essentiel et relate les évènements à l'économie de moyens littéraires. Il faut dire que le sujet est grave. La vie d'un homme est en jeu. Celle de sa famille également. Et, au-delà de ça, ce sont les fondamentaux de la justice qui sont dans la balance.

Faisant fi du superflu, il revient donc sur les déclarations, les dossiers, les témoignages, les analyses, les expertises. Sur des faits. Et en à peine 250 pages de concret et de déductions frappées au coin du bon sens, il met le doigt sur un nombre impressionnant d'incohérences, d'invraisemblances et d'approximations. De fait, il est difficile de croire, à la lecture de cette passionnante enquête, que le condamné, qui clame pourtant son innocence et contre lequel, rappelons-le, il n'y a pas plus de preuve que d'aveu, puisse être coupable. Par conséquent, il est difficile de croire qu'il ait pu être correctement jugé. Mission accomplie pour l'avocat de la défense.

Malheureusement, pendant ce temps-là, Alain Laprie est toujours à l'ombre.

mercredi 18 août 2021

Philippe Jaenada - Au printemps des monstres

Philippe Jaenada 

Au printemps des monstres 

Ed. Mialet & Barrault 


En l'espace de trois livres, Philippe Jaenada ne s'est pas positionné que comme le défenseur des opprimés, il s'est imposé comme un sérieux théoricien de la justice : déjà en éclairant d'une nouvelle lumière la mort de Bruno Sulak, ensuite en s'interrogeant sur les réels motifs du procès de Pauline Dubuisson, enfin en reconstituant la scène du meurtre dont était accusé Georgres Arnaud.

Philippe Jaenada Au printemps des monstres Mialet & Barrault
Quatre ans après l'étude de son dernier fait divers, il en rouvre un qui défraya la chronique en 1964. Au printemps, cette année-là, le corps d'un jeune garçon est retrouvé mort, assassiné, dans une forêt de la banlieue parisienne. Des dizaines de lettres anonymes sordides et provocatrices signées "L’Étrangleur" sont envoyées à la police, aux médias et aux parents de la victime. Quand le coupable est finalement arrêté, on réalise qu'il s'agit d'un type "normal", un infirmier sans histoire. Il avoue tout et passera plus de quarante ans en prison. Affaire classée.

Philippe Jaenada trouve cette version trop simple, il est convaincu que la vérité est ailleurs. Il se rend alors sur place. Il arpente les rues empruntées par l'enfant, dort entre les murs des bâtiments que les protagonistes ont fréquenté, reconstitue les différents scènes. On le découvre d'ailleurs au début du livre assis au pied d'un l'arbre, de nuit, à l'endroit précis où le corps a été découvert des années plus tôt. Ça peut paraître un peu tordu ; j’ai choisi d’y voir du perfectionnisme. L'auteur passe également beaucoup de temps à fouiller les archives, à éplucher des dossiers, à compulser des documents et à consulter la presse de l'époque, n'écartant jamais aucun détail. Mais il consacre plus d'énergie encore dans les notices biographiques. Le livre retrace par le menu les grandes lignes de la vie de chaque protagoniste, qu'ils aient un lien direct ou éloigné avec l'affaire.

Il ne lui faut pas moins de 750 pages bien tassées (et environ un million de parenthèses (l'auteur ne perd pas ses bonnes habitudes (et c'est (presque) devenu sa marque de fabrique))), pour réaliser un projet assez présomptueux : "l’absurde tentative d’explication de l’affaire Luc Taron". Mais, justement, c'est là que le bât blesse, la tentative ne débouche sur aucune conclusion réellement satisfaisante. Aussi acharné soit-il, l'apprenti détective spécialiste du cold case s'y casse les dents. Tout ça pour ça ? En effet, cela peut sembler assez vain. Heureusement, Philippe Jaenada a pour lui une plume vraiment intéressante, un indéniable sens de la formule et une tendance assumée à l'autodérision alimentée par un impressionnant stock d'anecdotes personnelles croustillantes qu'il enchaîne avec un art subtil de la transition. Il a également une capacité à passionner son lectorat. Pour autant, Au printemps des monstres marque sans doute la limite de l'exercice auquel son auteur s'était prêté avec succès jusqu'à présent. Peut-être est-il temps de se renouveler, de délaisser un peu la criminologie pour revenir à la littérature ?
Et pour faire le point sur ce challenge, c'est ici.

lundi 26 mars 2018

Philippe Jaenada - Sulak

Philippe Jaenada 

Sulak 

Ed. Julliard 


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Philippe Jaenada ne s'y est pas trompé, la vie de Bruno Sulak est un roman.

À multiplier les braquages, se moquer avec panache de la loi et narguer ses représentants, le gentleman cambrioleur a rendu folle la police et défrayé la chronique dans les années quatre-vingt, jusqu'à mourir dans de troubles circonstances lors d'une ultime évasion de prison. C'est ce mystère final qui semble avoir le plus intrigué l'auteur de La serpe. En effet, s'il revient en détail sur toute la vie de Bruno Sulak et s'il s'applique à décrire sa personnalité, son entourage et ses motivations, c'est bien sa mort qu'il pointe du doigt.

Même s'il vit incontestablement dans l’illégalité la plus totale, il semble n'avoir que des qualités : c'est un homme de principes, généreux, charismatique, intelligent et qui, joueur, donne régulièrement des nouvelles au commissaire qui le recheche. Philippe Jaenada, partisan, en dresse le portrait touchant et attachant d'un homme droit, épris de liberté. Quant à sa mort, pour lui, aucun doute, la version officielle ne tient pas la route. Il argumente, s'appuie sur de nombreux documents, rapports, témoignages et n'oublie pas au passage d'y ajouter son grain de sel humoristique et décalé.

Alors, peut-on impunément, à l’instar d’Arsène Lupin, vivre du mauvais côté de la loi et forcer le respect des honnêtes gens ? Libre à chacun de se faire sa propre opinion. L’auteur a un avis tranché sur la question, ce qui se sent à la lecture de cette très bonne biographie qui se dévore comme un roman d’aventure truffé d'excellents seconds rôles mais qui est clairement à deux doigts de faire l'apologie du grand - mais élégant - banditisme.

dimanche 18 mars 2018

Philippe Jaenada - La petite femelle

Philippe Jaenada 

La petite femelle 

Ed. Julliard 


Philippe Jaenada  La petite femelle  Ed. Points julliard Philippe Jaenada a trouvé une casquette taillée sur mesure. Une casquette ? Que dis-je, une cape ! Celle de défenseur des opprimés ! En effet, avant d'avoir rendu justice à Georges Arnaud dans La serpe, il s'était déjà fait l'avocat de Pauline Dubuisson, meurtrière de son amant et mal aimée de l'opinion publique.

Pauline Dubuisson, c'est l'histoire d'un gros gâchis. Cette jeune fille brillante, durement éduquée par son père et mollement aimée par sa mère, évolue dans un contexte qui ne pardonne pas les erreurs ni ne tolère l'émancipation des femmes. Des erreurs, elle en fera, aucun doute là-dessus. Mais les circonstances amplifient un comportement que la presse se fera un plaisir de déformer. Et Pauline Dubuisson se voit condamnée à payer le prix fort.

Heureusement, l'auteur de Sulak est là pour rectifier avec panache la désastreuse image qui collait à la peau de cette petite femelle. Il relate les évènements, remet les choses dans leur environnement, recadre le débat et ne se montre pas tendre avec ceux qui ont fait son procès. Très documenté, c'est un travail solide et passionnant. Mais c'est également, pour un auteur certainement payé à la parenthèse, l'occasion de se lancer dans de savoureuses digressions et d'user d'un humour parfois grinçant, parfois potache. Il se met largement en scène, à grands coups d'auto-dérision, se raconte beaucoup et répète inlassablement à quel point ce personnage l'a habité, pour ne pas dire hanté.

Je le comprends. Tout comme lui, Pauline Dubuisson va me hanter, c'est certain.

jeudi 17 août 2017

Philippe Jaenada - La serpe

Philippe Jaenada 

La serpe 

Ed. Julliard 


Georges Arnaud, l'auteur du Salaire de la peur, est un homme intelligent, un romancier brillant et un aventurier dans l'âme. Là-dessus, tout le monde est à peu près d'accord. Pour certains, c'est également un type louche, peu fréquentable. Pour d'autres, juste quelqu'un de normal. Mais ce qui fait débat, c'est surtout de savoir s'il a ou non assassiné de sang froid une partie de sa famille. A la serpe. Pas moins. Pour la justice des hommes, il est innocent. Mais, pour Philippe Jaenada, l'affaire est loin d'être claire.

Philippe Jaenada La serpe Julliard
Dans son nouveau livre, l'auteur du Chameau sauvage
enfile sa casquette d'enquêteur et, soixante-dix ans plus tard, rouvre le dossier pour mener sa propre enquête. Il saute dans sa voiture, direction la scène du crime. Se mettant alors largement en scène, il abat un travail monumental. Car derrière le ton léger, l'humour moqueur, les multiples digressions personnelles et les réflexions impertinentes se dissimule une sérieuse besogne. Il n'hésite pas à interroger tous ceux qu'il croise, à éplucher des montagnes de documents et de sources, à contrôler par lui-même les éléments du dossier et à se mettre dans la peau des protagonistes. Vous y apprendrez tout de cette histoire sordide et sanglante ainsi que du procès à rallonge et à rebondissements qui en a découlé. 

La serpe est un peu plus qu'un Pierre Bellemare amélioré et n'est pas à proprement parler un roman. A la fois document biographique, retour sur une obscure affaire judiciaire, portrait d'une époque, ouvrage de non-fiction, recueil d'histoires drôles et voyage introspectif, c'est un travail impressionnant, hyper documenté mais d'une incroyable fluidité. Et vous y trouverez de nombreuses références littéraires. D'ailleurs, il y a fort à parier que vous voudrez lire les ouvrages précédents de l'auteur, à commencer par La petite femelle (il fait sa promotion au passage et il la fait bien - on n'est jamais mieux servi que par soi-même), ainsi que, bien entendu, si ce n'est déjà fait, les ouvrages de Georges Arnaud. Mais aussi, voire surtout, vous mourrez d'envie de vous lancer dans le Journal de Maurice Garçon, l'avocat du suspect, un personnage charismatique, à l'esprit vif et à l'imposante présence, à mes yeux le vrai héros de l'affaire - et du livre, que j'ai lu en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, fébrile et passionné.

Mais alors, Georges Arnaud, me direz-vous, tueur sanguinaire ou victime des circonstances ? Le mieux pour se faire un avis est encore de se lancer dans cet ouvrage.  Perso, je me suis fait mon idée.